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Le Petit Orme

Ce site est dédié à l’histoire d’une propriété, sise à Olmet, à côté de Vic sur Cère, Cantal, France . (15800).

C’est aussi l ‘histoire d’une famille – celle d’Émile DUCLAUX et de ses descendants : successeur de Pasteur à la direction de l’institut du même nom, Émile Duclaux l’acheta en 1892, y fit de longs séjours avec sa deuxième épouse, Mary Robinson, et en partit, quelques mois avant sa mort, pour finir ses jours à Paris.

bibliographie Mary Duclaux

 

 

 

Bibliographie

 

 

 

Mary ROBINSON/ DARMESTETER /DUCLAUX

 

Poésie, roman, essais

 

*1878 : A Handfull of Honeysuckle, Kegan, London, 1878

 

*1881 : The crowned Hipolytus , from Euripides, Kegan Paul & co, London , 1878

 

*1883 : Arden a novel, Longman’s & co, London , 1883 ; SSM book intern., New Delhi, 2011

*1883 : Emily Brontë ( Eminent women ), W. Allen , London, 1883 ; Robert Bros, Boston ,1883 ; autres éditions : 1974, 1976, 1978 ; Routledge – Thoemmes, London , 1997

 

*1884 : The new Arcadia & others poems, Ellis & White, London, 1884 ; Robert Bros, Boston , 1884

 

*1886 : An italian garden : a book of songs, Fisher Unwin, London, 1886 ; T. B. Mosher, Portland, Maine, 1908 ; Un jardin italien, Imprimerie nationale, Paris, 1931, illustr. Maurice Denis

 

*1886 : Margaret of Angoulême, queen of Navarre, W. H. Allen , London , 1886 ; repris de Ingram, Eminent women, ??, 1883 ; Robert Bros, Boston , 1890 ; La reine de Navarre, Marguerite d’Angoulême, Calmann-Lévy, Paris, 1900

 

*1887 : The fortunate lovers, 27 novels of the queen of Navarre, trans. Machen A. L. J., , choice A. M. F. Robinson, with notes , pedigrees, G. Redway, London , 1887

 

*1888 : Poésies , trad. de l’angl. Par James Darmesteter, A. Lemerre, Paris, 1888

 

*1888 : Songs, ballads and a garden play, Fisher Unwin , London , 1888

 

*1889 : The end of the Middle Age, essays and questions in History : T. F. Unwin, London, 1889

 

* 1891 : Lyrics collected from the works of A. M. Robinson, Fisher Unwin, London , 1891

 

*1891 : Selected poems, in Miles A., The poets of the century, R. Bridges, (!), London , 1891

 

*1892 : Marguerites du temps passé, Armand colin , Paris, 1891 ( ?) ; trad angl. : a medieval garland, Lawrence Bulten , London , 1898.

 

*1893 : Retrospect & other poems , Fisher Unwin, London, 1893

 

*1894 : Froissart ( grands écrivains français ) , Hachette, Paris, 1894 ; Fischer Unwin, London , 1895( trans . E .F. Poynter )

 

*1897 : The life of Ernest Renan, Methuen , London , 1897 ; La vie de Ernest Renan , Calmann Lévy, Paris, 1898

 

*1901 : Grands écrivains d’Outre Manche, Calmann-Lévy, Paris, 1901

 

*1901 : Collected poems lyrical and narrative, Fisher Unwin, London,1901 ; Kessinger publishing, U.S.A., 2008

 

*1903 : The fields of France, little essays in descriptive sociology, Chapman , London , 1903 ; reed., 1909.

 

*1904 : Return to nature (the), Chapman & Hall, London, 1904

 

*1906 : La Vie de Emile Duclaux, Barnéoud, Laval, 1906

 

*1909 : The french procession, a pageant of great writers, Fisher Unwin, London , 1909 ; Books for library press, Freeport, New York, 1968

 

*1911 : The french Ideal, Chapman , London , 1905 ; Chapman & Hall, London , 1911 ; Books for library press, , Freeport, 1967

 

*1914 : Lettres de Madame de Sévigné, textes choisis et commentés, Plon–Nourrit, Paris,

 

s. d. (1914) ; Spurr & Witt, London , 1927

 

*1918 : A short History of France from Caesar’s invasion to the battle of Waterloo, Putnam & sons, London/New York, 1918 ; Fisher Unwin , London , 1918

 

*1919 : Twentieth Century French Writers, reviews and reminiscences, W. Collins & sons, London , 1919 ; Books for library press, Freeport , New York, 1966

 

*1921 : Victor Hugo, Constable, London , 1921 (Makers of the Nineteenth Century ) ; Plon Nourrit, Paris , 1925 ; Holt, New York , 1921 ; Kennicat press, Port Washington , New York, 1972

 

*1923 : Images & Meditations, a book of poems, Fisher Unwin, London, 1923

 

*1924 : Marie Lenéru, a reminiscence, Macmillan , London , 1924 in Marie Lenéru’s Journal, trad angl de A. Bradley

 

*1925 : Life of Racine (the), Fisher Unwin, , London, 1925 ; trad de l’anglais par Isabelle Monod, Delamain/Boutelleau, Paris, 1940 ; Stock, Paris, 1940

 

*1927 : Portrait of Pascal, T. F. Unwin , London , 1927

 

 

 

Introductions , Préfaces

 

 

* Darmesteter James, Critique et politique, ?, Paris 1895

 

* Darmesteter James, English studies, trad Mary darmesteter, Fisher Unwin, London , 1896 ; Nouvelles etudes anglaises , ? , Paris , 1896

 

* Barrett-Browning Elisabeth , Casa Guidi windows, John Lane, London / New York, 1901 ; Chapman & Hall, London , 1895?

 

* Tooley S. A., La vie de Florence Nightingale, Fishbacher , Paris, 1911, trad de l‘anglais Mme A Salvador & Mme B. Salvador

 

* Robert Browning, Poèmes, Grasset, Paris, 1922

 

* Renan Ernest , My sister Henrietta, trad Lucie Page, T. B. Mosher, Portland , 1900

* Renan Henriette, Souvenirs et impressions, Renaissance du livre , Paris , 1930

 

Divers

 

 

Goneril , nouvelle ,

Articles

Revues (liste non exhaustive)

Cosmopolis (n° 2 , février 1896 ,pp. 393 – 399, James Darmesteter in England)

Edinburgh Review (divers)

English Historical Review , (1889, IV, n° XIII, pp 161 – 167)

Fortnightly Review , (divers)

Gazette des Beaux Arts ,( Août 1897 , pp. 89 – 104, John Everett Millais )

Harper’s Magazine, (octobre 1882, pp. 691 – 701, Dante Gabriel Rossetti)

Living Age [Littell’s living age : divers)

Nation (The) , ( divers)

Nouvelles littéraires (Les), (divers)

Quaterly Review, (divers)

Revue de l’Art ancien et moderne, (n° 14, juil -déc . 1903 , p. 217- 231, Delphine Bernard )

Revue bleue (divers)

Revue hebdomadaire (La), Plon, (divers)

Revue du mois (La) , (divers)

Revue de Paris  ( juin 1896 , Dante Gabriel Rossetti ; mars 1933, George Moore)

Unsere Zeit, (1879, p. 767 -778, Dante Gabriel Rossetti)

Vie heureuse (La) , (divers)

.TLS Centenary archive : ici abrégé T.L.S, ±. 350 articles, 1904 – 1937)

Autour de Mary DUCLAUX

Quelques pistes :

Halévy Daniel , Les trois Mary, Préface aux lettres entre Mary Duclaux et Maurice Barrés, publiées par Daniel Halévy, Grasset , Paris, 1959 

Marandon Sylvaine, L’oeuvre poétique de Mary Duclaux , Pechade, Bordeaux , 1967

Duclert Vincent , Cahiers Jean Jaurès, n° 145 – 147, 1997, pp 73 – 90

Vernon Lee :

Colby Vineta, Vernon Lee , a literary biography, Univ. of Virginia, London, 2003

Gun Peter , Vernon Lee : Violet Paget, Oxford Univ., London, 1964

John Addington Symonds :

Grosskurth Phyllis, J. A. Symonds, Longman , London, 1964

James Darmesteter :

Gaston Paris, James Darmesteter , in Revue de Paris, 1894, 6 (15 novembre) , pp. 483 – 512

Emile Duclaux :

Mary Duclaux, La Vie de Emile Duclaux, Barnéoud, Laval, 1906

Keller – Noellet , Jacques, L’arbre et la forêt , Cidotech, Enghien les bains , 2005

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étude 3

 

 

 

 

 

 

La cause des femmes ?

 

 

 

 

 

Mary Robinson/Darmesteter/Duclaux est poète, critique et historienne. Française et anglaise. Elle est femme et n’a jamais été une féministe militante dans une société où naît le féminisme politique ? Elle s’est pourtant toujours voulue autonome, s’est assurée par l’écriture une certaine indépendance financière, a beaucoup travaillé, à sa façon, dans le champ historico-littéraire , mais n’a jamais revendiqué une place indépendante comme a pu le faire Violet Paget , dite Vernon Lee. Comment la situer , comment s’est-elle située dans le monde ? Qu’a-t-elle pensé du combat des femmes ?

 

 

Elle est aujourd’hui pratiquement inconnue et d’une certaine façon c’est sa faute . A l’ouest de la Manche Mary Robinson est citée par ceux qui s’intéressent aux préraphaélites ou à Vernon Lee. A l’est, la trace de Mary Duclaux n’est pas mentionnée, même très humblement, à coté des poétesses ou romancières dont les noms figurent dans l’histoire littéraire avant 1914. Les articles qu’elle a écrits pour le Times Literary Supplement ne sont pas signés . A-t-elle disparu des deux cotés ? A partir de son départ de Florence elle semble rester en marge du monde.

 

Elle est restée cachée sous trois noms différents sur lesquels glose Daniel Halévy et n’a jamais pris de nom de plume ! Les critiques de ses œuvres, quand on en rencontre, sont réduits à mettre entre parenthèses , après le nom auquel ils se réfèrent , celui sous lequel ils pensent qu’elle sera reconnue par leurs lecteurs ; les grandes bibliothèques de référence font de même. Ces acrobaties sont anecdotiques , mais significatives. Qui , en France, connaît Mary Robinson ? En Angleterre qui connaît Mary Duclaux ? Et nous ne parlerons pas de Mary Darmesteter.

 

 

A-t-elle voulu cette situation ? L’a-telle laissé se créer sans réagir ? Qu’a-t-elle pensé des autres femmes qui, elles, réagissaient ?

Comment vit-on, comment se voit-on, quand on veut à la fois être soi, être un individu autonome, et qu’on porte en public des masques différents, liés aux hommes avec qui on a vécu ? Pourquoi accepte-t-on cette situation, et, si on l’accepte, comment la gère-t-on ?  

 

 

Le contexte

 

 

Identité et liberté ? Le nom du père ? Et du mari ?

 

 

Comment être libre quand la loi vous impose de dépendre d’un homme ? Comment être libre quand on est seulement fille, épouse ou veuve de… ? Ce qui est la situation normale dans la bourgeoisie anglaise ou française, au pouvoir entre 1870 et 1940.

 


La femme n’y a d’existence sociale que par l’intermédiaire de son père, puis de son mari. Ce n’est pas vraiment nouveau, telle a toujours été la situation dans l’ancien régime, aussi bien en Angleterre qu’en France. Au siècle des lumières le « père fondateur » de la liberté individuelle et de la révolution française, Rousseau, considère la liberté comme une donnée pour l’homme , mais pas pour la femme . « Femme, honore ton chef : c’est lui qui travaille pour toi, lui qui te nourrit …  En devenant votre époux Émile est devenu votre chef : c’est à vous d’obéir, ainsi l’a voulu la nature ».(1) « L’auteur du Contrat social .., nous rappelle Elisabeth de Fontenay, a expressément rejeté hors du pacte fondateur la moitié de l’humanité, faisant du mariage et de la maternité non pas la condition de la participation à la volonté générale, ce qui aurait été jusqu’à un certain point acceptable , mais le substitut de la citoyenneté  … Le plus décisif d’entre les textes majeurs de la littérature politique, le Contrat social, ne se construit que de les expulser. …. La liberté rousseauiste détruit les femmes bien plus sûrement encore que l’ascèse chrétienne ou la courtoisie mondaine contre lesquelles elle s’instituait »

 

Sur de telles fondations nous étonnerons nous de la position anti-émancipatrice de Proudhon ? Et des hésitations des syndicalistes des métiers du livre ? Faut-il autoriser les femmes à participer à leur travail, à leur syndicats  (2)? Sauf exception remarquable, le refus de la liberté des femmes se lit du haut en bas de la pensée politique, de la gauche à la droite.

Comment, dans ce contexte, une bourgeoise intellectuelle peut-elle assurer sa liberté ? Le plus simple et le plus sûr est de composer avec la situation, ce qui était bien dans la manière de Mary. « Refuser d’être l’autre, refuser la complicité avec l’homme, nous dit Simone de Beauvoir(3) , ce serait pour [les femmes] renoncer à tous les avantages que l’alliance avec la caste supérieure peut leur conférer ». Car « Outre les pouvoirs concrets qu’ils possèdent, ils [les hommes] sont revêtus d’un prestige dont toute l’éducation de l’enfant maintient la tradition » . Certaines féministes ont osé, comme Louise Michel ; elles l’ont payé fort cher et Mary n’avait pas cette sorte de courage .

 

Cette acceptation entraîne deux conséquences, l’une symbolique et l’autre culturelle. Un : il faut accepter de ne pas avoir d’identité propre, de n’exister pour le monde que sous le nom d’un autre ! Que se passe-t-il si cet autre change ? Deux : parce que prioritairement en charge aux yeux de tous d’autre chose que d’action publique, il faut accepter d’avoir bien des difficultés à atteindre le niveau supérieur dans sa spécialité : ce que nous appelons aujourd’hui le « mur de verre » . « Si (le) rôle collectif joué par les femmes intellectuelles est important, leurs contributions individuelles sont dans l’ensemble d’un moindre prix., nous rappelle Simone de Beauvoir. C’est parce qu’elle n’est pas engagée dans l’action que la femme a une place privilégiée dans les domaines de la pensée et de l’art ; mais l’art et la pensée ont dans l’action leurs sources vives . Être située en marge du monde, ce n’est pas une situation favorable pour qui prétend le recréer »

 

 

La référence au nom renvoie chacun au « nom du père » ; c’est si bien un truisme, une donnée si parfaitement immanente que personne ne semble jamais s’en apercevoir, encore moins la mettre en cause. Il est amusant de lire sous des plumes éminentes des pensées du genre suivant : « La mort du père enlèvera à la littérature beaucoup de plaisir. S’il n’y a plus de père, à quoi bon raconter des histoires ? Tout récit ne se ramène-t-il pas à l’Œdipe ? Raconter, n’est-ce pas toujours chercher son origine, dire ses démêlés avec la Loi, entrer dans la dialectique de l’attendrissement et de la haine ? » (4) . Si nous lisons bien, la mère , qui est tout de même pour quelque chose dans notre origine, n’est aucunement susceptible de créer des « démêlés avec la loi » ni de nous faire « entrer dans la dialectique de l’attendrissement et de la haine », tous éléments qui peuvent être au départ d’une fiction littéraire forte. Le lecteur, ou plutôt la lectrice, un peu ému(e), a envie de référer M. Barthes à Hervé Bazin ou à François Mauriac (5)

 

A l’époque de Mary, rares sont celles qui, loin de revendiquer, posent le problème : peut être parce qu’elles le jugent mineur, ce qui est se tromper sur la place du symbolique . Une de celles qui l’ont fait est Gertrude Stein qui appartient à la génération suivante(6). Celles qui se la sont posée, ont souvent répondu par un nom de guerre –ou de plume – comme l’a fait Camille Marbo qui en remercie son époux , Emile Borel (7)  . Les hommes se choisissent des noms de plume, pour avoir deux existences aussi autonomes l’une que l’autre et non pour affirmer l’autonomie d’une seule . Ce qu’avait fait Marguerite Borel, Mary eut pu le faire, ne fut-ce qu’en reprenant comme nom de plume celui de Robinson sous lequel elle était connue. Elles avaient une génération de différence , soit ! Mais d’autres l’avaient fait avant elles , ne fut-ce que George Sand, George Eliot ou Vernon Lee . Pourquoi n’avoir pas suivi leur exemple ?

 

S’agit-il d’une forme de reconnaissance pour les hommes qui l’ont choisie et l’ont aimée : ce n’est pas leur faute si la mort les a empêchés de faire à leur amie la place dont ils la jugeaient digne. D’une certaine façon, elle s’est sentie responsable d’eux après leur disparition ; sa vie et son travail leur assuraient une forme de survie : peut-on penser qu’abandonner leur nom eut été vécu par elle comme une sorte de trahison ? Cette explication affective ne paraît pas suffisante. Simone de Beauvoir a pris en charge l’image et l’œuvre de Sartre après sa mort, cela ne l’a pas empêchée de continuer son œuvre et sa vie personnelle. Le problème se pose de l’image qu’une femme comme Mary a de soi et du rôle qu’elle joue dans la société.

 

 

Des contraintes sociales ! une image ! des stéréotypes !

 

 

Des deux cotés du channel, la bourgeoisie triomphante partage en gros le même modèle des relations entre hommes et femmes : mariage de convenance, rôle de l’argent dans la décision qui , même si on lui demande son avis, échappe à la jeune fille, relations codifiées et surveillées, etc. La femme arrive « pure » au mariage (8) , ce qui présente de temps à autres quelques inconvénients   (9); un des points les plus étonnants de cette époque est le silence qu’elle s’impose sur la question des relations intraconjugales . Sur tous ces points , Mary Robinson ne diffère pas de ses contemporaines : rien dans les écrits qu’elle a laissés ne nous permet de dire comment, au plan physique, elle a vécu ses deux mariages

 

Le rôle de la bourgeoise se borne à la tenue du foyer, il n’est jamais nommé travail ; elle a, comme l’homme, des obligations mondaines : visites, tenue d’un « salon » et d’un « jour »  ; obligations charitables vis-à-vis des pauvres et des malades , etc. Dans ce modèle , seules les obligations charitables offrent un espace de liberté et de pouvoir (10), à condition de s’inscrire dans les institutions existantes qui en assurent évidemment le contrôle . (11)  A partir de la guerre de 1914, Mary, comme beaucoup d’autres, utilisera cet espace de liberté . Liberté des « dames d’œuvre » ! C’est un peu court.

Pendant toute la durée de l’existence de Mary les efforts des « féministes » n’obtinrent aucun résultat convaincant, surtout en France ; le mélange des idées reçues, des inquiétudes bien pensantes sur les dangers du libéralisme moral possiblement lié à la séparation de l’église et de l’état, le retour à la tradition fondé sur l’antisémitisme (12)  et la peur du socialisme, contribuèrent à faire de l’émancipation des femmes un thème politique sans grand espoir ; la grande guerre justifia la politique nataliste, bâtie sur le maintien de la femme au foyer. Ce sont des tendances de fond de la société française. La première révolte philosophiquement et sociologiquement construite, est celle de Simone de Beauvoir : nous sommes en 1949, cinq ans après la mort de Mary. Face à ces tendances que pouvait elle faire ? Vivre en marge du système comme Violet Paget ? Ou se créer une voie personnelle en s’appuyant sur son bon sens, son horreur du désordre et la conscience de l’inutilité d’une bataille contre le « cosmos », i. e. la nature des choses , composée de contraintes physiques , physiologiques , sociales et morales.

La pensée bourgeoise vit sur des images toutes faites de la « Femme » : Geneviève Fraisse(13) dénombre trois  stéréotypes : la madone, la séductrice, la muse. Le premier et le dernier sont des banalités préraphaélites : Mary Robinson a connu sur le tard les muses du mouvement, elle n’était pas mal placée pour juger des contraintes qui se cachaient sous ce poétique idéal. Elle ne s’est pas refusé totalement le rôle de madone, mais ce fut auprès de James Darmesteter, il y avait quelques raisons à cela . Avec Émile Duclaux elle a clairement réglé le problème et choisi le rôle de compagne . Quant à celui de séductrice ? L’idée lui paraissait légèrement ridicule ; elle eut eu horreur d’une telle facilité.

Ne pas se conformer à l’image commune est risqué, Mary le savait, qui prit avec une indignation masquée la défense de Camille Claudel dans les lignes du Times . Elle n’a jamais assumé un tel risque : sa position favorite est le rôle d’associée et de compagne. Ce qui est conforme à la pensée des intellectuels comme Ruskin mais ne met pas en danger l’ordre moral.

 

 

Cet ordre connaissait de timides avancées, surtout dans le monde anglo-saxon, qui acceptait une certaine libération des rapports filles – garçons et préconisait leur éducation.

 

Sur ce point précis, l’histoire est assez différente en Angleterre et en France. La France de Duruy mettra l’accent sur la laïcité, pour libérer les femmes de l’influence religieuse, mais ne fera pas d’effort particulier sur les contenus et les objectifs de l’éducation  : il était déjà difficile de s’opposer aux références catholiques, on n’allait pas en plus s’opposer à une morale communément acceptée en admettant qu’on en eut eu l’envie. L’Angleterre libérale a eu une autre réaction. Les premières universités féminines sont fondées en Amérique et en Angleterre dans la seconde moitié du 19 ème siècle ; dès 1865 Cambridge ouvre ses examens aux étudiantes , sans que cela leur donne l’accès aux grades , ce qui ne fut fait qu’en 1875 . (14) Mary Robinson, l’anglaise, profita de cette opportunité et elle en fut fière(15) . Elle reçut de l’université une formation de haut niveau, qui étonnait les dames du Femina, moins favorisées. C’était une formation équivalente à celle qu’aurait eue son frère s’il avait existé, mais pas une qualification, encore moins un titre utilisable sur le marché : éducation, oui, concurrence non . Et cette concurrence, il ne semble pas que Mary l’ait vraiment souhaitée.

 

A ces contraintes sociales, à ces stéréotypes, s’ajoutent des considérations plus ou moins scientifiques. «  La femme du XIX è siècle est une éternelle malade, nous disent les auteurs de l’Histoire des femmes en occident. La médecine des lumières présente les étapes de la vie féminine comme autant de crises redoutables, même indépendamment de toute pathologie. Outre la grossesse et l’accouchement, la puberté et la ménopause constituent aussi désormais des épreuves plus ou moins dangereuses, et les menstrues, blessure des ovaires, ébranlent, dit-on, l’équilibre nerveux. Toutes les statistiques prouvent en effet que les femmes subissent , au XIX è siècle une morbidité et une mortalité supérieure à celle des hommes » (16). Les femmes – dont Mary – avaient bien intégré cette donnée.

Dans les lettres à sa mère Mary spécifie d’innombrables fois qu’elle est retenue à la maison pour tel ou tel malaise ; les missives d’Émile Roux contiennent de nombreuses exhortations à prendre soin de sa santé. Cent ans après, chose curieuse, il y a beaucoup moins de malaises et ils n’empêchent pas les intéressées de participer à une vie publique active. . Dans sa correspondance, non destinée à la publication, Mary nous parle de ses maux avec une parfaite innocence ; les recommandations de Roux sont tout à fait sincères, aucun des deux ne semble soupçonner qu’il y a peut être là matière à se poser des questions. Peut on suggérer que, dans un milieu bourgeois, scientifique et éclairé, l’influence de la médecine est forte : si une autorité vous dit que vous êtes malade, vous finissez par le croire. Les paysannes, elles, qui n’avaient guère accès au médecin , étaient bien moins malades ; pourtant elles aussi mourraient jeunes. Ce qui pourrait conduire à penser, non pas que ces maux étaient imaginaires – la médecine contemporaine a fait des progrès sur les phénomènes psychosomatiques – mais que les femmes les exagéraient parce que c’était un de leurs rares moyens de pression : l’exemple de Mary prouve que tel était parfois le cas

 

La première rencontre littéraire de Mary Robinson avec la condition féminine s’appelle Maria Branwell, mariée à 21 ans à Patrick Brontë, mère de six enfants sept ans plus tard, enclose dans le vicarage de Haworth, malade et  très faible : « pour compagnie elle n’avait que ses enfants » . Quant à leur père, « la femme à qui  il avait si chaudement fait l’amour repoussait son impulsive tendresse ; son devoir était [pourtant] d’être disponible quand il avait besoin d’elle » (17)  . Belle évocation d’un avenir possible!

 

 

Une nature fragile ! Un destin de maladie et de mort ! On comprend qu’ait reculé une jeune femme pourtant favorisée par le sort. La seule conclusion qui s’impose, c’est que, dans le contexte des dernières années du dix neuvième, Mary se sentait handicapée par sa fragilité, réelle ou supposée, et que cela peut jouer un rôle dans son histoire.

 

 

Un appui ? La pensée des intellectuels

 

 

Pourtant la société contemporaine propose des appuis. Voyons, en Angleterre, Ruskin, un des premiers défenseurs des préraphaélites (18)  . La femme n’est pas « le serviteur de l’homme » ; elle a été faite pour être sa partenaire et ne devrait pas être considérée comme une esclave (slave : sic) . « Son rôle est guider plutôt que diriger ; le pouvoir de l’homme est activité , défense, progrès . Il est surtout acteur, créateur, découvreur, défenseur ; son intelligence va vers l’invention, son énergie va vers l’aventure, la guerre et la conquête ; la capacité de la femme est tournée vers l’autorité, non vers le combat et son intelligence est faite non pas pour l’invention ou la création mais vers une douce organisation, une régulation, un jugement » .

 

La femme est donc  –à peu près –  l’égale de l’homme, à condition que ce soit à côté ou en arrière de lui, en situation passive de non intervention, bref toujours par rapport à lui. L’autonomie n’est pas dans l’air du temps. Pourtant George Eliot , Harriet Martineau ou Elisabeth Barrett-Browning  ont mené – comme Mary l’ a fait sans vouloir l’avouer – une carrière d’écrivain professionnel et, remarquons le, deux d’entre elles sont l’objet de l’admiration active de Mary . Dans ces conditions, où diable les femmes peuvent-elles trouver « l’autorité pour parler  ? » : il y a en effet contradiction entre autorité et absence d’autonomie (19). L’ambivalence est latente qui combine résistance et complicité face au pouvoir masculin : le travail des femmes irait aussi loin que le leur permettrait la culture centrée sur le mâle, malgré – ou à cause de – leur résistance à l’asservissement. Cette analyse est intéressante, en y ajoutant , concernant Mary Robinson, que, si elle a jamais ressenti un sentiment d’asservissement, elle l’a soigneusement occulté, sciemment ou non, et a pu le faire à cause de la nature généreuse et libérale des trois hommes qui ont compté dans sa vie , son père et ses deux époux. Toute femme de cette époque qui a voulu exister par elle-même a du se forger sa propre voie contre , à travers ou en tenant compte des préjugés des hommes qui comptaient pour elle.

Que pense-t-on en France ? On n’a que l’embarras du choix . Auguste Comte, vers 1840 ?  : les femmes sont « dans un état d’enfance radicale » ; elles sont non les égales, mais les compagnes de l’homme, enfermées dans la sphère privée ; leur nature est affective et la femme est un « ange » pour l’homme (Clotilde de Vaux) , une déesse pour l’humanité (20)  . Proudhon ? : «  Entre la femme et l’homme il peut exister amour, passion , lien d’habitude et tout ce qu’on voudra, il n’y a pas véritablement société. L’homme et la femme ne vont pas de compagnie. La différence des sexes élève entre eux une séparation de même nature que celle qui s’élève entre les animaux. Aussi, bien loin d’applaudir à ce qu’on appelle aujourd’hui émancipation, inclinerais-je bien plutôt, s’il fallait en venir à cette extrémité, à mettre la femme en réclusion ». N’oublions pas l’église : dans l’encyclique  Arcanum Léon XIII écrit : « L’homme est la tête de la femme comme le Christ est la tête de l’église » (21)  . Et Anatole France, un des maîtres à penser de la génération suivante, que disait-il ?  « Si j’étais de vous ,[femmes], j’aurais en aversion tous les émancipateurs qui veulent faire de vous l’égale de l’homme . Ils vous poussent à déchoir. La belle affaire pour vous que d’égaler un avocat ou un pharmacien ! … Tout n’est pas perdu : on se bat, on se ruine, on se suicide encore pour vous ; mais les jeunes gens assis dans les tramways vous laissent debout sur la plate forme. Votre culte se meurt avec les vieux cultes » (22)On ne saurait être plus galant, ni plus réactionnaire ! Ce dernier type d’attitude n’était pas complètement étranger à Mary ; après tout elle en profitait , imitant en cela beaucoup de ses compagnes.

En face, quelques exceptions, Dieu merci : Stuart Mill en Angleterre, Taine en France. Mary avait été l’élève de Taine, comme James Darmesteter ; elle resta jusqu’à sa mort en relation amicale avec sa famille.

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De Stuart Mill, elle avait lu les textes écrits avec sa compagne, puis épouse, Harriet Taylor, entre 1832 et 1869(23). Pour eux la condition des femmes dans la société et le mariage est un « assujettissement », voire un « esclavage » ; la liberté individuelle est le droit des femmes comme des hommes. Cette volonté de liberté, si elle n’a jamais été exprimée par Mary, se lit entre les lignes de sa vie  avec le refus du mariage , jusqu’à ce qu’ elle rencontre – par deux fois – celui qui la reconnaîtra comme libre et en fera son amante/amie et sa « compagne » : le mot se retrouve dans la correspondance.

 

Cette liberté dans le mariage, dont les Mill sont un exemple, est plus importante que la liberté politique, elle concerne la vie quotidienne et conditionne le reste. Plus que le couple Mill, le modèle de Mary est le couple Browning qui fut tant admiré. Les deux couples sont féministes, autant qu’on peut l’être à l’époque. On ne sait pas ce que James Darmesteter a pensé d’une telle demande de liberté, il n’a pas eu le temps de répondre à la question. Et ce n’était pas vraiment le style d’Émile Duclaux, qui n’a pas eu le temps non plus. Les époux Browning ou Mill étaient deux pour faire face au monde ; Mary s’est retrouvée seule. Sans aide elle n’était pas prête à mener ouvertement ce combat.

Taine était manifestement plus proche, en tant qu’ami et maître d’abord, en tant que penseur ensuite ; ils avaient en commun cette forme de recul qui s’appelle l’humour et qui permet de supporter l’inadmissible et le ridicule. Lisons Thomas Graindorge, porte parole de Taine, qui veut décharger les parents français de leurs peines à marier leur fille : « C’est avec un profond sentiment de commisération et de regret qu’un observateur impartial contemple aujourd’hui les soucis des familles françaises à propos de la plus grande affaire de la vie,  j’entends le mariage. Dans les autres pays, en Allemagne, en Amérique,(24) les jeunes gens choisissent par eux mêmes, on les laisse se promener ensemble et se connaître … » Et de proposer la création d’une agence publique d’échange, une « bourse » qui « publierait le nombre et l’espèce des inscriptions, tant mâles que femelles ; … un cours s’établirait comme pour les autres valeurs » . Taine a peut être une vision un peu idyllique du monde anglo-saxon, mais il est sûr que Mary Robinson, jeune fille anglaise, a profité d’une liberté d’action bien supérieure à celle de ses contemporaines de l’autre côté du channel. Taine était un grand admirateur des mœurs anglaises et de l’éducation qu’elles assuraient ; sur ce point aussi il se rencontrait avec Mary. L’humour de Taine et de son milieu l’a sans doute aidée à prendre du recul par rapport à ces problèmes.

Mary a-t-elle rêvé d’être un écrivain professionnel ? Ce qui est sûr c’est qu’elle était plutôt fière d’avoir pu le devenir. Le journalisme devient un gagne pain après la mort d’Émile : un gagne pain seulement. Elle ne se voit pas en Marguerite Durand, encore moins en Séverine, et ce n’est pas seulement une question de classe sociale. Elle ne veut pas se battre pour une reconnaissance extérieure. Dans le milieu intellectuel qui est le sien, elle se sent reconnue, apparemment cela lui suffit.

Intellectuelles dans le champ français. Participation de Mary Duclaux

 

 

Les femmes apparaissent timidement dans la vie littéraire « officielle » du vingtième siècle : trois exemples : le salon de Daniel Halévy – qui n’était pas uniquement littéraire , ce qui fausse sans doute la perspective , les femmes ne faisant pas de politique « au grand jour» ; les décades de Pontigny ; le prix Femina , qui doit son existence au refus des Goncourt .(25)

 

 

Il est amusant – et instructif – de compulser l’étude exhaustive de Sébastien Laurent sur Daniel Halévy.(26) ou tout simplement d’y consulter l’index des noms propres. Sur les 897 personnes citées, chiffre impressionnant, 840 sont des hommes et 57 des femmes, soit grosso modo entre 6 et 7 % ! Cela veut-il dire que Daniel Halévy connaissait une seule personne du sexe dit faible contre dix du sexe dit fort ? Que nenni, évidemment ! Il n’y a pas de raison non plus de taxer M. Sébastien Laurent d’aucune forme de sexisme. Tout simplement, pour celui qui étudie – oh combien sérieusement ! – la vie d’un homme public entre 1900 et 1960, les faits significatifs sont liés à des rencontres d’hommes, non de femmes . C’est un constat bêtement mathématique, sur lequel chacun peut porter un jugement de valeur. L’apparition d’une femme, autre qu’ornementale, est exceptionnelle et Mary n’a jamais revendiqué d’exception pour elle-même : elle eut jugé cela de mauvais goût !

L’ « Union pour l’action morale et la vérité », qui précéda les décades de Pontigny, organisait avant la guerre de 1914 des réunions autour des problèmes de l’université populaire, auxquelles participaient activement le mari et le beau fils de Mary  ; en 1892 aucune femme n’y figure ; en 1910 l’entrée des femmes fut l’objet de discussion entre les organisateurs des rencontres ; entre 1919 et 1939 seules trois femmes participent . Quant à Pontigny, deux femmes jouent un grand rôle dans les « décades » organisées par Paul Desjardins ( 27) : sa femme et sa fille. Autant dire qu’elles s’occupent surtout de l’intendance. Entre les deux guerres nous y rencontrons quelques femmes : des anglaises traductrices d’œuvres françaises, et deux qui nous sont mieux connues : Violet Paget (Vernon Lee) et sa vieille amie , Mary Duclaux, elle même assez amie avec les Desjardins pour les recevoir à sa table.  Des américaines parmi lesquelles Edith Wharton et Elisabeth Shepley Sergeant, sociologue et journaliste . Cette dernière décrit l’atmosphère de la décade de 1912 , dont le thème était « philosophie, religion , histoire » : « les dames, autant que je pusse en juger par le regard que je jetai autour de moi, semblaient être plutôt en majorité, comme l’avait été l’autre sexe à la décade sociologique deux ans plus tôt. Les femmes, avait suggéré M. Desjardins, recherchent davantage les consolations de la philosophie que ne le font les hommes »(28) Les raisons de leur présence, selon  Desjardins, étaient donc plus affectives que scientifiques!

Petit à petit, entre les deux guerres, l’habitude de la mixité est prise et la participation de plus en plus active. Cela reste marginal et concerne surtout la génération qui suivit celle de Mary Duclaux ; à son époque, avant et juste après la grande guerre, Mary a fait partie des « happy few » qui participent. Elle n’en tira aucun bénéfice et n’en parla presque jamais1 , ce qui est caractéristique de son attitude, « du haut de son balcon » comme elle l’a dit ailleurs.

Le jury Femina est un tout autre cas . Par définition il est composé des femmes qui fondèrent un prix car les Goncourt refusaient de les considérer ni comme lauréats possibles, ni comme membres du jury. Camille Marbo, qui fut lauréate et membre du jury Femina, était bien connue de Mary car elle était la belle sœur de Jacques Duclaux ; elle fait dans ses mémoires une amusante présentation du jury : « Caroline de Broutelles, créatrice et directrice de trois revues féminines, s’occupait avec ferveur du prix Femina – dénommé en 1904 Prix Vie heureuse – du nom de l’une des publications Hachette. Elle en avait été l’instigatrice, voulant protester contre la décision du jury Goncourt de ne couronner aucune femme. Au début, vingt femmes avaient été choisies par elle : la comtesse de Noailles présidait ce cocktail qui comprenaient une douzaine d’écrivains authentiques, quelques dames titrées ayant écrit un ou deux romans dans une revue lue par les gens du monde, et des femmes ou veuves d’époux glorieux. Il convient de citer l’ « exploratrice » à propos de laquelle on chantait dans une revue de Rip :

« Et un p’tit, vieux, j ’sais pas pourquoi

 

Qu’chez nous on nomme Mame Dieulafoy »

 

connue dans tout Paris, plus que par ses écrits, par sa vêture. Elle portait un petit toupet masculin et s’habillait rigoureusement en homme, en veston ou en habit, avec pantalons rayés ou noirs, ce qui nécessitait, au début de ce siècle, une autorisation préfectorale. … »(30)

 

 

Camille Marbo [Marguerite Appell, épouse d’Émile Borel) écrit évidemment pour amuser son public ; d’où le caractère anecdotique et le ton d’ironie sous-jacente. Le lecteur d’aujourd’hui est tout de même porté à se demander si ce ton n’a pas aussi pour but , volontairement ou non, de prendre ses distances vis-à-vis d’une institution considérablement brocardée à l’époque : de quoi se mêlaient ces bonnes femmes ? On retrouve un style semblable dans les comptes rendus faits au T. L.S. par Mary , mais là l’ironie porte sur l’institution des jurys littéraires et leur fonctionnement, non sur un seul jury. 

On trouve peu d’études sur le jury Femina – Vie heureuse, dont les archives antérieures à la fin de la deuxième guerre mondiale auraient été perdues (31) . Mary Duclaux faisait partie du jury depuis sa fondation en 1904 , avec Anna de Noailles, Juliette Adam, Julia (Alphonse) Daudet, Lucie Delarue Mardrus, , Lucie Félix Faure –Goyau, Claude Ferval, Séverine, Marcelle Tinayre, et, enfin, Jane Dieulafoy. Le jugement ironique de Camille Marbo est un peu injuste, du moins pour ce groupe de départ, sauf peut être pour Julia A. Daudet dont la célébrité littéraire se borne à avoir été accusée d’être parfois le porte plume de son époux . Toutes les femmes qui composent la liste ci-dessus écrivaient, certaines vivaient plus ou moins de leur plume ; et après tout si on consulte la composition du jury Goncourt à la même époque, combien de membres sont encore lus, y compris les Goncourt eux-mêmes , dont la célébrité tient aujourd’hui plus au prix qu’ils ont fondé qu’à leurs ouvrages , ce qui est sans doute injuste ?

Mary Duclaux(32) aurait été membre du jury dès le début en 1904 ; on retrouve ses traces en 1935 : à cette date elle avait 77 ans ; elle pouvait prendre sa retraite . Elle prit sa tâche au sérieux et fournit un gros effort de lecture, à l’instar de ses consœurs. Les lecteurs du Times en profitaient . En 1936 elle leur présente son travail (33) : chaque membre d’un jury – c’est pareil pour le Goncourt – reçoit une centaine de livres ; « naturellement il est parfaitement impossible de porter en moins d’un mois un jugement adéquat sur le mérite d’un tel nombre d’ouvrages qui tentent de marier l’Art et la Nature (Intéressante définition du roman !). Au mieux si on en lit vingt ou trente, et qu’on survole le reste, on peut en tirer une idée sur les tendances du roman contemporain… et en sortir, non pas meilleur, mais l’esprit un peu terni par l’impression d’avoir commis une injustice involontaire, car peut être le chef d’œuvre était-il le volume – très mal imprimé – que nous avons laissé de côté : habent sua fata libelli » En 1910 elle avait déjà gémi sur l’arrivée de la saison des prix alors que personne ne lit plus. Ils tombent sur les rayons des librairies comme les « feuilles jaunes de l’automne » (34) . Ce qui ne l’empêche pas, et ne l’empêchera jamais de faire une recension documentée des premiers livres de la saison et de tenter d’éclairer son lectorat sur les tendances littéraires en France.

Si quelqu’un prenait au sérieux le rôle du jury Femina, ce qui est rarement le cas, sauf à l’automne où l’attribution du prix est garante d’un tirage  conséquent et de la somme qui va avec, ne serait-il pas amené à penser qu’une présence aussi constante sur une trentaine d’années n’a pas été sans avoir une certaine influence sur la vie littéraire ? Sauf à penser qu’un jury composé de femmes peut servir à distribuer des enveloppes , certainement pas des jugements de valeur .

 

 

Agir ? Modèles et contre modèles

 

Depuis sa jeunesse Mary a rêvé d’action . Mais comment agir ?

La jeunesse italienne de Mary eut un modèle, combien prégnant. Or la position de Vernon Lee vis-à-vis du féminisme est ambiguë . Elle est exposée dans Gospels of Anarchy and Other Contemporary Studies( 35). Vernon a horreur du militantisme et du prosélytisme, fussent ils en faveur d’une cause qu’elle soutient ; et ce pour des raisons esthétiques : « une très faible connaissance de l’humanité et un très bas degré de compétence historique suffisent pour constater que ce ne sont pas les humains les plus équilibrés, lucides, élégants et aimables que la Providence utilise pour attaquer et peut être détruire les maux sociaux depuis longtemps installés [dont le machisme évidemment]… Les premiers saints, si l’on en croit Saint Augustin et la Légende dorée, ont dû être d’épouvantables cuistres, indifférents à toute affection familiale, à la grande littérature [et] à l’hygiène ; les prophètes hébreux étaient dépourvus de l’intelligente indulgence de M. Renan pour …disons les attendrissants plaisirs de la reine Jézabel »(36) ; la situation des femmes est certes un « mal social » mais le féminisme est soutenu par des individus « confus et coupés de leur héritage, qu’attire tout mot terminé en ism »   Bref les féministes contemporains sont incultes et ridicules.

 

 

Pour Vernon la question des femmes doit être pensée dans un contexte plus large, à partir d’une réflexion sur les autres civilisations, sur la nécessaire empathie avec tout être vivant (comme le François d’Assise des  Laudes omnium creaturarum), et sur l’évolution, au sens darwinien du terme, ce qui est une position assez moderne, et la conduit à penser que les différences entres les « races » sont plus importantes que celles entre hommes et femmes d’une même race  : la condition de la femme est plus liée aux conditions économiques de l’époque et du lieu qu’à une différence d’ « essence » . « La Femme est une survivance de l’âge prédarwinien …, une relique de la philosophie médiévale : il n’y a pas d’essence de la Femme .. plus que de « virtus dormitiva” dans l’opium » Donc ne pas parler de « la Femme » mais « des femmes » , et toujours dans un contexte donné. Mary a la même confiance que Vernon en une évolution –lente – des sociétés, position qui permet de supporter la bêtise ambiante et d’éviter une révolte –inesthétique et inefficace – contre le la pensée commune et le « cosmos ».

 

 

 Évolution à favoriserVernon fait remarquer queles femmes ont toujours travaillé, non pas pour la consommation au sens large, évaluée par les jugements du marché mais pour la consommation d’un seul homme, évaluée par les préférences de cet homme : elles ont donc travaillé sans développer les qualités que la compétition a construites chez le travailleur mâle et ne peuvent atteindre le degré d’efficacité qui résulte de la compétition et de l’ éducation professionnelle, elle-même un résultat de la compétition. Ici nous rejoignons Simone de Beauvoir. Pour conclure avec Vernon que « la seule chose certaine pour l’avenir des femmes est qu’il faut les débarrasser de leurs incapacités légales et professionnelles et leur donner une chance , non pas de devenir différentes de ce qu’elles étaient , mais au moins de montrer ce qu’elles sont en réalité ». Comme Vernon, Mary a toujours travaillé : le mot travail est une des clefs de sa correspondance, cela ressort non d’une position théorique, qu ‘elle n’a jamais prise publiquement, mais de son admiration pour celles qui ont réussi à « montrer ce qu’elles sont » malgré les difficultés. Vernon, pas plus que Mary, n’est prête à prendre dans ce but d’autres risques que celui d’y travailler par ses ouvrages. Ni l’une ni l’autre ne sont des révolutionnaires, elles auraient eu horreur d’une telle idée ! 

Le contre modèle peut prendre la forme d’une vieille amie/ennemie de Mary, Anna de Noailles . Catherine Pozzi, qui l’oppose dans ses mémoires à Mary Duclaux, la nommait la « dame des exagérations éblouissantes » ou « Anna de Nouille » , se référant à la médiocrité de la quête incessante du succès , littéraire et mondain , qui est celle d’Anna de Noailles. Envieuse et peu intelligente, tel est le portrait que Catherine fait d’elle. Mary est-elle plus indulgente ? Elle la considère avec un détachement ironique :Madame de Noailles a répandu une vingtaine de poèmes , comme des bouquets de roses et de bourgeons de cyprès, sur les pages de douzaines de revues, mais sa préoccupation la plus grande est la terrible énigme : vais-je vieillir comme les autres , et si non , dois-je mourir ? Préoccupation qui brouille devant ses yeux le grand spectacle de la guerre », écrit Mary dans Twentieth century French writers , juste après 1918. Bref Anna serait une ravissante sotte arriviste, même si douée d’un sens certain du langage poétique : précisément ce que Mary n’a jamais voulu être.

 

Le rôle d’épouse et de mère au foyer a été rejeté par Mary dès le départ ; la révolte n’a jamais été pensée. La littérature s’est imposée à l’adolescence. Mais  ni Vernon, malgré la tentation de l’amour, ni Anna de Noailles, malgré ou à cause de ses succès, ne pouvaient être des références . Pas vraiment de modèle ! Il faudra donc à Mary trouver sa propre voie en tant que femme et en tant qu’écrivain.

Ce que dit l’histoire

 

Mary s’est intéressée à des hommes, certes . Mais surtout à des femmes. Lesquelles  ? Des poétesses : Emily Brontë, Elisabeth Barrett Browning en Angleterre, Marguerite d’Angoulême en France. Des écrivaines : Madame de Sévigné, Henriette Renan .. Une femme d’action : Florence Nightingale. Avec quel succès ? Six éditions d’Emily Brontë, dont une récente ; quatre éditions de Marguerite d’Angoulême plus une traduction anglaise des Nouvelles ; deux éditions de Sévigné. Les deux autres femmes ont inspiré des préfaces , dont deux différentes pour Renan . Ces choix de travail situent des préférences, ils ne peuvent être confondus avec les critiques parues dans les revues, qui relèvent de la littérature de circonstance, parfois de la littérature alimentaire. Pourquoi ces femmes ? Qu’est-ce que Mary admire dans leur histoire ?

D’abord, curieusement, leur action. Nous admirons le plus ce qui nous est impossible ! L’action et le sens politique qui va avec.  Aussi bien en Angleterre qu’en France, pour peu qu’elles n’aient d’autre ambition que de servir, les femmes, filles et sœurs de roi, se sont mêlées de politique et souvent de façon fort utile. C’est le cas de Marguerite d’Angoulême, duchesse d’Alençon, épouse d’Henri II d’Albret et grand-mère de Henri IV, qui en eut souvent l’occasion avec sa mère Louise de Savoie, ne fut-ce que lorsque toutes deux se trouvèrent à la tête du royaume quand leur fils et frère François fut fait prisonnier à Pavie.

Mary admire Marguerite et le soutien qu’elle apporte aux artistes et intellectuels du temps, à Paris à la cour de son frère d’abord, puis à la cour de Nérac. Cette action relève plus de l’influence que d’une activité personnelle, elle passe par son frère bien aimé, les ministres de son frère et le collège de France dont la fondation lui doit beaucoup . Mary se retrouvait en elle, lorsqu’elle pensait pouvoir aider l’Institut Pasteur à travers Émile Duclaux ; elle fait elle-même le rapprochement dans sa biographie de Marguerite : le collège devait « abattre les cloisons, briser les barrières, ouvrir son pays à tout ce qui est noble, vrai ou généreux … , non comme le collège de France tel que nous le connaissons, mais plutôt comme l’Institut Pasteur. Tout ce qu’on voulait pour le moment (1530) était créer l’éducation laïque, imprimer la bible en français, enseigner le grec et les mathématiques, soutenir le catholicisme gallican… » . Mutatis mutandis la comparaison n’est pas sans fondement, ne fut-ce que par la volonté d’autonomie vis-à-vis des autorités constituées, en 1530 l’église et l’université, en 1887 l’université et les autorités administratives. Pendant trois ans Mary a cru pouvoir jouer un rôle analogue à celui de Marguerite, elle s’y était activement préparée, c’était peut être une des raisons de son deuxième mariage ; le premier aussi elle l’avait pensé ouvrant sur la politique dont James Darmesteter avait toujours rêvé, via une carrière de journaliste que la mort arrêta . Agir pour une femme comme Mary, oui, mais seulement à travers l’action d’un homme . Le destin en a décidé autrement et elle se résigna au domaine qui restait lui ouvert, l’écriture.

Une autre forme d’action demeure : le dévouement ! En Florence Nightingale elle retrouvait la générosité qui, à l’hôpital des Invalides après celui de Rohan, l’a conduite au chevet des blessés pendant et après la grande guerre. Générosité qui s’accompagne d’une certaine forme de morale féminine : Florence a écrit : « Je voudrais dire à toutes les jeunes femmes qui sont appelées à une vocation spéciale : préparez vous à cette vocation comme le ferait un homme » Et aussi : « Les trois quart de tous les ennuis dans la vie des femmes viennent de ce qu’elles se soustraient aux exigences de la discipline considérée si utile aux hommes ».(37) Cela ressemble assez bien à Mary de vouloir travailler comme un homme, et de ne pas réclamer les avantages qui vont avec le statut masculin. Tout en étant consciente que c’est là « marcher au bord du gouffre » ! » .

Ces trois femmes partagent la même exigence : être aussi solide et organisée qu’un homme, (idéal , bien sur !), être utile dans la mesure où on le peut, là où l’on est, dans le temps et l’espace , ne rien réclamer que ce que permet cette discipline et surtout n’attendre aucune récompense autre que la satisfaction d’avoir agi selon sa conscience. Beau modèle de femme !

Agir directement sur le monde ! Ailleurs que dans les domaines réservés ! Pour elles, c’est impossible. Alors, comment vivre en admirant l’action sans pouvoir – ou croire pouvoir – se donner une véritable possibilité d’agir ? Celles à qui leur statut social permet d’interférer dans le monde des hommes ne le font que par substitution ; c’est ce que pense le  plus ancien modèle de Mary, Christine de Pisan, cette ancêtre du féminisme ( !)  dans la Cité des dames : le livre a essentiellement pour objectif de montrer, que, le cas échéant –  en général celui des veuves, – définitives ou provisoires à la suite d’absences guerrières –, les femmes peuvent prendre la place des hommes et faire aussi bien qu’eux ; quitte à leur rendre la place à leur retour ! Les hommes peuvent donc leur faire confiance , tente de démontrer Christine de Pisan. (38) On reconnaîtra qu’ il existe des revendications féministes plus percutantes.

Christine a besoin de ses protecteurs pour vivre : pouvait-elle plus ? Mary aussi a besoin sinon d’un homme, au moins de ses lecteurs pour vivre ! Si un jour, pour une des ces femmes, à quatre cents ans d’intervalle, la question s’est posée, le choix est clair : soit vivre à la marge, avec tout ce que cela implique de dévalorisation aux yeux des autres comme aux siens propres ; ou conserver sa liberté de jugement – intime – et rester « honorable » dans la société, donc y être acceptée, ce qui implique de se conformer un minimum à la morale courante, quelque hypocrite qu’elle soit. Tout le monde n‘a pas la vocation du martyre. Les termes du choix resteront les mêmes jusqu’à la seconde moitié du vingtième siècle.

Agir au nom de quoi  ?

Ces femmes agissent au nom d’un idéal : pour Florence et Marguerite il était de nature d’abord religieuse, puis morale, et pour Mary surtout morale : ce sens moral qu’elle nomme «  moral earnestness », ce qu’elle traduit curieusement par « l’enthousiasme sérieux » 

 

La religion : pour Marguerite et Florence Nightingale, il s’agit d’un idéal religieux. Chez Marguerite un catholicisme purifié de ses côtés mondains, autoritaires et institutionnels, qui laisse les croyants chercher et trouver Dieu eux-mêmes, à travers l’Amour , celui que préconisa Briçonnet, son directeur de conscience, celui, plus tard, des amies de Fénelon, auxquelles Mary s’intéressa . Chez Florence, l’éthique anglicane des années 1850 qui, selon Mary,  dégageait « un esprit nouveau, un sentiment d’enthousiasme, de sacrifice, où frémissait encore une sensibilité religieuse, la plus vive, la plus exquise » : le « mouvement d’Oxford » qui rejoint les idées issues de 1848 . Nous ne sommes pas loin, ici, de l’idéal de liberté.

 

L’amour  : toutes les femmes citées – et aimées – par Mary , sont des amoureuses . Amante et amant : Elisabeth Barrett et Robert Browning . Amie et amie : Madame de Sévigné et Madame de Lafayette. Sœur et frère : Marguerite d’Angoulême et François premier , Henriette et Ernest Renan . Mère et fille : Madame de Sévigné et Madame de Grignan. Cet amour se veut désintéressé, même si il n’y réussit pas toujours. Il se veut d’abord spirituel , même s’il ne l’est pas toujours ; mais qui va sonder les cœurs et les reins ? « L’amour humain, variable et fugitif comme le temps de nos climats terrestres, et pourtant l’unique souffle qui nous parvienne des rives éternelles. » dit Robert Browning, cité par Mary dans son étude sur le poète. L’amour comme union des âmes : « Nous savions qu’une barrière s’effondrait entre vie et vie; nous étions mêlés enfin… »(39) .« A ces sentiments là, nous dit Mary, citant Descartes, il ne faut pas résister car ils sont faits d’une substance divine et éternelle »(40)

Pour Mary, chez qui la vie spirituelle est centrale mais ne s’inscrit pas dans les croyances d’une religion : « ce qui est grave, c’est la lampe non allumée, ce sont les reins non ceints, la course non courue,… »( citation de R. Browning). Ce qui fait la valeur de l’amour, quelle qu’en soit la forme, c’est la spiritualité. Et à sa suite, le dévouement , qui peut aller jusqu’au sacrifice.

 

Mary connaît les difficultés de l’amour-sacrifice face aux insuffisances de l’être aimé et aux contingences de la vie quotidiennes. Amour de Marguerite pour François, accepté par lui sans équivalence en retour : homme à succès, admiré de tous, le Roi avait une certaine tendance à l’égoïsme ! Et Ernest et Henriette Renan ? Cornélie Renan a raconté à Mary Darmesteter ces nuits où elle se réveillait seule, Ernest s’employant dans la pièce à côté à rassurer sa sœur sur l’amour qu’il lui portait ; Henriette y pleurait, bruyamment en apparence, si bien que madame Renan devait parfois intervenir elle-même pour rassurer sa belle sœur . Curieux mode de vie qui ne manqua pas d’alimenter les ragots des bonnes langues parisiennes !

 

Récompense : le voyage au Liban dont elle ne revint pas. Remords du frère : « L’ai-je trahie ? Ai-je eu tort ? »(41) Quelle est cette trahison ? Entre ses deux mariages la commande du livre sur Renan donne à Mary Darmesteter l’occasion de réfléchir sur les diverses sortes d’amour. Et d’évoquer à son propos la Béatrice de Dante ! Encore elle ! Si Henriette était Béatrice, c’est-à-dire la « conscience austère » des vingt ans de son frère, si elle s’était voulue l’inspiratrice et le guide, le sacrifice, accepté par Henriette, d’une relation exclusive n’est pas moins générateur de regrets qu’un amour rejeté. Et la trahison ne serait-elle pas d’avoir accepté le sacrifice et renoncé à la présence quotidienne et unique de celle qui a inspiré l’idéal de sa vie? Béatrice a eu le bon goût de mourir avant d’avoir eu à consentir à un tel choix, ce qui permit à Dante de la garder comme guide sans que sa présence quotidienne lui rappelle constamment ses insuffisances.

Si Mary connaît la trahison, c’est elle qui l’a commise ; et Vernon a réagi avec élégance. Quant à ses deux maris, aucun n’était vraiment en situation de poser ce problème . Mary peut donc sans gros effort conserver jusqu’à sa mort une vision relativement idyllique de l’amour, dans et hors mariage Si on y ajoute cette volonté, rencontrée ailleurs, d’accepter les faiblesses humaines et le monde comme ils sont, on peut comprendre que, pour elle, l’amour, si difficile à vivre, est pourtant la seule valeur qui justifie de supporter la vie.

Face à cet amour, celui de la Vita nuova de Dante, que valent les petites considérations d’intérêt ? Se sacrifier pour un autre, frère, enfant , compagnon ou amant, c’est parvenir à l’idéal le plus proche de l’amour divin . Cet idéal quasi platonicien permet de donner sa juste valeur à la comédie humaine. Il n’y a qu’une chose qui vaille d’être poursuivie dans ce monde trompeur, c’est le dépassement de soi que permet l’amour. Mary a vécu sur cette idée depuis sa jeunesse et elle n’y a jamais failli.

La Liberté  et la résistance ?

Ce dépassement de soi peut prendre une dimension politique, sans aller bien sûr jusqu’au socialisme, horresco referens ! Voyons Elisabeth Browning, chantre de la liberté républicaine. Le peuple a droit à la liberté, à condition qu’elle soit fondée sur une instruction solide et une culture morale que l’éducation lui donnera peut être un jour. En attendant, les faibles, les pauvres, les esclaves – et les femmes – ont droit à la liberté de penser, dans les limites d’un contrôle qui contiendra les risques d’anarchie : ma pensée est libre si ma vie ne l’est pas . Telle est la liberté d’Emily Brontë . Telle est aussi celle de Mary.

Que reste-t-il en effet lorsque l’amour vous quitte ? Sur quoi peut s’appuyer une femme quand disparaît l’aimé(e) et qu’elle est réduite à soi même ? L’indépendance, l ’esprit de liberté, l’insoumission de l’esprit sont- ils des raisons – ou des moyens – de vivre ? Peut-être , en s’aidant du détachement et l’humour ? Liberté, sainte déesse, fière et dangereuse, Dieu sait combien je te vénère … Tu es l’espoir des générations, le signal ; à travers bourbiers et marais, tu guides vers les étoiles les descendants de ta race, toujours invaincue. »(42)  A cette race appartient Mary. C’est cette liberté , qu’a défendue Elisabeth Browning dans la Florence de Garibaldi. C’est aussi celle de Marguerite de Navarre , et celle d’Emily Brontë .

Cet esprit est particulièrement bien incarné dans la première héroïne et/ou modèle de Mary, Emily Brontë . Le mot utilisé à propos d’Emily est Dissenters, ce qui ne signifie pas révoltés au sens lutte du terme , mais dissidents , insoumis ; la tentation de la révolte ouverte et publique est aussi étrangère à Emily qu’à sa biographe ; il s’agit du droit de n’être pas d’accord. Emily a vécu « dans un triste vieux presbytère au milieu des bois, loin du monde, en haut de sa colline battue des vents, entouré de marécages et de sommets sauvages »: (43) bref un endroit sinistre et solitaire . « Pourtant cette paisible fille de prêtre, qui n’entendait dire que du mal des dissidents, a eu le courage d’en devenir un elle-même  : un dissident à plusieurs titres. Il n’y eut jamais nature plus sensible à la bêtise et à l’étroitesse de la convention, une nature qu’on s’attendrait plutôt à rencontrer dans les rangs de l’opposition – et dans ces natures l’indignation est la force qui souvent ouvre les portes de la parole » .. Mary admire – et pratique – l’insoumission intérieure qui ouvre sur l’écriture . Pas plus qu’Emily, elle n’a pu, ou su, ou voulu porter cette insoumission à son terme, qui est la révolte ouverte.

Cette insoumission se vit dans le malheur . En lui vivent Mary ( !) et ses héroïnes . C’est le malheur, nous dit Mary, qui a fait d’Emily l’auteur de Wuthering Heights . « Emily est comme la bruyère, la fleur qui toujours fut sienne, la bruyère sèche et sauvage ! Le vent froid et la terre sauvage la font pousser, elle ne croîtrait pas dans les marais protégés. Si votre destin, Emily, avait pu choisir l’amour, vous non plus n’auriez pas atteint votre pleine floraison : une matrone prospère serait morte dans les contrées du nord. .. Mais maintenant vous vivez, chantant la liberté, âme immortelle pétrie de courage et de solitude, une autre voix dans le vent, une autre gloire sur le sommet des montagnes , Emily Brontë , l’auteur de Wuthering Heights.”(44). Mary a-t-elle eu la tentation première de l’accès à la Liberté via le malheur ? Mises à part de courtes périodes, a-t-elle été vraiment heureuse ? Et qu’aurait pensé Beauvoir de cette impossibilité féminine de vivre en même temps comme épouse et mère comblée et comme auteur glorieux d’une œuvre immortelle .

Le malheur est présent  : Mary a vécu dans l’attente, l‘expérience ou les suites de deux guerres. Elle se retrouve en Madame de Sévigné, qui a du mal à accepter l’esprit de [son] époque, (the new spirit of the age)(45) : trop de « victoires glorieuses » dont on sait la sauvagerie qu’elles cachent : répression de la révolte en Bretagne, affaire des poisons, souffrance des pauvres : un monde de superstition et de cruauté qui la fait frissonner, comme Mary frissonne devant les tranchées de la guerre de 1914 , comme Marguerite d’Angoulême a frissonné devant les bûchers que son frère n’a pas pu –ou voulu – empêcher. Le malheur collectif fait partie de la vie de ces femmes ; il n’est que rarement compensé par un bonheur individuel !

Les héroïnes de Mary résistent : elles résistent dans leur for intérieur et si possible dans leur vie quotidienne, dans leur écriture en tout cas ; elles résistent à la pensée tout faite, au politiquement correct : Florence Nightingale n’acceptera jamais l’abandon des blessés et des faibles ; Sévigné s’indigne de la brutalité avec laquelle le régime traite les pauvres ; Marguerite elle aussi s’indigne mais sa position dans le monde lui rendra possible – pas toujours – la protection des dissidents.  Que peut faire une femme contre ces horreurs, dans un monde qu’elle ne dirige pas ? Que faire, sinon garder sa distance et rester libre ! Comment leur en vouloir, elles n’ont pas de prise sur le monde : elles ont une vie passive, et cette passivité handicape leur écriture. Comment écrire sa révolte avec la force nécessaire, lorsqu’on sait que cet écrit sera dévalorisé parce que produit par une femme ?

Ce sont des femmes : à part l’action en faveur des malheureux oubliés , les blessés de la Crimée ou du premier conflit mondial, elles ne peuvent , – ou ne croient pouvoir – agir que dans les champs qui leur sont ouverts : compassion et charité . Elles y ajoutent la protestation et le refus de l’hypocrisie exprimés dans le milieu où elles vivent, ce qui ne gêne personne ; elles utilisent surtout l’écriture , dont elles savent pourtant qu’elle sera considérée comme secondaire par rapport à la parole des hommes.

Protester mais comment ?

L’humour ?   La protestation contre la sottise et la méchanceté du monde prend souvent pour Mary et Marguerite la forme de l’humour : « ce qui étonne dans l’Heptaméron, c’est précisément l’idéal de religion et de vertu qui fait un contraste si étrange avec la bonne grosse joie sensuelle qui s’y étale.. Elle (Marguerite) ne possède pas un idéal de justice, non plus que certaines qualités plus artificielles : honneur, convenances, décence même, toutes qualités inventées pour la plus grande sécurité de la société. Elle n’est sévère que pour l’hypocrisie, l’orgueil, la cruauté, l’avarice, et elle garde une certaine sympathie pour des fautes plus douces, sans désirer les pratiquer elle-même. » Mis à part la « bonne grosse joie sensuelle » et le refus de « la décence », Marguerite et Mary se ressemblent. Et Mary la victorienne n’est pas du tout gênée, semble-t-il, par « l’originalité de l’Heptaméron [ qui consiste] dans l’union de la chevalerie, de l’honneur et de la religion avec une absence totale de sens moral [dans les relations sexuelles] ». Le monde est ce qu’il est, nul ne m’oblige à partager sa morale que je réprouve pour moi mais tolère chez les autres . La tolérance est la compagne de la liberté.

Hypocrisie, orgueil, cruauté, avarice …. ! Il faut les moquer, car ils sont intolérables ! Mais le sont aussi aussi l’étalage de l’autorité, partage des hommes, et la vanité qui va avec ! Une autorité qui n’a d’autre fondement que leur sexe: le Brocklehurst de Jane Eyre qui, nous dit Mary, « a certainement été un adepte zélé du sacrifice de soi, dont toute la bonté était polluée par un amour impérieux de l’autorité et une invraisemblable vanité » (46) Et d’un autre personnage de Jane Eyre , Mary nous précise que «  Il souhaitait aider ; il ne souhaitait pas moins que soit connu le fait qu’il aidait » Cette analyse du mâle victorien de base n’est pas mauvaise pour une fille de 26 ans. Avec moins de virulence la même réaction se trouve chez les sœurs Brontë et Marguerite d’Angoulême . Ce recul critique, – et souvent drôle – , est la seule révolte qu’elles se permettent ; avec, quand elles le peuvent ( ce n’était pas le cas de Marguerite, ni de madame de Sévigné) le refus du mariage, sauf à rencontrer l’homme assez libre lui-même pour reconnaître leur liberté, ce qui fut deux fois la chance de Mary ; elle reconnaît cette chance, ce qui lui permet de sympathiser avec celles qui l’ont précédée et ne l’ont pas eue.

Le rêve ? Pourquoi écrire ? En premier lieu , pour créer un monde où il est possible de vivre, face à l’insupportable monde réel : le monde de la poésie et de l’imaginaire . Emily, Marguerite et Mary ont créé ce monde : pour elles mêmes d’abord, pour leurs sœurs ensuite et les lecteurs qui les auront aimées. 

Pour braver ensuite le destin de soumission qui les menace : le mode de l’écriture est celui de la liberté . Elles pensent ne pouvoir avoir aucun autre moyen d’être libres ; dans la création elles le sont , personne ne peut les priver de cette liberté.

Enfin pour se donner, au fur et à mesure d’une existence où les joies sont rares, de plus en plus rares quand avance la vieillesse, le courage de vivre. Lorsque la beauté vous a fui, cette beauté qui seule, avec l’argent qu’elle apporte, crée la valeur des femmes, créer de la beauté permet de supporter la décadence, l’incapacité physique, surtout le regard de l’autre : je ne suis pas celle que tu vois, je suis une autre, dans un autre monde . Ce monde sera mien jusqu’à la fin, ma richesse et ma vie. « Chacun de nous, dit Mary, parlant de François Ier, crée en lui-même , pendant sa jeunesse, l’être qui doit survivre à cette jeunesse, alors qu’elle sera évanouie » . Cet être se maintiendra intact jusqu’à la mort, et, peut être, au-delà, par les hasards de l’écriture : c’est le modeste espoir de Mary , mais pour elle ce n’est pas l’essentiel . « Pour une pauvre âme dépaysée, esseulée, qui, de désillusion en désillusion, n’est plus sure de rien, (Il s’agit de Marguerite d’Angoulême) il n’y a pas d’ami plus précieux que la plume, que la page muette qui reçoit le trop plein d’un cœur inoccupé ». Si ce « trop plein » est beau, tant mieux ! S’il ne l’est pas, tant pis ! A celles qui n’ont pas ou plus de place dans le monde des hommes, – et à celles qui les lisent – , il donne une raison de vivre.

« Laisse de moi tous ces charnels records

Lui seul la force était de mon courage

Lui seul était mon audace et prudence

Lui seul donnait la joie à mon visage »

Marguerite parle ici du dieu qu’elle aime ; Mary, qui la cite, pourrait utiliser ces mêmes mots à propos de l’idéal pour lequel elle a vécu , et qui s’incarne dans la parole.

 

L’extrémité du rêve : un autre monde ! La parole peut créer un monde imaginaire …  et consolant.  Dans les moments où elles se sentent mal à l’aise dans le machisme ambiant, beaucoup de femmes ont rêvé d’une société dans laquelle le pouvoir masculin ne se ferait pas sentir par sa pesante présence quotidienne, ne serait qu’une référence lointaine, ou demeurerait totalement absent. Monde féminin organisé sur le mode du monde ordinaire, mais où, pour les femmes, régnerait la liberté : la Féminie !

C’est un vieux rêve médiéval , qui relève d’une inversion semblable à celle, bien connue, du carnaval, où les faibles et les « fous » sont rois pour un jour, où le pouvoir est inversé : le monde marche sur la tête , mais n’en fonctionne pas moins suivant les mêmes codes, à l’envers. Le royaume des femmes (47) ? Les géographies médiévales le situe aux marges du monde connu, au terme des conquêtes d’Alexandre le grand, aux frontières de l’Europe et de l’Asie, du côté de l’Inde, et un peu plus tard dans les contrées impénétrables du nouveau monde à découvrir , en Amazonie. Le pays n’a d’existence que par les légendes transmises par l’antiquité ou les géographes qui se copient l’un l’autre ; ses caractéristiques sont les mêmes : clôture sur soi, refus du sexe mâle, défense par les armes, et, quand une armée normale, d’un roi normal, apparaît, leur défaite est sûre : dans le meilleur des cas, le roi victorieux se conduit de façon courtoise envers les vaincues, selon les codes de la fine amour . Toute transgression est fascinante et dangereuse, toute transgression doit être vaincue si elle s’avère durable. Le carnaval ne dure qu’un temps, c’est pourquoi la société masculine le tolère, de même que, dans les vieilles ystoires, le royaume de fémenie (48).

 

Si Mary en a rêvé, c’est avec amusement, et cette forme de regret qui est accordée à ce qui est considéré comme impossible. Ainsi décrit elle le microcosme féminin dans lequel Thackeray  fut élevé par sa grand-mère, à Fareham, petit village du sud de l’Angleterre, peuplé de femmes, mères, sœurs, épouses des officiers de la Navy : « Il n’y avait presque pas d’hommes à Fareham : le « vicar », le médecin , le notaire et quelques jardiniers. Mais il y avait toute une hiérarchie de femmes » Et le climat était celui du snobisme le plus étroit : pas vraiment la libérale féminie mythique ! La loi du cosmos fait que ces femmes qui eussent pu être libres ne l’étaient pas. Ce fait n’indigne pas Mary, il ne fait que confirmer sa conception du monde : la liberté est une victoire individuelle, il est rare, difficile, de pouvoir vaincre le poids du « socialement correct ». Les braves dames bourgeoises de la province anglaise n’ont ni possibilité, ni envie de la conquérir. Il n’y a pas de quoi s’étonner, l’utopie ne peut exister en ce monde, cette évidence ne peut susciter qu’un soupir.

La femenie n’est qu’un rêve, d’autant plus beau qu’il est inaccessible ; il revient par ci par là dans les écrits de Mary . Curieusement par exemple à propos du Japon de Pierre Loti « Le Japon tel qu’il [Loti] le vit, est cette “Isle of Feminie” que les auteurs médiévaux aimaient à imaginer » (49) . Cette remarque paraît plus caractéristique des regrets de Mary que d ‘une évaluation réaliste des mœurs japonaises.

 

 

Plus réaliste , parce que ayant abouti à une œuvre, est le rêve de Christine de Pisan incarné dans la Cité des dames. Mary lui a consacré un très long article en 1936 , un des derniers qu’elle ait écrit(50) . Comme elle Christine était une femme de lettres , la première professionnelle peut être, que Mary admire pour avoir réussi « par sa plume à gagner son pain et à soutenir sa famille » ! Italienne d’origine , elle « s’est toujours sentie étrangère en France … en pèlerinage toujours » Entre la France, l’Angleterre et l’Italie, « elle avait une tente dans chaque camp » et s’efforçait d’utiliser toutes les relations qu’elle avait dans chaque pays pour survivre, elle et ceux qu’elle avait en charge . Bien que «  terriblement bavarde, moralisatrice et tournée vers le passé », elle était «  remarquable par sa noblesse d’esprit : toujours du côté des anges, pacifiste, féministe » Ce descriptif rappelle quelque chose. Mary se retrouve évidemment en Christine, dont d’ailleurs elle lisait Le livre des vrais amants qui figurait dans sa bibliothèque. Christine était d’abord un poète, et seule comme Mary.

« Seulette suis et seulete veux être… »

Vieille et retirée dans le couvent où sa sœur est nonne, «  à l’âge de 65 ans, [Christine]a pu chanter de tout son cœur son « nunc dimittis » ; car elle, la pacifiste, la féministe, a vu une femme donner à son pays désespéré la victoire et les promesses d’une paix à venir »

L’an mil quatre cent et quatre vingt neuf

Reprit à luire le soleil

Il ramène le bon temps neuf ! ..

Hé, quel honneur au feminin sexe ! »

 

La fémenie est un rêve qui de temps à autre s’incarne ! En une femme, Jehanne du village d’Arc, qui démontre les possibilités des femmes et dont l’œuvre prend un sens dans le monde comme si elle eut été homme ! Christine a pu être fière de Jeanne d’Arc d’où les lignes triomphantes écrites dans le « Dittié de la Pucelle” .(51)  Étrangère dans le monde comme citoyenne et comme femme, Christine a pu être fière de son œuvre et de la défense qu’elle y propose de l’honneur des dames . A 80 ans ( on vit plus vieux au 20 ème qu’au quinzième siècle), Mary n’a pas rencontré sa Jehanne : en revenant sur son parcours, elle se sent aussi étrangère que Christine et ne trouve à défendre de sa vie que quelques poèmes et les lignes écrites en l’honneur des héroïnes qu’elle a aimées . De sa modeste manière elle a toujours défendu les femmes, contribué à sa façon à la féminie mythique , sous-jacente à toute civilisation . C’est là à ses yeux une des justifications de sa vie.

 

Petits arrangements avec l’idéal

 

 

La fémenie est une utopie . L’indépendance totale souhaitée est impossible . L’écriture est une liberté , mais seulement dans le domaine de l’esprit , et encore ! Il faut évoluer entre désirs et réalités , et faire , tant bien que mal , son chemin entre les écueils.

La liberté et la tentation du mariage  !

Mary était libre dans sa pensée, aussi libre qu’on put l’être à son époque ; elle était indépendante autant qu’elle pouvait l’être, avait une volonté forte et un esprit clair. Puisque être une deuxième Vernon  ne la tentait pas, il ne restait que le mariage. Tout se passe comme si elle avait fait ce raisonnement et avait agi en conséquence : deux hommes se sont présentés, qu’elle aimait tous deux, de façon certes différente mais honnête. Les deux fois il semble que ce soit elle qui ait agi la première. James n’osait pas, sans doute ; il avait toutes les raisons pour cela . Émile n’y pensait pas, il était un peu naïf mais cela faisait si longtemps qu’il vivait sans femme ! Elle les mit tous deux devant la décision à prendre, aucun des deux n’eut à s’en repentir. Pourquoi faudrait-il considérer que la démarche ne peut être faite que dans un sens ?

Du quinzième au vingtième siècles pas de vocation autre pour une femme que le mariage et la maternité.  L’histoire de Mary montre qu’elle hésita longtemps, fit une petite excursion du côté de Lesbos et ne se résolut à faire une fin qu’à l’âge, avancé pour l’époque, de trente et un ans.  Nous pouvons nous référer comme elle, avec amusement, à l’histoire de Manon Rolland,(52) qui « préférait rester vieille fille plutôt que d’épouser qui que ce soit d’autre qu’un philosophe » ; Manon faillit accepter le pavillon au fond du jardin d’un sage (de 60 ans !) sur la base d’un contrat selon lequel « il ne devait rien se passer de plus intime que des entretiens philosophiques », lorsque Rolland intervint. Nous ne penserons pas que le premier mariage de Mary fut de cet ordre, malgré les ragots du temps : ils étaient tous deux trop amoureux ! N’empêche que la tentation a existé , il y avait quelque chose de cela dans l’union avec James Darmesteter.

Le mariage a des avantages , surtout quand il est bourgeois : les tâches pénibles sont assurées par d’autres, cela aussi fait partie du cosmos.  Madame de Vigny, l’épouse d’Alfred, laissait à son époux la tenue des comptes familiaux, nous raconte Mary avec une compréhensive  indulgence ; la demoiselle de compagnie de sa femme l’y aidait. Madame de Vigny « n’était pas une femme d’intérieur ; on ne l’imagine pas sans cette annexe plus qu’Elisabeth Browning privée de bonne » . Et dieu sait à quel point Mary admirait Elisabeth ! Mais ces petits avantages n’étaient pas les pires parmi les innombrables injustices : comme on sait, on ne se révolte pas ouvertement contre l’ordre, on s’efforce de l’améliorer dans la mesure de ses possibilités et le reste est littérature. Ce qui nous paraît contradictoire et peu compréhensible va de soi pour Mary et bien d ‘autres ; là git une des difficultés des féministes bourgeoises !

Le mariage n’était donc pas synonyme de tâches matérielles multiples. Mais qui disait mariage disait risque de maternités sans limites : l’indignation de Mary est grande devant les conséquences possibles : l’abandon de toute vie personnelle en faveur des enfants, la fatigue et la maladie , la mort . En témoigne ce qu’elle écrit de la femme de Thackeray (53) , devenue folle après ses troisièmes couches en mai 1840 . Épousée en août 1836 à Paris, Mrs Thackeray avait eu une première fille en 1838 et un deuxième enfant en 1839, mort bébé . Le troisième, en mai 1840, ( une fille qui survécut), fut fatal . Elle avait eu trois accouchements en moins de trois ans et sombra dans la folie ; Thackeray fut désespéré et se réfugia dans l’écriture. Il décrit la folie de sa femme , et Mary après lui : « La longue fièvre, l’habituelle inconscience, les terreurs sans cause, la crainte , parfois la haine, de ce qu’on a le plus aimé, le rire fou, le dédain trop justifié avec lequel la malheureuse patiente accueille les visites des médecins impuissants ; puis des crises de larmes, un désir sauvage de s’en aller « n’importe où, hors du monde », d’échapper aux témoins de sa déchéance ; puis d’autres heures où la raison semble toute proche, mais accompagnée alors d’une dureté de cœur, d’une âpreté qui la rend aussi terrible que l’égarement d’hier, comme si , tour à tour, l’esprit et le cœur subissaient l’empire malin d’une puissance mystérieuse ; les nuits agitées, pleines de chansons ; les caprices absurdes d’une imagination malade ; le pauvre sourire détraqué ; les petites mains brûlantes ; le grand air calme et noble qui ne répond plus aux paroles tout à tour risibles et angoissantes… » Et Mary de conclure : «  Ah ! Pauvre jeune femme ! Quelle vie fut la vôtre ! Folle dès vingt trois ans, pendant plus d’un demi siècle captive dont personne ne saura briser la Bastille ! Que vous expiez durement ce bonheur de quelques mois dont vous étiez si digne par la bonté, le courage et le dévouement. »

D’où les hésitations, de Manon, de Mary et de bien d’autres, quand la pression familiale le leur permettait. Manon Rolland eut un enfant, Mary aucun. En eut-elle voulu ? Peut être ! Ce qui importait c’était de choisir un homme dont on put penser qu’il respecterait  assez la liberté et la santé de sa femme pour ne pas lui faire des enfants à répétition. Et pour Mary c’est ce qui fut fait.

La liberté dans le mariage c’est la quadrature du cercle : elle ne se peut concevoir que dans un couple suffisamment libéré des contraintes matérielles, des préjugés moraux et des obligations légales. Peu de femmes y ont réussi: dont Mary, et pour quelques années seulement(54).

La liberté, condition de l’écriture ? Cette liberté, avant , pendant, et après le mariage, est condition de l’écriture  : en faire un métier est toléré. La tolérance ne suffit pas pour créer une pensée totalement libre.

Les femmes écrivent comme les hommes et, ce faisant, entrent en compétition avec eux . Leurs voix libres sont individuelles mais elles retrouvent les thèmes de l’époque, qui sont aussi ceux des hommes  : autres religions, distance par rapport aux valeurs morales victoriennes, visions utopistes. Ce faisant elles encourent un double reproche : un : copier les écrivains mâles, donc manquer d’originalité ; deux : refuser de se conformer à l’idéal féminin tel qu’il ressort des œuvres masculines. Elles s’éloignent ainsi de ce que la société admet et aussi de ce qu’elles sont en tant que femmes. Elles ne peuvent pas non plus aller très loin dans l’originalité, sauf à se couper de leur milieu , ce qu’elles ne veulent pas faire. Elles sont donc en pleine contradiction , ce qui est certes un des éléments de départ pour une création personnelle, à condition de dépasser la contradiction, ce qu’elles n’osent faire. Aucune n’y échappe ; aucune n’a les moyens d’en sortir ; en tout cas pas Mary Robinson.. (55) 

Elles peuvent rêver de la femenie , elles peuvent rêver des mythiques temps premiers :

Où vécut le charmant , sauvage, blanc peuple des femmes

Mortel pour les hommes ?

Jamais elles ne baissèrent leur tête sous le joug

Elles vivaient seules quand s’ouvrit le premier matin

Et le Temps débuta.(56)

Ce n’est pas dans ce monde premier qu’elles vivent. En présence des hommes qu’elles aiment, face aux règles sociales qu’ils approuvent elles sont « étrangères à elles mêmes »(57) . Pas plus que beaucoup de ses contemporaines Mary n’a pu assumer la fusion de ses identités et de ses désirs. « Les femmes, nous dit Madeleine Pelletier (58) élevées dans [les} entraves ne les aperçoivent pas. ; aussi le plus souvent, loin de vouloir les briser, elles s’élèvent contre les rares consœurs qui, plus clairvoyantes, veulent le faire. Telles des oiseaux nés en cage, la liberté leur fait peur » Mary, qui n’avait pourtant pas peur de grand-chose, sauf de perdre affections et amitiés, s’est contentée de la liberté intérieure et n’a jamais cherché à briser les entraves. 

Briser les entraves par la parole ? C’est oublier que parole égale pouvoir. Les « scribes » officiels, dit Régis Debray, oublient le monde autre que celui des puissants : esclaves dans les champs, immigrés dans les ateliers, femmes à la maison … Il est dans leur nature «  d’oublier la moitié du monde, celle qui porte l’autre »(59) . Les femmes sont hors du circuit du pouvoir , de quoi se mêlent celles qui ne se contentent pas des miettes de culture qu’on leur donne, mais veulent aussi les utiliser pour agir dans le monde ? De quoi se mêlent celles qui, comme Mary, espèrent modestement qu’un jour, dans l’avenir,  quelqu’un lira leurs livres et les aimera ? Ce qu’elles ont écrit est secondaire par rapport à la culture dominante, et il faudra toutes les forces des chercheuses du « genre » pour les ramener au jour.

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Mary Robinson Darmesteter Duclaux n’a jamais cru aux possibles réformes, et ne put donc faire confiance aux luttes féministes. « Les réformateurs, écrit-elle, sont prompts à oublier que ce qu’était la nature humaine dans le passé, ce qu’elle peut devenir dans le futur, en admettant qu’ils persistent dans leur idéal moderne, n’est pas la nature humaine de maintenant. L’esprit de l’homme a modifié tout ce qui est en lui et tout ce qui l’entoure…. Notre morale est le fruit de l’industrie humaine. Peut être pourrons nous la modifier plus tard ; telle qu’elle est actuellement elle demeure la base de notre mode de vie : le plus ardent féministe de nos jours, s’il s’agit d’un homme et d’un amoureux , s’attendra à ce que sa femme soit tendre, chaste et fidèle et se moquera bien de savoir si elle peut ou non subvenir à ses propres besoins, si elle est généreuse et brave »(60)

Ayant choisi de ne pas imiter Vernon Lee, Mary est vouée à composer avec les hommes. Et les deux hommes sur lesquels elle a compté, à juste titre probablement, n’ont pas vécu assez pour l’appuyer dans la création d’un vrai destin personnel, auquel d’ailleurs elle a très tôt renoncé.

 

Mises à part ces quelques années de mariage, qu’elle passa dans la plus grande indépendance à quoi une femme mariée de son époque pouvait prétendre, elle vécut dans la solitude – et le souvenir de l’amour et du bonheur – : tel est alors le destin des femmes.

« Terrible est pour les femmes de rester immobiles, assises

les nuits d’hiver près d’un feu solitaire,

et d’entendre au loin les peuples qui les louent,

                                            trop loin, hélas ! Qui louent leur capacité d’aimer,

 

                                                  cœur profond de leur féminité passionnée,

 

                                                       cœur qui ne pourrait battre ainsi dans leurs vers

                    sans être aussi présent sur leurs lèvres que l’on n’embrasse plus

                  dans les yeux qui ne sont plus séchés , car il n’y a plus personne

                                     pour demander la cause de ces larmes » (61)

Nul ne s’étonnera dès lors que soit si présente dans ses œuvres la tentation de la mort. La volonté est vaine qui ne peut atteindre ses buts et le pouvoir n’est jamais réellement possédé. Mary pourrait dire avec Emily Brontë ,:

« Oh , que je meure, – que pouvoir et volonté

Cessent leur cruel conflit ;

Et que le bien et le mal qui ont été conquis

Se perdent dans l’unique repos »(62) 

Nul ne s’étonnera non plus , qu’après la mort d’Émile , Mary s’enfermât dans le rituel solitaire de la rue de Varennes, sans plainte et sans espoir, dans l’attente d’une fin qui mit longtemps à venir. Elle qui a vécu sa jeunesse, sans amant, dans la hantise d’une mort imaginaire, vit sa vieillesse seule dans la hantise de la mort, non seulement la sienne qui approche, mais celle, bien réelle, de ceux qu’elle a aimés, celle aussi, combien présente , de tous les jeunes hommes morts à la guerre : « Ces jeunes hommes, tellement plus jeunes que moi qui me souviens d’eux, assise maintenant devant mon foyer solitaire – ces jeunes hommes, qui avaient, semble-t-il, un avenir, sont tous morts pour leur pays et pour leur foi. Leurs corps gisent dans les tombes au bord des routes, une vague croix au dessus d’eux avec leur nom tracé d’une encre que la pluie d’automne effacera. Ce nom , qui commençait à briller dans le comptes rendus littéraires de leur nation, ce nom qu’ils voulaient illustrer pendant les trente années à venir, ne recevra plus aucun éclat … Ils ont été volés de leurs œuvres , de leur descendance… Ils gisent peut être au sein de ces horribles amas que les bombes ont agglomérés et dispersés, d’ où disparaissent toutes traces individuelles. Un si grand nombre d’entre eux ! »(63)

Vanité des vanités , disait Mary après la mort de James , le premier grand choc de sa vie . Quelle importance d’avoir raté, parce que femme, le destin qu’on eut pu avoir ? Quelle importance a le destin d’une femme vouée à l’oubli, face à ces innombrables vies détruites par les violences du siècle, tout autant vouées à l’oubli ?  Une fois perdue les grandes espérances, Mary a vécu la deuxième partie de sa longue vie entre deux guerres, deux massacres, face à la destruction systématique, au déni de tout ce à quoi elle avait cru, à quoi elle n’a jamais cessé de croire. Elle n’a pas perdu la foi en l’avenir de ceux qu’elle allait laisser derrière elle . La beauté et l’amour qu’elle avait cherchés toute sa vie, elle a espéré les trouver « sur l’autre rive » à quoi elle a si longtemps aspirée. Volonté et courage, distanciation et réserve, détachement et humour sont les valeurs qu’elle a léguées

 Le souvenir de sa vie doit venir à sa louange , elle qui vécut si bien sans louange »(64)

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(1)– Cité par Elisabeth de Fontenay, Diderot ou le matérialisme enchanté, Grasset, Paris, 1981 , p. 126
(2)  – RIPA Yannick, Les femmes actrices de l’histoire, A. Colin , Paris , 2004, pp 86 sq
(3 ) – , le Deuxième sexe, I, p. 23, 76
(4)Barthes Roland, Le plaisir du texte, Seuil , Paris, 1973
(5) Le symbole de cette disparition de la femme comme individu social indépendant, y compris en tant que mère, est bien celui du nom .« Fille de » ou « épouse de », certaines langues ont le mérite de le souligner. Les fils de père célèbre doivent se faire un prénom, les filles un prénom et un nom !
(6)   Gertrude Stein, The world is round , Seuil , Paris, 1991 (traduction française)
(7)  Marbo Camille , Souvenirs, Grasset , Paris, 1967 ; p. 189 ; «  Emile Borel avait découvert dans le roman de Lawrence, L’amant de lady Chatterley, une phrase qui l’enchantait « J’aurais honte de voir aller et venir une femme , comme une malle portant mon nom et mon adresse sur une étiquette » Il ajoutait : « Tu dois être Camille Marbo. Pas seulement Mme Emile Borel. Je n’apprécie pas les épouses ou les veuves qui utilisent le nom de leur mari, vivant ou mort, pour en vivre glorieusement » Camille Marbo était la belle sœur de Jacques Duclaux.
(8)  Martin Fugier Anne, La bourgeoise , la femme au temps de Paul Bourget, Grassset, Paris, 1983
(9) Dans la bourgeoisie française, la révélation de la sexualité est souvent vécue dans le wagon lit qui conduit le jeune couple en Italie ; on peut rêver de conditions meilleures ! Cela se termine souvent par un amant ou un divorce .Camille Marbo en fait le constat (voilé ) dans ses Mémoires, et sa sœur , la femme de Jacques Duclaux, en a fait l’amère expérience. Ce fut aussi le cas d’Émile et de sa bien aimée Mathilde, il en avait gardé un bon souvenir car il avait conservé les deux billets de chemin de fer , mais nous ne savons pas ce que Mathilde en a pensé !
(10 ), Ripa Yannick, Les femmes actrices de l’histoire , A2004, p. 192
(11) Duby Perrot, Histoire des femmes, IV , p. 178 sq
(12)  « à l’époque de l’affaire Dreyfus, la campagne pour le divorce (proposée en 1884 par A. Naquet, [est] perçue comme destinée à détruire la famille française ; Naquet deviendra l’objet d’une campagne antisémite , Drumont remarque que le divorce « est une idée absolument juive » ; plus tard Léon Blum provoquera une autre campagne d’antisémitisme pour avoir suggéré que les jeunes filles puissent avoir des relations sexuelles avant le mariage : la question du divorce et un certain refus de la liberté des femmes est donc liée à l’antisémitisme » : in Ripa Yannick , op. cit.
(13)  Fraisse  Geneviève , Les femmes et leur histoire, Gallimard , Paris, 1998
(14) , Duby Perrot , op cit , t. IV ,
(15) parmi les rares documents qu’elle a conservés jusqu’à sa mort, figure, à coté de divers papiers d’identité fort utiles dans l’Aurillac de la guerre, l’attestation de réussite à l’examen final de l’Université, « magna cum laude »
(16) Duby-Perrot , ibid. , P. 359
(17) – Emily Brontë , chapitre 1, pp.16 sq
(18) Sesame and lilies, Old Queen’s garden, conférence de 1864 , Smith- Elder , London
(19)  David  Deirdre, Intellectual women and victorian patriarchy, Mac Millan , London, , 1987, p. 225

(20)) le positivisme se fonde sur la biologie, alors en train de se con stituer comme science

(21) Léon XIII, Lettre encyclique Arcanum divinae sapientiae, 10 février 1880
(22) Le jardin d’Épicure, Calmann Levy, Paris , s.d. , (58é éd.) p. 10 sq
(23) Mary connaissait leur tombeau en Avigno
(24) : et en Angleterre : voir notes sur l’Angleterre, : « IL est admis [en Angleterre] de se marier par amour » ; Notes sur Paris ; Vie et opinions de M. Frédéric ThomasThomas Graindorge,,Paris, 1867, ch. XIV
(25)  Mary a 57 ans en 1914 ; sa carrière , en admettant qu’on puisse parler de carrière à son propos , est derrière elle . Nathalie Clifford – Barney (1876 – 1972), Edith Wharton (1862 – 1937), Sylvia Beach (1887- 1932) , Gertrude Stein ( 1874 – 1946) sont plus jeunes et surtout n’ont pas existé en tant que femme de lettres dans le Paris d’avant la grande guerre ; la plus proche , Edith Wharton , installée à Paris depuis 1907 , donc dix ans après Mary , amie comme elle de Marie Laure de Noailles et d’Henri James, est restée américaine et agit comme une américaine . Depuis son mariage avec Darmesteter, Mary est française et a voulu le rester . Le projet de vie n’est pas le même.
(26)  Sébastien Laurent, Daniel Halévy, du libéralisme au traditionalisme, Paris ,Grasset, 2001
(27) – Duranton – Crabol Anne Marie, et alii, Pontigny, Royaumont , Cerisy : au miroir du genre , Paris, éd. Le Manuscrit, 2008 ;Anne Heurgon-Desjardinns, Paul Desjardins, …, P.U.F. 1964
(28)   Shepley – Sergeant Elisabeth, French perspectives, 1916
(29)  Un article d’elle sur Pontigny figure dans les Nouvelles littéraires, ed Larousse , N° 51 , 06/10/1923
(30)  Marbo Camille , À travers deux siècles, souvenirs et rencontres (1883-1967), Paris, Grasset, 1967 , pp 153 & 314
(31) – Ducas Sylvie, Le prix Femina : la consécration littéraire au féminin, in Recherches Féministes, vol. 16, n° 1 , 2003, pp. 43 – 95
(32) – Citée par Mme Ducas de la façon suivante : « connue sous le nom de plume de Mme Darmesteter, épouse de James Darmesteter : annexe 2, note 80 : Mary Robinson et ses poèmes ont complètement disparu
(33)– T. L. S. , 15 février 1936 , The château returns : romance writers in France today
(34)  T.L.S., 24 novembre 1910, p. 460
(35)  Lee Vernon , Gospels of Anarchy and Others Contemporary Studies , T. Fisher – Unwin , London , 1908
(36) allusion à un passage de l’Histoire des juifs , qui fut considérablement reproché à Renan
(37)  Vie de Florence Nightingale , p. 33
(38)La cité des dames , passim ; article de Mary Duclaux dans T.L.S. ,31 octobre 1936, pp880 sq
(39) –  Mary Duclaux , Robert Browning , pp. 65 – 66 : « we knew a bar was broken between life and life ; we were mixed at last / in spite of the mortal screen » (citation)
(40)–  ibid, p. 42
(41) – voir Jean Pommier , Renan , Perrin , Paris, 1933, p. 222
(42) – Liberty ,collected poems, : »Liberty, fiery goddess, dangerous Saint , God knows I worship thee … «  «  A hope to all generations and a sign ; / slow-guiding to the stars, through quag and fen , / the scions of thine aye-unvanquished line ! »
(43) –  « A grey old parsonage standing among groves, remote from the world on it’s wind-beaten hill-top, all round the neighbouring (sic) summits wild with moors … This quiet clergyman’s daughter , always hearing evil of dissidents] has therefore rom pure courage and revolted justice become a dissenter herself , dissenter in more ways than one » « Never was a nature more sensitive to the stupidities and narrowness of conventional opinion, a nature more likely to be found in the ranks of the opposition ; and with such a nature indignation is the force that most often looses the gate of speech »
(44)«  the flower that was always your own , the wild , dry heather .. The cold wind and wild earth make the heather ; it would notgrow in the sheltered meadows … And you, had you known the fate that love would have chosen , you too would not have thrived in your full blossom ; another happy, prosperous north-country matron would be dead .. But now you live , still singing of freedom , the undying soul of courage and loneliness , another voice in the wind, another glory on the mountain tops, Emily Brontë , the author of Wuthering heights »
(45) T.L.S., 05/02/1926, p. 69
(46) – [He] must have been a zealous and self-sacrificing enthusiast, with all his goodness spoiled by an imperious love of authority, an extravagant conceit » et «  « He wished to help ; he wished no less that it should be known that he helped »
(47) – femenie ou féminie . Godefroy , dictionnaire de l’ancienne langue française, article Femenie : y sont cités des textes où les auteurs , hommes , se retrouvent entourés de femmes , expriment leur surprise et une vague inquiétude , et espèrent bien que ce n’est qu’un songe . On les comprend ! L’inconfort de la situation sera celle de Gulliver , des années plus tard, face à l  » autre » aussi intelligent et compétent que lui ; bien avant Levy Strauss et quelques autres , ces vieux textes oubliés suggèrent à quel point la femme peut être dangereuse et  doit être contrôlée.
(48) – , Ribémont Bernard , L’inconnu géographique des encyclopédies médiévales , Cahiers de recherche médiévale, 3, 1997 : en ligne   <http:// crm.revues.org/ index …>
(49) – P. Loti , la troisième jeunesse de Mme Prune, Calmann Levy : T.L.S. , 1905 , 12 mai, p. 152 : « charming and melancholy book » : est-ce la Fémenie qui est « charmante et mélancolique?On peut le suggérer
(50)  Christine de Pisan , from court to convent : a french poetess in joy and sorrow : critique de Christine de Pisan , by Mme E. du Castel , Hachette , Paris 1936 ; T.L.S. , 31 octobre 1936 , p. 880 ; l’article comporte une miniature de « Christine enseignant son fils » : « the spiritual delight vanishes from French poetry for a hundred years with the end of the Middle-Ages . The poets of the 14th century are dull … In their tarnished mirror we watch no revelation of beauty, but a dim apparition of themselves and the life of their time » ce qu’évidemment Mary ne pouvait accepter. Ce qui lui – et nous – importe ici , c’est que « Christine was, perhaps , the first professional woman of letters , earning her bread and bringing up an impoverished family by the value of her pen » ; une éducatrice, une femme de lettres , partagée entre France et Angleterre , une féministe , enfin , maissans agressivité : nombreux sont les points communs
(51)  , Le Trésor de la cité des dames … éd. M. Lenoir , Paris , 1503
(52) , T.L.S. , 1929, p. 702 : Critique de Vie de madame Rolland par Mme Madeleine Clemenceau – Jacquemaire , Tallandier, Paris
(53) – Revue de Paris, 1er novembre 1900, p. 15

(54) – Un tel contexte n’empêcha pas les réussites individuelles, recensées dans les nombreuses études de « genre » qui ont fleuri dan sla deuxième moitié du XX ème siècle. D’une certaine façon Mary fut l’une d’elles , sur un mode et selon des modalités qui lui furent propres, et qui relèvent du contournement des difficultés plutôt que de l’opposition , a fortiori de la révolte : voir l’exemple d’Edith Wharton, plus jeune que Mary et américaine, elle s’est mariée à 23 ans ( l’âge de Mary quand elle rencontre Vernon), et a divorcé après 28 ans d’union.

(55) –  Bonnie J. Robinson analyse en ces termes la situation des femmes écrivains de l’époque victorienne , parmi lesquelles les amies de Vernon Lee , dont Mary Robinson : « Ces femmes écrivaient sous tension et à cause de cette tension, divisées entre de grandes espérances et l’espoir modeste du changement. Cette tension provenait essentiellement du fait qu’elles écrivaient avec leur voix individuelle des poèmes qu’on pouvait classer parmi les tendances de la poésie masculine. Elles étaient donc en contradiction avec les stéréotypes féminins, en ce sens que leur poésie célèbre l’individu, explore des religions alternatives, transgresse ou transcende les valeurs morales…  Robinson Bonnie J. , Individable incorporate , poetic trend in women writers , 1890 – 1918 , in <http://muse.jhu.edu/journals/victorian poetry/..
(56) Mary Coleridge, the white women ; : »Where dwell the lovely, wild, white women folk ,/ Mortal to man ? / They never bowed their necks beneath the yoke,/ They dwelt alone when the first morning broke / and time began.
(57) – Comedy of errors, II , ii, 124
(58)Grandes voix du féminisme , anthologie présentée par Nicole pèlerin , Le Monde / Flammarion , 2010, p. 176
(59)« Nous tenons cela des grecs , qui nous ont transmis la culture et ont oublié les esclaves . Cette culture est reprise par les romains, puis le moyen âge , qui ignore les serfs et l’âge moderne qui a réduit en esclavage 14 millions de noirs. Le consensus démocratique , depuis Cicéron a toujours fonctionné sur l’exclusion ( des mineurs, des femmes, des pauvres, des esclaves, etc.) et les hommes de culture l’ont fondé jusqu’à aujourd’hui, en oubliant de classer les exclus dans l’histoire qu’ils écrivent. » Régis Debray, Le scribe, Grasset, Paris, 1980
(60) – T.L.S., 1906, 13 avril, p. 131 – 13
(61) –  Elisabeth Barrett Browning, Aurora Leigh, vers 435 – 48
(62) Emily Brontë , ch, XII, Writing poetry : Mary y mentionne avec admiration le poème écrit en 1845 , The philosopher, dont l’avant dernier vers sera répété plusieurs fois.
(63) –  20th century french writers , p. 168 (Emile Nolly)

(64) Emily Brontë, finis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Biographie de Mary Duclaux – D’une rive l’autre – Chapitre 1

Une jeunesse anglaise

En 1878 paraît chez Kegan & Co, éditeur à Londres, un petit recueil de poésies écrit par une jeune fille de 21 ans, fille aînée d’un couple de la bonne bourgeoisie anglaise, George et Frances Robinson. En 1877 Victoria a été proclamée Impératrice des Indes ; l’Angleterre entre dans la phase la plus haute de son développement économique , c’est l’époque qui verra le succès de Kipling, de Browning , des préraphaélites et de l’Aesthetic Movement ? Tout paraît possible alors à un anglais, le monde lui est ouvert. Mais quel peut être l’avenir d’une jeune anglaise ?

La jeune fille vient d’une excellente famille. Elle a reçu la meilleure éducation possible. Elle vit à Londres dans les quartiers bourgeois de la city et passe l’été à la campagne , généralement dans le Surrey, près d’Epsom où ils ont une maison. Elle fréquente les salons intellectuels de la capitale et la demeure paternelle est ouverte aux artistes , écrivains et poètes : si les anglais et les américains y sont les plus nombreux , on y voit aussi des italiens, des allemands et des français . C’est un milieu international.

Mary Robinson parle anglais bien sur , français, italien, latin et grec. A 21 ans, elle a publié un premier recueil de poèmes , A handfull of honeysuckle et trois ans plus tard paraît chez le même éditeur, la traduction d’une tragédie d’Euripide , l’Hippolyte couronné.

A ce stade le lecteur peut penser qu’il a affaire à un parfait bas bleu ; il peut aussi être impressionné par une telle culture. Il admirera alors l’ouverture d’esprit d’un père de famille qui permet à ses deux seules enfants, deux filles, une éducation rare à cette époque, aussi bien en Angleterre qu’en France. Mary et Mabel ont reçu une formation identique à celle de leurs amis masculins ; elles ont été élevées dans le même contexte moral et culturel. Dans cette Angleterre qui règne sur le monde, dans ces dernières années du siècle, ont-elles eu les mêmes chances qu’eux ? C’est une autre affaire.

Les Robinson vivent à Londres sous le règne de Victoria. « Brouillards, fumées, suies, … mais odeurs animales , crottin, cuirs , paille ,etc. Parcs et odeurs florales, fish and ships … senteurs orientales .. , mais parfums de Covent garden ; égouts en cours de construction , halles aux viandes et poissons, brasseries, tanneries … fiacres et chevaux dans le west end mais vie populaire dans l’east end ; atmosphère encore rurale des banlieues » .. Magasin Harrods, ouvert en 1851 mais échoppes dans l’east end , remplies de produits – et de gens – venus du monde entier (1) . Un jeune ami français, Urbain Mengin, qui débarque à Londres et chez les Robinson , décrit à sa mère le choc qu’il a subi : « Le cœur se serre à voir une misère que j’attendais moins, même après avoir lu Dickens . A côté d’employés de banque en tubes et redingotes allant d’un pas élastique et rapide, on croise des femmes et des enfants qui donnent une sorte de pantomime hallucinante Beaucoup d’enfants vont nu-pieds. Beaucoup de femmes ont des souliers d’hommes ; et sur la tête des chapeaux défoncés … » (2)C’est encore la ville d ‘ Oliver Twist et de Vanity fair ; c’est surtout celle de Gustave Doré et de son London : A Pilgrimage (3), une représentation très axée sur les pauvres et les taudis , mais précise.

Certaines scènes comme les docks de Londres y sont dignes de l’enfer de Dante , d’autres montrent Big Ben, Westminster Bridge et une foule de bateaux à vapeur sur la Tamise, le métro peuplé des foules ouvrières, les encombrements de charrois , d’omnibus et de piétons sur le London Bridge, etc. : une capitale à un tournant de son histoire, en pleine industrialisation, avec une population passant du simple au double, préfiguration de ce que seront les urbanisations du siècle suivant. Mary ne devait pas souvent mettre les pieds dans le métro , mais le bruit , les odeurs , le brouillard étaient bien là, dans cette cité qu’elle a chantée. Ils étaient l’infrastructure d’une ville en devenir , tout être jeune y était sensible et se ne pouvait que se dire : « à nous deux Londres » comme le Rastignac de Balzac devant Paris .

Cette ville était sa ville , et Mary l’assumait. Car elle pouvait y voir autre chose que les docks et les manufactures ; y prospérait aussi tout un mouvement idéaliste, créateur d’art nouveau , affamé de beauté et de retour à la vraie nature, celle des arbres, des fleurs et d’une campagne paysanne encore inaltérée. Londres est la ville des préraphaélites, amis de son père, les Morris et les Rossetti, peintres , poètes, décorateurs, architectes, créateurs d’une certaine forme de poésie symboliste, , du modern style et de l’aesthetic movement ; celle des esthètes comme Oscar Wilde , dont Mary fréquentera le salon , avant le scandale, bien sûr. « Nous autres préraphaélites » écrit elle à son confident (4) . En France cela s’appellera le mouvement symboliste et l’art nouveau.

Mary Robinson est poète . Elle veut que son œuvre exprime le contraste entre la première conurbation du monde et la verte campagne du Surrey ou de l’Oxfordshire , entre la brutale laideur industrielle et la beauté idéale rêvée par les poètes et les peintres , ses amis et contemporains ; ces jeunes – et moins jeunes – gens ont un modèle : Dante , celui de l’Enfer et celui de la Vita Nuova . Pour eux comme pour Dante tout est contradiction : violence sociale et inaccessible Amour, puritanisme d’une société bloquée et aspiration à la liberté , laideur quotidienne et beauté idéale… La famille Rossetti, est un excellent exemple ; le père, Gabriel Pasquale Giuseppe Rossetti, carbonaro, s’était exilé d’Italie comme Garibaldi et a prénommé Dante son premier fils, artiste, poète et libéral comme lui. Dante Gabriel Rossetti est au centre du renouveau artistique dans le Londres des années 50 : il est ami des Robinson. L’Italie de Dante et du Risorgimento fait donc partie des modèles avec lesquels grandissent Mabel et Mary.

Comment vivre dans ce Londres multiple, dans cette Angleterre de tous les possibles ? Comment faire pour agir ? Car il faut agir. Transformer l’Angleterre ! Conquérir le monde. Le héros du Conrad d’ Au cœur des ténèbres (5) dit : « La plupart d’entre nous ne sont ni [des saints] ni [des idiots] . Pour nous la terre est un lieu fait pour y vivre , où nous devons nous accommoder des spectacles , des sons , des odeurs aussi .. et ne pas [nous] laisser contaminer. C’est là qu’entre en jeu notre force , notre foi en notre capacité à creuser des trous pour y enfouir tout cela , notre aptitude au dévouement , non pas à soi même , mais à une tâche obscure, épuisante »

Mary eut pu souscrire à cette définition : ne pas se laisser « contaminer » par la bêtise et la vulgarité , s’efforcer « d’enfouir » loin de sa vue et de celle des autres les spectacles par trop « malodorants » que nous offre le monde ; « se dévouer , non pas à soi même mais à une tâche obscure, épuisante ». Comme les jeunes anglais de la conquête des Indes, le héros de Conrad part à la quête d’un ailleurs, qu’il trouvera même s’il n’a pas la forme attendue. Et les jeunes anglaises ? Dans son appartement londonien la seule jeune fille du roman est vouée à l’attente et au mensonge . « Elles (les femmes, j’entends) sont en dehors de ça , devraient l’être » , nous dit le porte parole du romancier : voici qui règle la question, pour un homme du moins . Et pour une jeune femme ?

La famille Robinson est un modèle . Madame Georges T. Robinson est une mère dévouée et une excellente maîtresse de maison ; Monsieur Georges T. Robinson est architecte de métier d’après l’acte de naissance de sa fille aînée, Mary Frances Agnes ; d’aucuns disent « banquier » , ce qui n’est pas incompatible !! Par goût, il est surtout érudit et bibliophile . Sa bibliothèque , vendue après son décès, comprend plusieurs milliers de livres . Le confort qu’il assure à sa femme et à ses filles , y compris après sa mort , les réceptions dans son salon , les voyages , tout cela prouve une aisance certaine . Leur maison , celle de Gower Street d’abord, puis celle d’ Earl’s terrace , à Kensington , est des plus confortables . Mary évoque ce qu’était la deuxième en 1885 ou 86: « Le joli salon et les trois fenêtres de la façade qui donnent sur les hauts arbres de Earl ‘s terrace tandis que les porte fenêtres du petit salon s’ouvrent sur une large terrasse dominant les jardins d’Edwardes square » (6) Et ailleurs : « Earl’s terrace , c’était d’abord deux douzaines de vieilles maisons construites vers la fin du XVIII ème siècle , commodes, pas bien hautes, avec de jolis ornements … – des têtes de lionceaux sculptées au coin des portes, des fenêtres d’un dessin élégant ; un léger rideau d’arbres et un étroit jardin protégeaient du vacarme et de la poussière de Kensington road ces tranquilles demeures » (7) Même si le souvenir de Mary a eu tendance à s’embellir avec les années, dans le Londres de Victoria on devait certainement voir pire. Pour aller de sa maison à celle de leur ami Walter Pater elle n’avait, nous dit-elle, que des jardins à traverser : on est loin des quais du métro décrits par Gustave Doré.

« Nous étions dans ce temps là, écrit Mary, parfois trois jeunes filles dans notre salon d’Earl’s terrace » La troisième était Violet Paget (Vernon Lee ) (8) , qui fit de longs séjours dans la maison, jusqu’au moment où elle se brouilla avec la famille , mais pas avec Mary comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Vernon offre un portrait de de Georges Robinson : « un petit homme médiocre , bien qu’intelligent, dur et tyrannique » . Ce qui n’est guère aimable et ne correspond pas à ce qu’en pense Mary , du moins si on en juge par ce qu’elle en dit dans ses livres ou ses lettres . Violet était un pilier de la maison , elle y amenait ses amis et Mary lui présentait les siens. Cela arrangeait les deux jeunes femmes , surtout Violet qui avait des ambitions littéraires. Mais elle accaparait Mary et sa sœur Mabel était jalouse, d’où un drame familial et les rancœurs de Vernon.

Tenu ou pas par un homme tyrannique, le salon paternel était grand ouvert aux intellectuels et artistes du temps : formation incomparable pour de jeunes étudiantes . On s’y faisait introduire pour rencontrer des hommes connus, Dante G. Rossetti, les Morris , etc. . Certains d’entre eux eurent une forte influence sur Mary , par exemple l’écrivain et critique d’art Walter Pater (10) , très célèbre à l’époque. L’un des commensaux (11) s’en souvient fort bien , qui va chez les Robinson pour l’y rencontrer et décrit ainsi la visite: « j’ai rencontré Walter Pater chez Mr George T. Robinson, [dans sa maison de] Gower Street, à cette époque lieu et de rencontre pour les poètes, romanciers, dramaturges, écrivains de toutes sortes, peintres, sculpteurs, musiciens etc., pèlerins venant de ou allant vers la véritable bohème. L’hôte et l’hôtesse avaient la rare faculté de garder et de se créer des amis, et tous ceux qui les connaissaient éprouvaient pour eux une estime affectionnée ; mais les réunions délicieusement informelles (12) où tous se mêlaient si heureusement étaient surtout dues à la brillante jeune apprentie poétesse Miss A.Mary F. Robinson , et à sa sœur, actuellement la romancière bien connue, Mis Mabel Robinson. »

Mary recevait Walter Pater chez son père et le retrouvait chez lui , « assis au coin du feu dans son calme salon gris , ou bien, marchant sans bruit à l’ombre des arbres du jardin » « Il était fort laid, nous dit elle, mais c’était une laideur agréable et distinguée .. il ressemblait .. au portrait de Philippe IV d’Espagne par Velasquez » . Bref il n’était ni beau, ni expansif , ni très drôle . Les trois jeunes filles, y compris Violet Paget, (Vernon Lee) « qui commençait et finissait par nous la tournée de visites qui l’amenait chaque été en Angleterre» – l’aiment et le fréquentent assidûment : non seulement c’est une célébrité mais sa conversation est – parfois – brillante ,.. et instructive : « Je [dit Mary] n’ai connu qu’un autre causeur dont les propos oscillassent pareillement entre l’acquiescement anodin et les périodes étincelantes , – c’était Ernest Renan. » . Ses propos , comme ceux d’un autre de ses amis d’alors , Robert Browning, ouvraient à Mary des espaces insoupçonnés.

Walter Pater ne se maria jamais (la chose est rare à l’époque ; rappelons nous qu’Oscar Wilde était marié et père de famille) ; Pater vécut toute sa vie avec ses deux sœurs, tant à Oxford qu’à Londres ; joint à ses théories esthétiques fondées sur l’empire de la sensation, ce fait particulier contribua à la défiance de l’establishment, mais n’empêcha pas son amitié avec les Robinson : autre preuve de leur largeur de vue ! « Les Pater, (Walter et ses deux sœurs) .. venaient volontiers s’asseoir à notre table de famille, mêlés à nos jeunes cousins , à nos tantes, et rien n’égalait la simplicité de Walter Pater en ces occasions . Il semblait se divertir à partager nos jeux , et risquait parfois une plaisanterie. » Ce fut lui , entre autres, qui initia Mary à la beauté des choses simples : « Un jour je le rencontrai dans l’étroit jardin qui s’étendait entre nos maisons et la rue , il arrivait d’Oxford , ( où il donnait ses cours) l’air rayonnant ; il m’arrêta pour me raconter sa charmante aventure : il avait vu des fleurs qui poussaient dans un champ ! Ces fleurs n’étaient que des fleurs d’oignons . Cela suffisait pour le rendre content comme un enfant .. Il semblait revoir une apparition céleste … La beauté , pour lui, était toujours un message divin» . Savoir jouir des choses les plus proches ! Mary n‘oublia pas cette leçon, qui la suivit jusqu’à sa mort.

A travers lui Mary , toute fille qu’elle fut , avait des rapports avec l’université d’Oxford qui lui réserva d’autres aventures. « Vers 1880 le savant Frédéric Myers (13) … eut l’idée de donner à Londres une comédie de salon d’un genre tout à fait insolite : il voulait faire jouer , en grec, par quelques amateurs, l’Agamemnon d’Eschyle. Les difficultés s’amoncelaient, et , pour commencer, la distribution des rôles n’était guère commode . Il n’y avait pas un grand choix d’acteurs suffisamment hellénistes ; et c’est ainsi, qu’à moi, modeste étudiante de vingt ans, échut le personnage de Cassandre . Grande était ma joie ; j’apprenais par cœur la scène terrible que je devais jouer et, pendant quelques mois, notre maison retentit de lugubres ότοτοϊ lancés par une jeune voix heureuse. Cependant la préparation traînait en longueur, car, si on trouvait preneur , à la rigueur , pour Agamemnon comme pour Clytemnestre, personne ne voulait se charger de ces grands diables de chœurs , dont le sens est souvent impénétrable, et qui demandent une foule d’acteurs . Aussi le projet de M. Myers fit-il long feu – pour être aussitôt repris par je ne sais plus quel collège d’Oxford ; mais, enfin mise sur pieds, la représentation ne comportait plus de rôle de femmes et,- la Reine et la prophétesse devant être jouées par de jeunes hommes – je perdais mon emploi . Pour me dédommager le collège m’adressa une invitation pour la « première » . Ce qui valut à Mary une visite à Oxford où elle séjourna chez les Humphrey Ward (14) , proches de Walter Pater, et vit la fameuse représentation d’Agamemnon : en grec !

Cette petite histoire prouve au moins deux choses : d’abord l’immense culture du milieu londonien où vivaient les Robinson . J’imagine mal une tentative équivalente dans la France de la troisième République, sauf peut être à l’École Normale Supérieure , et encore ! Pour quel public ! Ensuite l’immense culture de notre héroïne, qui n’eut sans doute d’égal que l’intensité de sa déception.

Quarante cinq ans après, Mary Robinson devenue Duclaux et française , peut raconter l’histoire avec la distance de l’humour . Je doute fort que la jeune helléniste de vingt ans prit la chose avec autant de philosophie : sa famille et le milieu intellectuel dans lequel elle évoluait n’avaient pas vu d’obstacle à mettre en scène une jeune fille ; pas les oxfordiens qui se souvinrent opportunément que les rôles de femmes chez les tragiques grecs étaient tenus par de jeunes hommes. Ce n’était sans doute pas la première fois que Mary se heurtait au mur de verre, ce ne serait pas la dernière. La chambre de la jeune fille dut retentir des pleurs suscités par la négation d’une grande compétence . Et le refus des femmes !

Dans le salon de leurs parents les deux sœurs ne rencontraient pas seulement des gens d’âge mûr qui contribuaient à leur formation ; bien des jeunes hommes y venaient aussi, cherchant des soutiens et des mentors . Et ce petit monde s’amusait.

Parmi eux George Moore, le célèbre romancier, qui resta leur ami jusqu’à sa mort (15) Mary Duclaux écrit sur lui, trois mois après sa disparition, un article dans lequel nous trouvons une autre description du salon paternel. Après un séjour de sept ans à Paris , George Moore vient à Londres chercher un éditeur pour son premier livre de poésie : « Il avait alors vingt quatre ans … et j’en avais dix neuf . Je n’avais encore rien publié mais on savait que je faisais des vers , et je travaillais le grec à force , à l’University College, seule de mon espèce dans une classe de jeunes hommes. … Introduit chez mes parents … Moore se lia vite d’amitié avec ses deux jeunes contemporaines [Mary et sa sœur Mabel] . Je me rappelle très bien cette première visite et l’impression qu’il nous fit. Il avait l’air d’un peintre, avec sa barbe , sa lavallière , sa jaquette de velours noir. Il n’était pas beau, il y avait même quelque chose de vaguement comique dans son allure… C’était peut être seulement qu’il avait l’air étranger dans notre docte petit cercle d’artistes et de savants. … Si Moore nous semblait étrange, nous avons du lui paraître au moins aussi curieuses. Nous vivions dans un petit monde fermé, Mabel et moi. Ce soir là, (Moore me l’a souvent rappelé) nous portions avec la même simplicité qu’une débutante met à s’habiller d’une blanche mousseline , des robes compliquées et moyenâgeuses qui traînaient de toutes parts sur le tapis , lacées sous les bras par de longs cordons d’un or volontairement terni. Bref l’habit des statues de la façade de Chartres » En 1876 la mode gothique était quelque peu dépassée en Angleterre, mais les préraphaélites la maintenaient, et Mary à leur suite.

Moore passait souvent les voir, dans ses passages entre Paris et l’Irlande. Tous trois étaient « jeunes et gais » ; Moore , « après tant d’années passées loin de sa langue natale, souffrait le martyre auprès de nous lorsqu’il faisait des fautes d’orthographe ; on cherchait umbrella sous la rubrique des O » . Les jeux étaient du genre littéraire dans les salons londoniens à la mode , ou dans le « cottage » que possédait la famille Robinson « sur le communal d’Epsom, au milieu des ajoncs et des vaches ». C’est dans le salon des Robinson à Earl’s terrace que George Moore , qui a trouvé sa voie vers 1886 ou 87 , rencontrera son idole et son modèle littéraire , Walter Pater, que lui présentera une Mary « distraite, distante, se retirant dans les coins [ dont] les pensées volaient déjà vers la France » (16)

Notre poétesse n’est pas seulement un jeune fille qui songe à s’amuser , fut-ce aux dépens de ceux qu’elle admire ou aime. Il y a chez elle une tendance que sa famille et ses amis connaissent bien : parmi les nombreuses occupations auxquelles Miss Mary Robinson permet de la distraire de sa vraie vocation, l’écriture, ils en remarquent une autre : celle de soro consolatrix .Tous les jeunes artistes en difficulté ou en détresse qui viennent chez les Robinson peuvent compter sur elle . L’un d’eux (17) par exemple avait reçu de Dante Gabriel Rossetti une lettre d’introduction ; il va chez les Robinson en fin d’après midi, « à ce moment heureux où la dernière lumière du jour et la lueur du foyer ne sont pas effacées par une lumière plus brutale » . Suit une longue description de Walter Pater, à côté du piano, écoutant ce que lui disait en riant Mary Robinson et sortant presque tout de suite de façon abrupte. C’est Walter Pater qu’il venait rencontrer mais l’écrivain en herbe décrit aussi, un peu étonné, la relation de Mary avec un poète aveugle, Philip Bourke Marston (18) : « en 1880 ou 1881 il se passait rarement une semaine sans que Miss Robinson consacre au moins une ou deux heures dans l’après midi à lire et converser avec l’ami qu’elle admirait tant et dont elle avait pitié. » Ce souci des malheureux et des handicapés de la vie frappe le jeune observateur : c’ est sans doute une des clés de la vie de Mary, en tout cas c’est celle de son mariage avec Darmesteter.

La formation que reçurent Mary et Mabel n’est que peu différente de celle des garçons de leur âge et de leur milieu, au moins sur le plan intellectuel. ; c’est la meilleure formation que leur père put fournir et elles en furent reconnaissantes. Un an de pensionnat à Bruxelles , pour apprendre le français , et aussi, -c’était un des objectifs de ces maisons huppées – l’art de tenir une maison . De cette pension, qui n’a rien à voir avec celle que décrit Charlotte Brontë, elles ne semblent pas pourtant avoir gardé le meilleur souvenir ! Peut être , si l’on en croit Mabel, parce que trop éloignée de parents très aimés. Cet exil dura moins d’un an. Puis vint l’Université.

Oui ! En 1876 / 77 ! L’University College de Londres (19) . Mary y étudia les cultures classiques , et Mabel , les beaux arts . Mary , seule fille dans sa classe , comme elle nous l’a dit , en était fière : parmi les – rares – papiers laissés derrière elle après sa mort dans sa maison d’Auvergne , figure le certificat de fin d’étude de l’U.C.L. , « magna cum laude » .

Telle était la famille, telle était la maison des Robinson : libre et ouverte à tous . Avec une légère tendance à la distance vis à vis de la contrainte sociale . Milieu d’artistes et d’écrivains à la mode mais souvent contestés, lieu de rencontre pour toutes les nouvelles tendances artistiques , le salon paternel ne peut que donner envie d’agir, de participer à ce foisonnement d’idées , de créer comme les jeunes hommes qui le fréquentent et y cherchent, à travers les rencontres, leur voie vers l’art, et si possible la gloire . Cette gloire qu’obtiendront les amis de jeunesse, les Henri James, John S. Sargent ou George Moore . Mais c’étaient de jeunes hommes, leur chemin était pavé de difficultés, ardu, mais ouvert .

Et celui de Mary ? Elle publie des poèmes , écrit la biographie d’Emily Brontë, se veut historienne et se présente comme telle : à preuve la dédicace à elle faite en 1881 par Jules Barbey d’Aurevilly pour son roman , Un prêtre marié : « à Mademoiselle Mary Robinson, un romancier français à une historienne anglaise » (20). Un homme eut pu , s’il le voulait, suivre ce chemin . Mais Mary ? En aura-t-elle la possibilité , et surtout le courage et la force ?

Que meilleur environnement pour un apprentissage dans les années 1870 ? Une famille artiste et cultivée, et l’Université . Mary a de la chance . Mais l’apprentissage se joue aussi ailleurs : il se fait avec les expériences , à travers les rencontres diverses de maîtres qui ouvrent les voies et vous font prendre conscience de ce que vous êtes . Deux hommes jouent ce rôle , deux hommes plus âgés qu’elle . Le premier est Robert Browning (21) ; le deuxième , John Addington Symonds,(22) que nous retrouverons au chapitre suivant , en concurrence avec Vernon Lee . Mary présentera l’œuvre de Robert Browning chez Grasset, et celle de sa femme bien aimée, Elisabeth Barrett-Browning dans la préface à Casa Guidi windows . Elle dédiera à Symonds l’ Hippolyte couronné et The end of the middle age. Browning était – et est toujours – considéré comme un des premiers poètes de langue anglaise. Pour une jeune poétesse en devenir , peut il y avoir plus grand maître, au sens idéal du mot ? J. A Symonds ne sera jamais un idéal , mais un conseiller et un maître , au sens éducatif du terme.

Robert Browning a 45 ans de plus que Mary ; c’est donc un vieux monsieur qu’elle rencontre pour la première fois , dans des circonstances romanesques ,(23) : en bateau , retour de France , sur le pont , avec son chat « natif du quai voltaire » « mis dans une cage à oiseau » .
« Ah , que nous étions malades, Minette et moi ! » . Alors un vieux monsieur vient à son secours -« Il me semblait bien vieux, il avait tout près de soixante six ans »: c’était Robert Browning . « Ah, gloire à Neptune ! m’écriais-je ; je suis contente d’avoir été malade ». Et de continuer : « Robert Browning fut un des grands amis de ma jeunesse … Il n’était pas exempt de l’affabilité banale des hommes célèbres ; un peu de l’encens qu’on lui prodiguait flottait encore dans sa parole. ..Pour moi il fut exquis.. N’étais-je pas alors une jeune fille délicate, maladive même, qui lisait les poètes grecs et faisait des vers ? Celles là, toutes, il les recevait dans son cœur : un reflet de sa chère morte les éclairait. ». Après le premier volume de vers, « que Robert Browning fut bon pour moi alors, auguste à la fois simple et paternel ! » Ils parlaient d’Élisabeth .

Le vieux monsieur, veuf d’Elisabeth Barrett, l’amour de sa vie , n’était pas insensible à un joli minois, surtout quand il s’accompagnait d’une vive intelligence et d’une grande culture. Ils se revirent donc et c’est ce que Mary rapporte dans la préface aux œuvres de Browning publiées dans les cahiers verts (24) : « Browning fit venir de Florence ses livres, ses tableaux, ses meubles et s’établit dans une maison dont le stuc moisi, le portique trop mince, la vue sur le canal désert, les arbres penchés ne manquaient pas d’un certain pittoresque morne… Je me rappelle bien cette villa confortable et mélancolique de Warwick-Crescent, le canal désuet, la route humide » : c’est là qu’elle lui rendait visite.

Le maître racontait ses souvenirs, lisait ses poèmes, la jeune femme écoutait religieusement : « J’entends la voix du maître qui loue la beauté romantique et pure flottant autour de Pompilia ( l’héroïne de The Ring and the book), la victime, et la puissance presque sauvage du raccourci qui décrit son assassin. » Bien entendu ils parlaient littérature, Browning était ému par l’admiration de Mary . Lui rappelait-elle Élisabeth ? Possible . Les deux femmes , à près d’un demi siècle d’intervalle, se ressemblaient , sinon physiquement , au moins par leur enthousiasme et leur amour de la liberté. Il lui donna donc des conseils , sur l’écriture et sur la vie , comme quelqu’un qui eut pu être son grand père. « Je me rappelle le vieux barde consolant mes inquiétudes de jeune âme aux prises avec un monde trop éloigné du rêve ; il me disait de perfectionner mon petit talent et de ne pas me soucier du reste . – follow your star ! – me disait-il , souriant, le doigt levé … Le monde était pour lui une sorte de pépinière destinée à produire des plantes plus ou moins parfaites et non pas à offrir au regard un spectacle ordonné. La société est peu de chose, l’âme individuelle seule importe : c’est en nous développant contre tous que nous remplissons notre devoir envers Dieu. »

Que fut-il pour elle ? Un maître ? Non : il était bien trop centré sur lui même et trop peu attentif. Plutôt un modèle , celui du poète qu’elle aurait bien voulu devenir et du but qu’elle n’atteindrait jamais . Une image aussi , celle là essentielle : celle d’un couple d’amants , tous deux poètes, chacun se comportant en égal de l’autre, chacun soutenant et comprenant l’autre : un vrai couple quoi ! Dans la vie et non seulement dans l’imaginaire, à la différence du couple rêvé, celui de Dante et Béatrice . La preuve tangible qu’un rêve peut s’incarner dans la réalité contemporaine ! Mary ne fut pas la seule de sa génération à en avoir la nostalgie, elle la partagea avec bien d ‘autres, dont Barrès , de qui la curiosité fut à l ‘origine de leur liaison quelques trente années plus tard. Elle ne cessa de les lire, s’imbiba de leurs œuvres, les poèmes, et les lettres malgré la gêne : :« un indiscutable malaise émeut une fibre restée vivace dans notre âme ..quand nous lisons des pages écrites pour deux yeux seuls, depuis longtemps éteints ; et pourtant comment ne pas les lire, ces lettres ? » Elle les lut donc, rêva d’une destinée semblable : s’ils l’ont pu , pourquoi pas moi ? Comme but , puis comme regret, cette image l’accompagna toute sa vie .

Se développer contre tous , disait le vieux monsieur ; ne pas se laisser handicaper par « un monde trop éloigné du rêve » C’est ce que Mary n’allait pas tarder à faire , avec l’aide de celle qui, après sa famille, fut au cœur de sa vie pendant ces années de formation , Vernon Lee, et l’appui de celui qu’elle reconnut clairement comme son premier maître , John Addington Symonds.

En attendant qu’elle fit le pas décisif qui la conduirait loin de sa famille, en Italie, à Florence, vers une destinée indépendante et une première forme d’amour humain , à quoi rêvait la jeune fille sous le toit protecteur de Kensington ?

A l’amour d’abord. A la gloire ensuite . Quoi de plus naturel ?

Mais l’amour est rarement heureux : il est ambiguë, spirituel et charnel ; il est ouverture vers la beauté idéale et risque mortel. Pour les femmes d’avant la contraception chimique, il est toujours lié à la mort. C’est pourquoi, quand elles en avaient le courage – et la possibilité – tant de femmes ont cherché à le fuir : par la vie religieuse. par l’amour de Lesbos, Malgré les pressions sociales qui fonde sur les femmes le pouvoir masculin de se survivre !

Pour les hommes victoriens ce n’est plus d’ambiguïté qu’il s’agit, c’est de séparation totale . D’un coté il y a l’amour idéal , la Béatrice dont on rêve dans un tableau ou un poème , et de l’autre la sexualité ; d’un coté il y a la famille et les enfants, fondements de la société, et de l’autre des compensations d’un autre ordre, avec d’autres qu’une épouse qu’on respecte trop pour lui faire vraiment l’amour. La prostitution est condamnée par la morale, bien sûr ; les amis des Robinson , – Dante Gabriel Rossetti pour ne parler que de lui -, s’en accommodaient fort bien . Sous Victoria , en France comme en Angleterre, il y a le mariage, union sociale vouée à la reproduction du patrimoine et de la famille, il y a l’amour sexuel vénal auquel seuls ont accès les hommes, – et apparemment ils ne s’en privent guère – et il y a l’amour inaccessible dont rêvent les poètes. Sauf rare exception, les trois sont séparés, et bien séparés.

Voilà pour les jeunes hommes ! Et les jeunes femmes ?

Sur ce point l’éducation qu’avaient reçue les deux filles de M. Robinson n’avait pas fait d’elles des oies blanches. Leur première chance, dont elles furent tout leur vie reconnaissante, ce fut l’amour dont elles furent entourées, qui admettait la liberté de connaître et d’agir. Cet amour leur accordait l’autonomie ; il se fondait aussi sur la solide morale prônée par l’église anglicane et le sens du devoir dû à soi même , à sa famille, à l’Angleterre. Et le premier devoir est de se conformer, au moins en apparence , à ce que la société attend de vous.

Les Robinson avaient confiance en leurs filles sur ces points essentiels de leur éthique, certains qu’elles n’y manqueraient jamais. Leurs parents les traitaient en adultes, leur accordaient la plus grande liberté compatible avec les préjugés de l’époque, même un peu au-delà , et tenaient grandes ouvertes les portes de la culture et de la connaissance, sans interdit. Aucun souvenir de Mary ne rapporte le genre de défense ou de précaution à propos des « choses de la vie » à quoi font allusion les mémoires des jeunes femmes françaises de sa génération , ou de la génération suivante qu’elle connut de près à travers la famille d’Émile Duclaux. Si elles ne pouvaient tout expérimenter, elles pouvaient tout -ou presque tout – savoir. Juste le genre d’éducation opposée à celle assurée à ses enfants par le révérend Patrick Brontë et que Mary décrit dans la biographie : « [leur] enfance abandonnée, [leur] ignorance sans appui, n’en appelaient pas à son cœur » (25) . Mary et Mabel eurent l’amour , le soutien et surtout la confiance de leurs parents, quoi qu’elles fassent. Mais justement élevées comme elles l’avaient été, elles ne pouvaient rien faire de bien condamnable.

Les deux sœurs Robinson ont eu un rapport particulier au mariage. Mabel ne se maria jamais ; la légende familiale, dont le fondement m’a toujours échappé, disait qu’elle fut amoureuse d’un indépendantiste irlandais et ne put l’épouser (26) . Mary épousa par amour un intellectuel français affligé d’un très gros handicap. Ses biographes soupçonnent un mariage blanc, ce qui est loin d’être prouvé, mais la composante sexuelle n’en était certainement pas l’essentiel. Puis, en secondes noces, un savant de vingt ans son aîné, déjà malade et qui mourut cinq ans après. Quand la jeune Mary parle d’amour, ce n’est évidemment pas à des expériences physiques qu’elle pense.

Chez Mary Robinson , il n’y a aucune ambiguïté : l’amour dont elle rêve n’est pas le mariage , bien que les deux ne soient pas incompatibles , voir les Browning ; il est l’idéal mais un idéal intimement vécu qui résonne comme bien plus qu’un thème littéraire. Et quant à la gloire , aucune de ses œuvres de l’époque n’ose clairement la revendiquer, bien qu’il en soit souvent question , mais d’une façon très générale .

Lisons A handfull of honeysuckle , (Une poignée de chèvrefeuille) : c’est d’abord un recueil de poèmes d’amour.

Nous y rencontrons le fatras de dames à hennin veillant aux sommets des tours et de damoiseaux fidèles qui meurent au loin en rêvant d’elles : nul, à l’époque, n’échappe au style troubadour. Autour de cela on peut évoquer pèle mêle les constructions gothiques de Viollet-le-Duc ou Louis II de Bavière, les fauteuils à dossier droit et ornements contournés de William Morris et les vases de Gallé. La littérature française a beaucoup donné dans ce travers à la fin du siècle, ainsi que la peinture ; nous l’avons trop oublié en faveur des Baudelaire ou des Rimbaud, des poètes maudits, et du salon des refusés.

L’Angleterre, plus rétive aux tendances révolutionnaires dans l’art, a beaucoup moins pratiqué le rejet ; Victoria survécut à Napoléon III, Londres ne connut pas la commune ; seul Oscar Wilde fut assez imprudent pour se croire au dessus des conventions bourgeoises et Mary fréquenta son salon quand le maître de maison était encore fréquentable. Les artistes anglais en général s’arrangèrent de l’hypocrisie ambiante assez bien pour recevoir des commandes officielles et publier des œuvres reconnues. Mary Robinson ne fit pas exception à la règle ; elle publia un recueil de poèmes, qui eut son petit succès. Elle publia aussi la traduction d’Euripide , un exercice d’école , comme elle l’avoue elle même : « Désireuse de mêler l’utile et l’agréable, [je] crus que le meilleur moyen d’y parvenir [à la maîtrise du grec] serait de traduire en vers l’une des grandes œuvres classiques » (27) Traduire, soit ! Mais publier ? On ne peut s’empêcher de penser que la jeune personne, entre 1878 et 1881 cherche une certaine publicité littéraire .

Donc les dames à hennin, les fées, les tours crénelées, etc. Mais les Préraphaélites Brothers (PRB) ont été fondés par D. G. Rossetti et William Morris, entre autres, en 1848 , quelques dix ans avant la naissance de Mary ; cela date un peu . Pour Mary pourtant , si le préraphaélisme est une mode, elle lui convient parfaitement ; le lecteur la sent heureuse de célébrer les âmes errantes à la recherche de l’amour perdu, les anges musiciens rêvant de paradis, les héros médiévaux offrant leurs souffrances à leur dame. Leur monde est le sien, elle ne s’est jamais senti bien dans le réel ; « J’avais, hélas, écrit-elle à John A. Symonds en janvier 1879, toujours considéré les personnes réelles comme des modèles commodes pour des livres et des tableaux » : c’est une profession de foi que n’aurait pas reniée un préraphaélite . Pourtant elle en perçoit le ridicule : un an plus tard elle écrit au même : « nous autres, préraphaélites, … nous sommes ridicules, il faut l’admettre » (28) .

Ridicule et irréalisme ? La jeune poétesse, qui ne serait pas fâchée d’avoir du succès, adhère à la doctrine préraphaélite dans ce qu’elle de plus éthéré, puisqu’elle réussit . Ce n’est pas une raison pour prendre au sérieux « les gens très ordinaires [rencontrés dans les salons] qui passent, tous autant qu’ils sont, pour les plus grands génies de tous les âges » (29) . Le bon sens et l’humour ne l’abandonnent jamais. Ajoutons à sa décharge que l’art académique anglais , « vers 1850 » juste avant sa naissance est selon ses propres termes « dans ses plus tristes jours : – un art d’anecdote et de commerce, ignorant la beauté, oublieux de l’idéal, qui ne pouvait contenter une jeunesse ardente et pleine de foi » (30). Jeunesse dont à l’évidence elle fait partie.

Hélas , écrit-elle ! C’est explicite . Le recueil est dans l’air du temps, mais il y a autre chose, qui en fait pour nous l’intérêt .Cet autre chose n’est pas le réalisme. Dans A handfull of honeysuckle Mary Robinson sacrifie certes, une fois, à l’obligatoire manifestation socialisante : un poème, parmi quarante huit, sur la chanteuse des rues. On pense à Pixérécourt ou Eugène Sue : dans la rue, sous la pluie et la neige, sauvage et sans loi, la chanteuse va chantant tant que ses pas la portent, les anges aiment la beauté de sa voix : elle chante pour un peu de pain et de pitié. Est-elle trop vile pour que la choisisse Celui qui récolte son âme dans sa voix ? Tout le poncif de la rédemption ! Aristide Bruant n’eut pas mieux fait! Personne ne peut dire que ce poème ajoute à la gloire de Mary.

Pourtant elle fera un effort louable pour ajouter cette corde à sa lyre : ce type de poème constitue la moitié du recueil suivant , A new Arcadia, qui , lui, reçut une mauvaise critique .Mary en fut désolée et faillit renoncer. La mode apporte la reconnaissance sociale ; et la reconnaissance sociale permet d’agir. Mary voulait agir. Mais la poésie peut-elle , doit-elle être utile ? Et si elle doit l’être, à qui d’autre qu’aux pauvres, aux soutiers de l’ère victorienne ? Interminable sujet de discussion entre elle et Vernon Lee avec qui elle vivait quand le recueil parut (31) . Pourtant Mary n’était pas faite pour cette forme de sujet, elle qui passait de la maison paternelle de Gower Street ou Earl’s terrace aux salons à la mode et aux grands magasins Harrods, sans salir ses souliers autrement qu’en montant dans un des innombrables fiacres ou en foulant les allées ratissées des jardins londoniens . Une femme convenable ne sort ni sans chapeau ni à pieds. Elle continuera à agir de même quand je l’ai connue dans son extrême vieillesse, juste avant la dernière guerre, lorsqu’elle et sa sœur appelaient un taxi pour partir en visite et ne traversaient à pied la rue de Varennes que pour se rendre en face, aux Invalides, visiter les gueules cassées qui y étaient encore hébergées.

Elles avaient de la misère une connaissance convenue. Ma mère et ma grand mère s’amusaient de cette attitude, partagées entre un étonnement légèrement scandalisé, le rire et une admiration affectueuse . Grand-mère Duclaux, comme elles l’appelaient, n’a par exemple jamais songé à dispenser de travail une femme de charge affectée par un deuil familial ; peut être croyait-elle vraiment à ce qu’elle disait : la sensibilité n’est pas l’apanage des classes laborieuses, tout le monde le sait. Elle se donnait donc assez de recul pour être gênée le moins possible par les problèmes des autres : certains autres , pas tous, ceux qui n’étaient pas de son monde, ceux auxquels elle n’était pas attachée . Cela n’excluait pas une grande gentillesse, un intérêt sincère pour qui vivait près d’elle – non avec elle. Elle fut capable d’envoyer Émile Roux à l’autre bout de Paris pour prendre des nouvelles de sa bonne, malade, ce qui lui valut de la part du Directeur de l’Institut Pasteur qui s’était exécuté, une réponse gentille mais légèrement ironique. Roux aimait beaucoup Mary mais il avait le sens du ridicule.

Telles étaient les contradictions de la charité victorienne ! Son inefficacité, son inadaptation au monde industriel sera patente lors de la grande guerre. Les bourgeoises de cette génération furent bien obligées de l’admettre, mais ce fut une démarche intellectuelle ; dans leur vie quotidienne, dans leurs relations familières, elles ne purent jamais l’accepter ; le clivage du monde en classes était aussi naturel que les divisions géographiques.

Mary n’était donc pas vraiment bien placée pour chanter les héros populaires . L’intérêt de ce premier recueil de jeunesse est bien autre. Deux thèmes y sont récurrents , la nature et l’amour ; ce sont des thèmes préraphaélites mais ils sonnent vrai. Cette sincérité fit leur succès qui étonna l’éditeur : le petit recueil, contrairement à toute attente, fut légèrement rentable.

En 1896 (32) elle commente ainsi le tableau de D. G. Rossetti, l’annonciation (1851), qui choqua fort le bourgeois anglican ; l’image est celle de la vierge, « sans manteau bleu » (!), comme une jeune fille du peuple, en chemise de nuit dans une pauvre chambre « de pensionnaire », face à un « ange sans ailes : « c’est du réalisme, si l’on veut, mais du réalisme transformé en symbole », nous dit-elle. Définition qui s’applique à ses poèmes. Comme celui de Dante G. Rossetti, le réalisme de Mary tient dans les détails ( fleurs, paysages, décors…) mais l’œuvre vise bien autre chose que la pure représentation de la réalité , elle vise ce que la réalité est sensée montrer, la vérité sous la forme du symbole : pour le Rossetti du tableau il s’agit de la vérité religieuse . Pour Mary ce sera la vérité de l’amour.

Les tableaux de Rossetti ou Morris, pour ne parler que d’eux, sont remplis de jardins pleins de fleurs, comme les tapisseries médiévales dont ils s’inspirent ; le thème est anecdotique ou symbolique , la flore parfaitement réelle. De la même façon Mary chante le printemps , la jeunesse .. et l’amour. Le bonheur n’est pas sur terre et la beauté s’évanouit , thème classique . Le Ronsard de Mignonne, allons voir si la rose… traite le sujet comme une exhortation à jouir ; les préraphaélites – et Mary – le vivent dans la tristesse, comme s’ils y voyaient l’ impossibilité du bonheur :

Chante, hurle, ris, danse, le printemps est avenu, l’hiver a été lent à mourir. Mais regrette un peu l’hiver, printemps de l’an dernier, frappé au cœur par le premier souffle du printemps. Toi, moi et cette année neuve, nous chantons : la mort réduira nos chants au silence. (33)

La mort hante le petit recueil. D’abord dans une tristesse sereine, où ne perce aucune violence, pas la moindre révolte :

Les clochettes des près remplacent les pissenlits, je ne m’en soucie pas : les roses fleurissent quand les fleurs des champs se fanent. Mais les roses aussi faneront comme les pâquerettes ; et j’oublierai qu’elles ont jamais vécu. (34)

La mort ! Et les souvenirs littéraires :

Derrière le paradis il y a une forêt où vont les amants malheureux, à demi reconnus, à demi oubliés ( half remembered, half forget) ; là sont Orphée, Sapho et Lancelot, half remembered, half forget ; Jason et Médée, Rosamonde et la belle Haulmière, half remembered , half forget ; .. amants, j’espère que votre jeunesse.. sait comment Amour peut devenir peine, half remembered, half forget. (35)

Toute jeune fille rêve d’amour ; il est plus rare qu’elle le situe toujours dans un ailleurs inaccessible et qu’il ne soit jamais lié au bonheur. Il est curieux de voir qu’une jeune fille, qui n’a jamais vraiment souffert et vit dans un milieu protégé, puisse si tôt envisager l’absence de bonheur à venir.

Hier je reposais à l’ombre sur la pelouse ; un faune m’y rejoignit ; nous nous sommes bâti une maison de fleurs, nous y faisions des libations lorsque les cloches noyèrent nos chants et nos vœux ; la lumière du ciel disparut et nous nous dîmes adieu. Nous avions oublié, lui qu’il était mort, et moi, que je dois mourir. (36)

Un psychanalyste ferait ses choux gras de ce faune évoqué par une vierge qui ne peut l’accepter que parce que tout le monde sait qu’il n’existe plus et ne présente donc aucun risque pour elle. La présence de la mort, d’une certaine façon, garantit l’absence du danger. Et, puisque l’amour est à ce point dangereux, ne vaut-il pas mieux ne pas l’éprouver dans sa réalité sexuelle mais dans l’imaginaire, n’évoquer que sa finitude dans l’oubli, l’absence des corps, le souvenir ?

La mort est aussi un passage. Prégnance des mythes païens et chrétiens : le Léthé, le Paradis : les amants se rejoindront, mais ailleurs .

Viens avec moi au lac Léthé puisqu’ Amour est mort …Bois avec moi au lac Léthé, au fond, toujours plus au fond. (37)

Je connais un pays de tranquille repos : ni désir, ni dégoût, ni souffrance n’y parviendront jamais …chacun y dépose son fardeau …Là mon amour et moi nous étendrons et dormirons ; un pays si lointain qu’aucun soupir, aucun son, aucun souvenir de la terre ne l’atteindra. (38)

Quel dégoût, quelle souffrance, quel désir peut avoir expérimentés une jeune anglaise privilégiée de dix huit ans ? Son premier biographe, Emile Tissot, avait conclu à des amours de jeune fille « aussi blancs que le pouvait souhaiter l’âme la plus scrupuleuse , mais réels » . Réponse de Mary, alors Darmesteter : « Cette psychologie de jeune fille [celle supposée par E. Tissot], .. pour moi du moins elle n’est pas vraie. A vingt ans j’étais encore toute à mes vieux bouquins… l’amour était intéressant puisque c’était dans la Vita Nuova, mais ce qui me passionnait bien davantage , c’était une ballade d’Henri de Croyes, une manche à la Véronèse ou une théorie de Platon.. » (39) J’ai du mal à croire tout à fait la femme de trente ans , mariée et heureuse, qui repense sans indulgence à ses imaginations de jeunesse. Ne s’agirait-il pas plutôt de la peur ? Celle d’avoir à éprouver du dégoût, de la souffrance ou du désir ?

Parmi les nombreuses tragédies grecques , c’est l’Hippolyte porte couronne d’Euripide qu’elle choisit de traduire, en vers . Et le texte , quoique porteur d’une morale familiale et sociale qui n’a rien à envier à celle de Victoria, contient des passages d’une rare violence qui inspirèrent Racine . Quelle image de la femme véhicule-t-elle ? Que pense Hippolyte de ce fléau funeste ?

« le père qui l’a mise au monde et l’a élevée y joint une dot pour la faire entrer dans une autre famille et s’en débarrasser. L’époux qui reçoit dans sa maison cette plante parasite se réjouit ; il couvre de parures sa méprisable idole, il la charge de robes, le malheureux, et épuise toutes les ressources de son patrimoine. .. Je hais surtout la savante … car ce sont les savantes que Vénus rend fécondes en fraudes, tandis que la femme simple, par l’insuffisance de son esprit , est exempte d’impudicité.. »

Ces discours nous rappellent quelque chose , et Mary choisit de les traduire avant d’avoir pu lire Stuart Mill ou les moqueries de Taine dans Thomas Graindorge. Ils devaient bien éveiller dans son esprit des résonances sur la condition des femmes ,- sa condition donc – , qui n’étaient pas seulement celles qu’on peut tirer de la beauté des textes grecs.

Le monde victorien n’est pas un monde romantique et, même à l’époque romantique, en France ou en Angleterre, les jeunes filles des classes nobles ou bourgeoises attendaient d’être mariées pour oser ressentir une passion dont la réalité leur demeurait cachée . L’Elise de Lamartine était dûment mariée comme le fut la Charlotte de Werther ; Manon Lescaut comme Atala en sont mortes. On voit mal Mary amoureuse d’un homme marié, forcément plus âgé qu’elle, ou de quelqu’un d’inépousable selon les critères de la société dans la quelle elle vivait . Un artiste par exemple, non rattaché d’une façon quelconque à une institution universitaire, n’était pas envisageable : « pour de respectables anglais de l’an 1831 un peintre était quelque chose entre le tailleur pour dames et le maître de danse, » écrit Mary dans la Revue de Paris (40) ; une génération plus tard cela n’avait pas beaucoup changé, elle devait le savoir . Tout est possible cependant, la femme respectable – et mariée – ne peut officiellement que le nier. Mary était passionnée , mais très rationnelle, ce qui n’a jamais empêché la souffrance.

Si ce que pense Tissot est vrai , Mary ne pouvait que refuser un tel amour . Ne fut-ce qu’à cause de ses parents d’abord , à qui elle n’aurait jamais fait une telle peine, comme le montrent les hésitations qui précédèrent ses deux mariages. Elle vivait dans un monde où les femmes pouvaient avoir des flopées d’enfants, en devenir folles comme l’épouse de Thackeray, être abandonnées sans pouvoir ni obtenir un divorce – la loi était ainsi faite que seuls les hommes y parvenaient vraiment – ni vivre avec un autre sans être mise au ban de leur société, même si, comme George Eliot, elles étaient considérées comme un des plus grands auteurs de leur époque. Pire enfin, combien d’entre elles mouraient en couches ? Mary Robinson Darmesteter ne put épouser Émile Duclaux que parce que sa première épouse, mère de ses deux fils , était morte d’une fièvre puerpérale. La réalisation d’un désir présente beaucoup plus de risques que son rêve : on peut comprendre qu’une jeune fille sensible, cultivée et intelligente hésitât devant un tel destin ! Il vaut mieux rester dans la pénombre, éviter la lumière trop crue du jour. A vingt ans Mary préfère fuir devant la crudité, la cruauté du réel :

La vie est un long fleuve aux ondes claires, mais on y boit l’eau salée des larmes ; chacun s’épuise à le suivre, chacun y verse l’urne qu’il porte, longeant les berges pour toujours. Dieu les a condamnés : ils ont souffert et n’ont pas osé une fin interdite ; après la mort, pour que la Vie ne puisse être oubliée, ils traînent le fardeau de leurs peurs et de leurs pertes, et remplissent le fleuve de leurs pleurs. (41)

Ce monde vaut l’enfer de Dante. A quel point une éducation et une société ont-elles pu brider son élan vital pour qu’une jeune fille, qui possédait toutes les chances que son milieu pouvait lui offrir, et même un peu plus, en vienne à chérir par moments une telle représentation de la vie et l’hypothèse de la mort ?

Elle peut rêver d’amour ,impossible bien sûr ! Elle peut rêver de mort . Mais passer du rêve au réel ? Faire face à la lumière , au jour où tout apparaît sans ombre, dans la crudité du monde ? Mary préfère les temps intermédiaires, l’aube, le crépuscule, l’automne, la nuit comme attente du jour. Et les voies de passage : le fleuve, la mer. Entre un présent qui n’offre pas de vraie sécurité et un futur auquel rien – et surtout pas la religion – ne permet de faire confiance, il y a le temps incertain de l’attente : c’est en lui que se situe Mary.

Je suis seule et j‘attends en pays étranger, près de flots inconnus, sur des rives désertées. Qui me consolera, le ciel gris, la mer grise, ou Amour qui languit loin d’ici ? Vent triste, je ne peux te suivre, mon sauvage désir est trop faible et trop lent pour le rejoindre, Celui qui languit loin d’ici. (42)

Quel aveu ? malgré sa sauvagerie le désir [wild desire] est trop lent et trop faible ; Mary ne franchira pas le seuil.

Dieu, donne moi l’Amour ! Donne moi le bonheur silencieux, âmes qui se rencontrent, yeux et mains qui se répondent, un cœur qui me comprend, le frémissement du baiser volé. Ou donne moi – je peux me lasser de tout cela – donne moi la paix dans l’inimaginable pays de la Mort. … Laisse moi chanter, mon Dieu, et j’abandonnerai le sourire de l’Amour pour les yeux plus doux de la Mort. Mieux vaut vivre un long deuil glorieux qu’un amour inconnu dans un muet paradis ; ni peine ni désespoir ne me tortureront longtemps puisque mes chants peuvent les rendre agréables. (43)

Là perce le bout de l’oreille . Puisque l’amour est introuvable et la mort impossible, il faut vivre..

Réveille toi ! Debout !

Quelle trompette soudaine appelle les vents endormis ? Quelle voix les met en garde, crie dans la nuit muette, et trouve un écho dans ma voix ? Est-ce le jour du jugement ? … J’entends des esprits étrangers qui pleurent dans ma voix : éveille-toi, debout. Monde endormi dans l’ivresse, lève toi, défie ta fin. Personne n’a entendu, et dans mon cœur brûle le mot imprononçable, un glaive y est plongé jusqu’à la garde. (44)

On peut gloser sur le « mot imprononçable » [unutterable word] ; on peut douter qu’elle l’ait jamais prononcé. Il y avait pourtant en elle l’énergie de le vivre : sous quelle forme l’a-t-elle vécu ?

La volonté d’exister prend chair dans et s’appuie sur l’écriture : écrire peut la sauver.

Le monde est mon habit ; je suis là , ciel et enfer dans ma main ; mon sourire est vie, mon soupir mort ; hommes et dieux passent , je suis le commencement et la fin , je suis Dieu, je suis vouloir (45)

L’éducation victorienne ! Ses parents peuvent être fiers d’elle : elle n’a jamais cédé , ni à la facilité , ni au désir, ni aux faiblesses du corps. Comme pour Emily Brontë chez Mary « l’indignation naturelle ouvre les portes de la parole », qui stigmatise « la contradiction entre la vie et les représentations autorisées de la vie [The unlikeness of life to the authorized pictures of life]. La fille du pasteur espère en la gloire du Christ , la fille de l’architecte n’y croit plus depuis longtemps ; toutes deux ont recours à l’imaginaire contre un monde qui ne leur fait pas la place qu’elle souhaitent. L’éthique qui a conduit leur vie est la même : citons la conclusion de la biographie : « Il est rare qu’un homme , encore moins une femme , ait le don inestimable du génie et n’en ait jamais fait une excuse pour une faiblesse, une violence , une chute . Son œuvre , mais aussi sa vie s’élèveront pour la glorifier , elle qui vécut si bien sans gloire” (46) .Ni le génie d’Emily, ni le « petit talent » (sic) de Mary ne les ont jamais autorisées à abandonner cette austère morale.

C’est ainsi qu’on renonce à devenir un Rimbaud, … ou un Browning. Chez une femme la parole ne peut conduire à la gloire : un tel devenir est tout simplement impossible . Des premières épreuves de sa jeunesse Mary conclura au renoncement : elle n’obtiendra pas l’avenir d’action dont elle rêve ; elle obtiendra par contre ce qu’elle retrouvera plus tard chez Nietzsche : la volonté et la maîtrise de soi . Domine toi puisque tu ne peux dominer le monde. C’est une leçon qui n’est guère contemporaine !

– (1) Collectif, Londres 1851 – 1901, l’ère victorienne ou le triomphe des inégalités , Paris, Autrement, novembre 1990
– (2) Robert Mengin, Monsieur Urbain par les témoins de sa vie, Fischbacher , Paris, 1984, p. 107
– (3) série de 180 gravures publié en 1872
– (4) John Addington Symonds : voir chapitre suivant
– (5) Au cœur des ténèbres , 1ère éd. : 1889 ; Autrement , Paris, 2006 , pp. 82 sq.
– (6) Souvenirs sur Georges Moore, in Revue de Paris, mars-avril 1933 ; Mary ne peut préciser la date de la visite de Moore évoquée dans le texte.. George Augustus Moore ( 1852 – 1933) : romancier, poète, auteur dramatique et critique d’art d’origine irlandaise.
– (7) Walter Pater, in Revue de Paris, janvier – février 1925 :Walter Pater , 1839 – 1894 , auteur entre autre d’une Histoire de la Renaissance , qui lui valut des accusations d’agnosticisme, d’immoralité et d’épicurisme. Professeur à Oxford , il partageait son temps à l’époque entre Oxford et Londres . Que la famille Robinson ait laissé ses filles fréquenter assidûment un individu aussi controversé est un exemple supplémentaire de son libéralisme ; ajoutons y le fait qu’ils accueillaient chez eux , entre autres, Wilde.
– (8) Vernon Lee est le pseudonyme de l’écrivaine anglaise Violet Paget ( 1856, – 1935,) : romancière, auteur dramatique et critique d’art ; citation dans la biographie de Vernon Lee par Peter Gunn.
– (10) Walter Pater , 1839 – 1894 , auteur entre autre d’une Histoire de la Renaissance , qui lui valut des accusations d’agnostici d’immoralité
et d’épicurisme . Professeur à Oxford , il partageait son temps à l’époque entre Oxford et Londres . Que la famille Robinson ait laissé ses
filles fréquenter assidûment un individu aussi controversé est un exemple supplémentaire de son libéralisme ; ajoutons y le fait qu’ils
accueillaient chez eux , entre autres, Oscar Wilde.
– (11) William Sharp : (12 September 1855 – 12 December 1905) ,écrivain écossais, poète et critique littéraire, qui écrivit aussi sous le nom de Fiona Mac Leod et édita entre autres Ossian.
– (12) Promiscuous : Oxford dict. : taken from a wide range of sources, especially without careful thought.
– (13 ) Frederic William Henry Myers était le fils du Rev. Frederic Myers et le frère du poète Ernest Myers. Etudiant à Cheltenham College, et au Trinity College, Cambridge il publia en 1867, un long poème, St Paul, qui eut du succès et fut suivi d’autres oeuvres.. Il écrivit aussi des livres de critique littéraire . Il est également connu pour des recherches psychiques sur l’inconscient et la survivance de l’âme ( 1893 ,Science and a Future Life.) , s’appuyant sur la psychologie mais aussi sur les phénomènes supranormaux , ce que cite Mary dans l’article.
– (14) -M. et Mme Humphrey Ward restèrent des amis de Mary , après avoir été ceux de Taine ; Mrs Ward était romancière ; Emile Roux raconte dans une lettre avoir hésité a venir chez Mary pour rencontrer des gens aussi célèbres ; Roux était un modeste !
– (15 ) Revue de Paris, mars 1933, pp. 110 – 130 : George Augustus Moore (1852 – 1933) : romancier, poète, auteur dramatique et critique d’art d’origine irlandaise ; durant les années 1870 il étudia l’art à Paris, où il se lia avec d’autres artistes français de l’époque, comme Manet, qui fit son portrait. Moore fréquentait le salon de Geneviève Halévy ou l’on croisait Rejane, Lucien Guitry, Paul Bourget ou Edgar Degas ;. Geneviève Halévy était la tante de Daniel Halévy , biographe et ami de Mary Duclaux . Comme quoi tout se recoupe !
– (16) Souvenirs de George Moore, cités par Mary Duclaux ; lors de la rencontre de Moore et de Pater, Mary avait déjà décidé d’épouser Darmesteter et s’était soumise à l’attente demandée par ses parents ; d’où la remarque de George sur son attitude lointaine.
– (17) William Sharp voir note supra
– (18) Philip Bourke Marston, (1850-1887), devenu aveugle à la suite d’un accident d’enfance, ami de Dante Gabriel Rossetti.
– (19) Couramment abrégée UCL , l’university college, partie de l’Université de Londres, offre toujours une des meilleures formations du Royaume Uni. C’est la première à avoir admis des jeunes filles parmi ses étudiants. Les jeunes françaises durent attendre bien plus longtemps.
– (20) l’ouvrage – avec la dédicace – figure dans la bibliothèque d’Olmet, la maison auvergnate d’Emile et de Mary Duclaux
– (21) Robert Browning : 1812-1889, poète et dramaturge britannique, reconnu comme l’un des deux plus grands créateurs poétiques de l’Angleterre victorienne, Elisabeth Barrett Browning , 1806 – 1861 est la plus célèbre des poétesses victoriennes.
– (22) Grosskurth Phyllis, J. A. Symonds, Longman , London, 1964 : pp. 222 , 223 notamment. John Addington Symonds (1840 – 1893) : poète et critique littéraire anglais ; c’est l’un des premiers avocats d’une certaine forme d’homosexualité qu’il appelait « l’amour de l’impossible »
– (23) Grands écrivains d’outre-manche, Calmann Lévy, Paris, 1901, in 8° ( 2è éd.) pp 174 – 269 : Une première version de ce chapitre parut dans la revue de Paris, en septembre – octobre 1898, pp. 295-317 & 788 – 816
– (24) Grasset, Paris, 1922 , cahiers verts, n° 12, 1922, n° 5
– (25) Mary Robinson , biographie d’Emily Brontë
– (26) Son troisième roman, The plan of Campaing, tourne autour du Home rule (1887)
– (27) Ernest Tissot, Princesses des lettres, Payot , Lausanne, s.d. (circa 1909°p 259 – 270
– (28) Lettre de janvier 1879 à J.A.S., citée par S. Marandon, p.24
– (29) Ibid.
– (30) article sur D. G. Rossetti,, Revue de Paris, juin 1896
– (31) La discussion anime toute une partie de Belcaro, le livre de Vernon dédié à Mary F. Robinson (London ,Satchell & co, 1883
– (32) Revue de Paris, juin 1896
– (33) A handful of honeysuckle, Winter and spring, (hiver et printemps) p.60 : deux strophes de huit vers, c’est presque un haïku.
– (34) A handful of honeysuckle, a dialogue, p. 40
– (35) Ibid., une ballade des amants perdus.,p.
– (36) Ibid. , , a pastoral, p. 28
– (37) A handful of honeysuckle, Lethe, p. 59 : come with me to Lethe-lake / come, since Love is over..
– (38) Ibid , Death’s paradise p. 41
– (39) Ernest Tissot, Princesses de lettres , Paris, Payot, ± 1909, p. 250
– (40) Revue de Paris 1er novembre 1900) p. 149).
– (41) A handfull of honeysuckle , Fons vitae, p.69
– (42) Ibid.,, p. 47, A grey day : o reach him (Love) that lingers afar.
– (43) Ibid., Love, death and art, p.68
– (44) Ibid., Advent, (L’avènement), p.65
– (45) ibid. Vouloir :
– (46) Seldom has any man, more seldom still any woman, owned the inestimable gift of genius and never made it an excuse for a weakness, a violence, a falling. Not only her works but the memory of her life shall rise up and praise her, who lived without praise so well. (dernière phrase du livre)

Lettres de Mary Duclaux

Lettres de Mary Duclaux

à sa mère , Mrs G. Robinson

Mrs G.T.ROBINSON

sans suscription

Paris 2 juin 1891 (! 1))

My darling mother,

It is true I have been meaning to write to you every day since I came back from Sucy, but there have been all sorts of reasons . This third week of the fair combined with the very hot and stormy weather has given me an almost constant migraine, so that I have spent a good deal of my time lying down in my cabinet de toilette which is cool and quiet . And then we have had people to lunch nearly every day and you know what a time they stay : hours ! today it is a little less oppressive. There was such a down pour last night. Emile and I had gone to see the fair and were caught in it and spoiled half our nice things which, oddly enough, he minded much more then I. And today, though it is still very hot, there is more life in the air.

Ma chère mère,

Je vous assure, je pense à vous écrire depuis que je suis revenue de Sucy, mais il y a eu toutes sortes d’obstacles. Cette troisième semaine de la foire-exposition combinée au temps très chaud et orageux m’a donné une migraine presque continuelle, si bien que j’ai passé une bonne partie de mon temps couchée dans mon cabinet de toilette, qui est frais et tranquille. Nous avons eu des gens à déjeuner presque tous les jours et vous savez combien de temps ils restent : des heures ! Aujourd’hui est un peu moins oppressant. Il y a eu une pluie catastrophique l’autre nuit, Émile et moi étions allés à l’exposition, nous avons été surpris et avons gâté la moitié de nos beaux vêtements, ce qui, curieusement, a dépité Émile bien plus que moi. Et aujourd’hui, bien qu’il fasse encore très chaud, l’atmosphère est plus vivable.

 I send you two little photographs of Louise (!) and me and Daniel’s baby – such a little dear . It has two words : « en main ! » which means take, give, possess, keep, etc. and « N’a plus » which means « Il n’y a plus » and also refusal , disconfort, dissatisfaction, failure, etc. and it is wonderful what adress games and talk it keeps up with this two words . Marianne looks very delicate, I think, and as thin as a lattie, and complains of a sore throat and cough : I do trust there is nothing the matter . All the rest of dear Sucy is just as it always was . Elie and I were cool but friendly . By the way Wanda Landowski is just engaged to a young doctor of Lyon and we are going to their betrothal party this afternoon. I wonder what Elie will think, for I am sure he cared for her. Marguerite Mascart is going to marry youg Rabaut the composer ( prix de rome ) a great friend of Daniel’s ; I have heard of him for years. Befor I go to the Landowski’s this afternoon, I have to go to the phonetic laboratory of the college de France, where the Abbé Rousselot who is making experiments in rythms wants me to read some of my verses into a phonograph !

Je vous envoie deux petites photos de Louise (!), et moi avec le bébé de Daniel, si charmant (2). Il utilise deux expressions : en main, qui signifie prendre, posséder, garder, etc. Et n’a plus, qui signifie : « il n’y a plus » et aussi refus, inconfort, insatisfaction, échec, etc. C’est étonnant de voir avec quelle adresse il joue et parle avec ces deux mots. Marianne a l’air assez fragile, je pense, et fine comme ………(!) ; elle se plaint de maux de gorge et tousse ; j’espère qu’elle n’a rien. A propos, Wanda Landowski vient de se fiancer à un jeune docteur de Lyon et nous allons à leur cérémonie de fiançailles ce soir. Je me demande ce qu’Elie va penser, je suis sûre qu’il avait un penchant pour elle. Marguerite Mascart va épouser le jeune Rabaut, le compositeur, prix de Rome,  un grand ami des Daniel (Halévy) ; j’en entends parler depuis des années. Avant d’aller chez les Landowski cet après midi, je vais au laboratoire de phonétique du collège de France, où l’abbé Rousselot qui fait des expériences sur le rythme, veut que je lise quelques uns de mes poèmes dans un phonographe (sic).

Ausonius is getting on nicely. I have all my documents and enough, I think, for an Edinburgh Rewiew article into the bargain, if Mr Elliott likes. I have had two nice little rewiews of my book in the Grande Revue and Revue de Paris and one in the Daily Chron., but nothing as yet of any importance

As you can see by my photographs, notwithstanding a little fatigue, and headache, I am looking very well and indeed all we either of us want is a little country air. We have been nine months in Paris. But it shall be only tomorrow evening that I shall know if we have to stay in town till the 15. july . And my groceries all waiting for me at the station !

I do trust your cold is better at last ; Mabel’s letter much interested me . The clericals and … clericals in Spain seems worse then over here . The bookshop of Seville offers 80 days indulgence to anyone who subscribes to his newspaper or gives other subscribing to el Liberal . I call that hitting below the belt ! I hope to write to Maydie on thursday or wednesday but, if we start on Wednesday, I shall only have time for a card : chances six to half a dozen .

Fondest love to you both .

Mary

Ausone va bien, j’ai tous mes documents, assez, je suppose, pour un article dans l’Edinburgh Review, à prendre sur le contrat, si M. Elliott le veut bien. J’ai eu deux gentilles critiques de mon livre dans la Grande Revue( !) et la Revue de Paris et une dans le Daily Chronicle, mais rien, jusqu’ici, de vraiment important.

Comme vous pouvez le voir sur mes photos, malgré un peu de fatigue et mon mal de tête, je me porte fort bien ; il est vrai que nous avons tous besoin d’un peu d’air de la campagne. Nous sommes depuis neuf mois à Paris. Mais c’est seulement demain soir que je saurai si nous devons rester en ville jusqu’au 15 juillet. Et toute mon épicerie qui m’attend à la gare !

 J’espère que votre rhume va mieux, enfin ; la lettre de Mabel m’a beaucoup intéressée. Les cléricaux et ………. en Espagne semblent bien pires qu’ici. La librairie de Séville offre 80 jours d’indulgence à toute personne qui souscrit à son journal ou amène une souscription à El Liberal : j’appelle cela frapper en dessous de la ceinture. J’espère pouvoir écrire à Maydie (3) jeudi ou mercredi, mais si nous partons mercredi, je n’aurai que le temps d’une carte postale j’en parie six contre une demi douzaine.

 Affection à vous deux 

Mary

 Mrs G.T. ROBINSON

19 Sheffield Terrace

Campden hill

London

 17 may 1900 ( on the enveloppe )

 My darling Mammy,

I wonder if it is still as cold with you as it still keeps with us . I have not been out today, but yesterday was biting. Louise fetched me to go to tea with Hannah and today Hannah came to tea with me. I had Ludovic Halévy, Daniel and Marianne ( looking lovely with a broad straw hat trimmed with white roses ), Paul and Lili Desjardins ( she too looked very sweet . I felt proud of my french lilies ), M. Duclaux and Jacques, all to meet Mr and Mrs Humphrey Ward (4). They were very pleasant ; all of them have grown grey and elderly. It is only then, meeting old friends, that we realize how time slips on. It still seems half a joke when I go into a shop and ask for a bonnet for a « dame agée », meaning myself. But so I appear to others, no doubt, and so Mary Ward appears to me. She looks a very pleasant distinguished and capable elderly lady ; perhaps more middleaged than elderly. She has finished her new novel ; they have been in Rome a month ; I am going to lunch with them tomorrow to meet the english Commissioner and his wife, and then I am to meet Louise at Lanvin’s, the great modist : to choose my summer bonnet. I fondly believe it is to cost only 45 francs ( 35 pounds ) which seems impossible. But the only one in which I looked nice was a rather battered one, which had been 70 francs and which she offered to trim up with fresh tulle and fresh roses, gazing it would be a bargain for us both. It is a very coarse white straw bonnet, … with a stand of silk and trimmed with black tulle, a knot of black velvet, a white rose, and black velours strings. Of course I shall not take unless it looks nice .

Ma chère maman,

 Je me demande s’il fait toujours chez vous aussi froid qu’ici. Je ne suis pas sortie d’aujourd’hui, mais hier le froid était mordant. Louise  m’a emmenée prendre le thé chez Hannah ( !) et aujourd’hui Hannah est venue prendre le thé chez moi. J’ai eu [ à dîner ] Ludovic Halévy, Daniel et Marianne (ravissante avec un large chapeau de paille orné de roses), Paul et Lili Desjardins (elle aussi est charmante ; je me sentais fière de mes lys français), M. Duclaux et Jacques, pour rencontrer M. et Mrs Humphrey Ward. C’était très agréable ; tous deux sont devenus âgés et grisonnants. C’est seulement lorsqu’on rencontre de vieux amis que nous réalisons combien le temps passe : il me semble toujours que je plaisante à moitié quand j’entre dans une boutique et que je demande, en parlant de moi, « un bonnet pour une dame âgée ». Mais c’est sûrement ainsi que j’apparais aux autres, et c’est ainsi que Mary Ward m’apparaît. : elle a l’air d’une lady âgée, 1 très charmante, distinguée et efficace ; plutôt peut être entre deux âges qu’âgée. Elle a terminé son nouveau roman. ; ils viennent de passer un mois à Rome. Je vais déjeuner avec eux demain pour rencontrer le commissaire anglais et sa femme et ensuite j’ai rendez vous avec Louise chez Lanvin, le grand couturier, pour choisir mon chapeau d’été.  J’espère bien qu’il ne coûtera que 45 francs (35 livres), ce qui semble impossible. Mais le seul qui m’allait était plutôt défoncé ; il valait 70 francs et elle offrait de le rénover avec du tulle neuf et des roses, prétendant que ce serait une affaire pour nous deux. C’est un chapeau de paille blanche avec un ruban de soie et orné de tulle noir , un nœud de velours noir, une rose blanche et des lacets de velours noir. Bien sur je ne le prendrai que si il a l’air joli.

I am at last beginning to get a few ideas for Paris, but it is still a small heap of notes and it must be done early in June ! This time of the year one’sfriends claim one so much and as it is the … time I can go out and see them. I should regret to stay in every day and all day long. On friday I shall stay in , but little Guette Paris is coming to lunch  » to see the pigeons ». ( The Wards were enchanted with my ring-… : it is a ring dove , not a pigeon ; they thought it such a lovely situation !! ). On saturday I lunch with M. Duclaux and Jacques and Jacques’ grandmother ; on sunday , the inauguration of the Pasteur’s hospital. On monday I mean to stay in and peg away all day and on tuesday too, I hope .

 Darling mother, I could not bear to keep your chain which I always remember round your neck when I was a little girl , and which I should dearly love to see round your neck again. But if Nelly brings it, I will wear it as the greatest treasure and bring it back to London and see if I can’t then persuade you to wear it . So useful a thing is not a mere ornament . If you will not, please, dearest, you must let me pay the cost of mending it etc. But I hope you will. I should love to see you in the dear old chain. Fondest love to both.

Mary

Je commence enfin à avoir quelques idées pour Paris(5), mais ce n’est encore qu’un petit tas de notes et ça doit être terminé début juin ! En ce début d’année vos amis vous réclament tellement et c’est juste le moment où je peux sortir pour les voir. Je le regretterais si je restais à la maison toute la journée. Vendredi je ne bougerai pas, mais la petite Guette Paris vient déjeuner « pour voir les pigeons » ( Les Ward ont beaucoup aimé ma bague… c’est une bague tourterelle, pas pigeon ; ils ont trouvé la réaction très amusante !!). Samedi je déjeune avec M. Duclaux, Jacques et la grand-mère de Jacques(6) ; dimanche inauguration de l’Institut Pasteur. Lundi je vais rester à la maison et me débarrasser du tout ; Mardi de même, j’espère.

Chère mère, je ne pourrai pas supporter de porter votre chaîne que je revois toujours autour de votre cou quand j’étais petite fille et que j’aimerais vraiment revoir autour de votre cou. Mais si Nelly me l’apporte, je la porterai avec le plus grand plaisir ; je la rapporterai à Londres et verrai à vous persuader de la porter. Un objet si utile n’est pas seulement un ornement. Si vous n’acceptez pas, s’il vous plait, laissez moi en payer la réparation, etc..  Mais j’espère que vous accepterez. Je serais si heureuse de vous voir avec la chère vieille chaîne. Mon affection à vous deux 

Mary

 

MRS G.T.ROBINSON

Ibid

18 Bd de la Tour Maubourg , sunday 20th may( sur l’enveloppe : may21th , Pasteur Institute)

Darling mother,

I see with something like dismay that it’s the 20th of may ( dear me , I am stumbling into poetry ). At this time of year, one ought to have the nine lives of a cat and live them all at once ; one always seems to have undone the most important things ! notably my poor work which hardly gets on at all. But this next week I am going to stay in and give a famous coup de collier and as I have a good deal of rough material, that will certainly make a difference.

Chère mère,

 Je vois à mon grand dépit que nous sommes le vingt mai ( Oh là là, je tombe dans la poésie !). A ce moment de l’année on devrait avoir les neuf vies du chat et les vivre toutes à la fois ; il semble toujours qu’on n’a pas fait la chose la plus importante ! Précisément mon malheureux travail qui n’avance presque pas du tout. Mais la semaine qui vient, je vais rester à la maison et donner un fameux « coup de collier » ; comme j’ai beaucoup de matériaux bruts, cela fera certainement la différence.

 

Today I am going with Eugénie to the housewarming of the new Pasteur Institute and hospital. All the workmen are to have a champagne collation and prizes for merit. I went all over the huge place yesterday and saw it thoroughly : M. Duclaux showed me all the laboratories and the architect showed me the laundry, the kitchens, the brewery ; and with both of them the hospital . It is a huge place with room for six hundred chemists. Only the diphteria hospital is ready at present , the prettiest blue and white place, each bed in a sort of loose box of white china and glass, all washable, with rounded angles, opening with French windows on to a perron above a garden. There is a large jardin d’hiver for the convalescents. All the animals and and experiments, etc., are in the other Pasteur Institute over the way : this one is reserved for chemistry and therapeutics of the hospital ; also for agricultural chemistry and brewings ; M. Duclaux has a huge lecture hall and a laboratory from which he can overlook all the buildings of his little kingdom. It has been a great task building it all, and I think he looks tired .

Aujourd’hui je vais avec Eugénie (7) à la pendaison de crémaillère du nouvel Institut Pasteur et de l’hôpital. Tous les ouvriers vont avoir un apéritif au champagne et des récompenses. J’ai fait le tour des immenses locaux hier et j’ai tout vu en détails : M. Duclaux m’a montré tous les laboratoires et l’architecte m’a montré la buanderie, les cuisines, la brasserie ; et, avec les deux, j’ai visité l’hôpital. C’est un lieu énorme avec de la place pour six cents chercheurs. Il n’y a que l’hôpital réservé à la diphtérie qui est prêt pour le moment : c’est un endroit agréable, bleu et blanc, chaque lit dans une sorte de box fermé en verre et carrelage blanc, le tout lavable, avec des angles arrondis, qui ouvre sur une terrasse au dessus du jardin par des fenêtres à la française. Il y a un grand jardin d’hiver pour les convalescents. Tous les animaux et les expériences, etc., sont dans l’autre bâtiment de l’Institut, de l’autre côté de la rue ; le premier est réservé à la chimie et à la thérapie de l’hôpital. Il sert aussi pour la chimie agricole et la brasserie ; M. Duclaux a une énorme salle de conférence et un laboratoire d’où il a une vue surplombante sur tous les bâtiments de son petit royaume. Ca a été un gros travail de construire tout cela, et je pense qu’il a l’air fatigué.

I lunched there yesterday with his cousin, mother in law and Jacques. I have now subsided into quite the philosopher and friend which is much more my place than the Idol one behaves badly to !

J’y ai déjeuné hier avec sa cousine, sa belle mère  et Jacques . Je me suis restreinte maintenant au rôle de philosophe et d’amie, ce qui vaut mieux que celui de l’idole devant qui on se comporte mal. 

I ought to have gone to a party at the english pavilion – but I was too tired and white with plaster dust ! I came home and made tea for young Baring and Gaston Paris .. The latter, dear poor friend, in much distress : little Michel Desjardins has been at death’ … since I saw his parents on wednesday : he was operated yesterday morning for an abcess in the internal ear. If I possibly can , I must go and see the poor Desjardins today. Dear me, what I spend in cabs is something terrible to think of !  » Oh for an isle in unsuspected seas ! » where I could migrate with all my books for a week or two and get my work done in quiet ! I no longer hate that Edinburgh’s article so much however : that’s one step gained. I had a very good and nice report of you last night. Nelly (!) turned up at ten oclock on her way to the Havet’s, in eveningdress to come and tell me how you both looked and bring your kind and lovely messages. The handkershiefs are beautiful little things, dear Mabel. The dear old chain is too great a treasure for me, Mummymuff. I would love to see it round your neck again. What a lot there is of it ! And yet I remember it being broken so often, so often on the old chippendale davenport and the ornamental wardrobe that used to stand in your drawingroom at …. and in Leamington. The chain brings them both up to my eyes, and you in a black and white stripped dress, – or else with a black voile trimmed with little red ribbons – those were my two favorites – I can almost see the Calla lily in the corner window and hear the sound of the croquet bates on the lawn outside. … Many things have happened …, some sadder, some far , far dearer and highter than anything I could have dreamed of in those days .

Keep well , dears . In about six weeks I suppose we shall be talking instead of writing.

Mary

Je devais aller à une réception au pavillon anglais, mais j’étais bien trop fatiguée et couverte de poussière de plâtre – Je suis rentrée à la maison et ai fait un thé pour le jeune Baring(8) et Gaston Paris… ce dernier très déprimé : le petit Michel Desjardins a été à l’article de la mort …depuis que j’ai vu ses parents mercredi dernier ; il a été opéré hier matin pour un abcès de l’oreille interne. Si je le peux il faut que j’aille voir les pauvres Desjardins aujourd’hui. Mon dieu , c’est terrible de penser à ce que je dépense en fiacres ! « Oh ! avoir une île dans des mers inconnues ! “ [Citation ?] où je pourrais aller avec mes livres pour une ou deux semaines et finir mon travail en paix : je ne déteste plus tellement cet article de l’Edinburgh de toutes façons ; c’est un pas en avant. J’ai eu d’excellentes nouvelles de vous la nuit dernière ; Nelly (!) a débarqué à dix heures, sur sa route vers les Havet (!), en robe du soir ; elle venait me dire à quel point vous alliez bien toutes deux et m’apporter vos charmants messages. Les mouchoirs sont de merveilleuses petites choses, chère Mabel. La vieille chaîne est un trésor bien trop beau pour moi, Mummy muff ! J’aimerais le voir de nouveau autour de votre cou. Que de choses à dire ! Je me souviens l’avoir vu si souvent cassé, si souvent sur le vieux bureau Davenport de Chippendale et la jolie armoire qu’il y avait jadis dans votre salon à ….. et à Leamington. La chaîne me les remet en mémoire, avec vous dans une robe noire rayée de blanc, ou bien avec un voile noir orné de petits rubans rouges  : ces deux habits là étaient mes préférés. Je peux presque voir les arums dans la fenêtre du coin et entendre le bruit des battes de cricket sur la pelouse en bas. …Beaucoup d’évènements ont passé … quelques uns tristes, d’autres bien plus heureux, avec plus de succès que je n’aurais pu en rêver à ce moment là.

 Portez vous bien, mes chéries. Dans quelques six semaines, je pense, nous pourrons bavarder au lieu d’écrire.

Mary.

Mrs G.T. ROBINSON

Ibid.

Sunday May 27 ( 1900 )

My darling mother,

I was very glad to see the account of the Mafeking rejoicing (!). They must have been tremendous and most moving. But I would still rather have had a postcard : it seems a long time till monday night . Maydie sent me a cheerful letter on friday from which I gather that she is in bed but not seriously ill. Do tell me what is exactly the matter whith her. Is it a relapse of influenza ? Is it an attack of cardiac neuralgia ? Is it nervous exhaustion following her fainting fit ? Which I expect was itself a symptom of exhaustion ? She tells me she has resigned her post at B.C. – that she had already resigned it when this illness came on. So I suppose she already felt very tired , poor dear ? I am thankful she has given it up.

 J’ai été très heureuse d’avoir le compte rendu des célébrations de Mafeking(9); elles ont dû être extraordinaires et très émouvantes. Mais j’aimerais bien plutôt avoir une carte postale : le temps me paraît long jusqu’à lundi soir. Maydie m’a envoyé une joyeuse lettre vendredi, de laquelle je déduis qu’elle est au lit mais pas sérieusement malade. Dites moi de quoi il s’agit exactement. Est-ce une rechute de grippe ? Est-ce une attaque de névralgie cardiaque ? Est-ce une dépression nerveuse à la suite de ses accès d’évanouissement ? Ce qui, je pense, est en soi un symptome d’extrème fatigue ? Elle me dit qu’elle a démissionné de son poste au B.C.(10) – qu’elle avait déjà démissionné quand sa maladie a commencé. Je pense donc qu’elle se sentait déjà très fatiguée, la pauvre ? Je suis contente qu’elle ait abandonné.

I hope you were not quite exhausted , poor love , going to Forest Hill ? I always hate that journey for you, and just expect to hear of asthma, ear- ache or a pain in your chest ! I always think a day in Forest Hill tires you quite as much as the journey to Paris. Maydie tells me poor dear Auntie is very … down and Eustace in bed. I am so sorry. I hoped they had jerked a little out of that miserable growe of illness and depression. It is sad when every member of a family has such poor health. What was the matter with Eustie and how is Herbert ?

J’espère que vous n’étiez pas trop épuisée, pauvre amour, d’aller à Forest Hill(11). Je déteste toujours que vous fassiez ce voyage, et je m’attendais à de l’asthme, des maux d’oreilles et une douleur à la poitrine. Je crois qu’un jour à Forest Hill vous épuise autant que le voyage à Paris. Maydie me dit que l’état de la pauvre tantine est … très bas et qu’Eustace garde le lit. J’en suis désolée ! J’espérais qu’ils s’étaient un peu sortis de cette malheureuse tendance à la maladie et à la dépression. C’est triste que chaque membre de la famille ait une aussi mauvaise santé.

I sent Maydie two good novels yesterday, and can send her some more if she likes. She tells me she is going back to the college this week. But only, I trust, to a very mitigated extent ? Has she been using her bicycle too much, do you think ? Or, on the contrary, do the close atmosphere and immobility affect her health ?

Hier, j’ai envoyé à Maydie deux bons romans et je peux lui en envoyer d’autres si elle en a envie. Elle me dit qu’elle retourne au Collège cette semaine. J’espère seulement que c’est pour un temps limité. Pensez-vous qu’elle a trop utilisé sa bicyclette ? Ou au contraire est-ce l’atmosphère confinée et l’immobilité qui affectent sa santé ?

I have no news. I have only been out of the house once this week. Just to the german palace . The exhibition … is quite a museum and a garden : full of the most beautiful treasures and beds of roses. I fancy my workmen will give me little trouble. I meet them with my staff in front of the station palace and Mrs Seligman will lead off those who want to see the colonial exhibits and so on. I reserving the Queen of Spains tapestries, the pictures of Frederic the great, the english palace and two little palaces of fine arts. Quite enough ! But if I am tired, I shall just take a wheel-chair ; it seems but a natural friendly thing to do, but I shall be glad when it’s over. This week I shall feel a free assurance you can send for me if you want me.

Je n’ai rien de neuf à vous dire ; je ne suis sortie qu’une fois de la maison cette semaine : juste au pavillon allemand. L’exposition est vraiment un musée.. et un jardin : pleine des plus beaux trésors et de parterres de roses. J’ai l’impression que mes travailleurs vont me créer peu d’ennuis ; je les retrouve avec mon équipe devant l’entrée et Mrs Seligman va conduire ceux d’entre eux qui veulent voir l’exposition coloniale, etc. Je me réserve les tapisseries de la Reine d’Espagne, les tableaux de Frédéric le grand, le pavillon anglais et deux petits pavillons des beaux arts. Cela me suffit ! Si je suis fatiguée je n’ai qu’à prendre une chaise roulante ; il semble que ce soit un geste amical et naturel à faire, mais je serai contente quand ce sera terminé. Cette semaine je m’attends à ce que vous m’envoyiez chercher si vous avez besoin de moi.

It is a beautiful day today. Maughite is coming for me and I am going to take her to the Pasteur Hospital. There is a fète there. I shall inaugurate a new dress which is very pretty, with a soft falling long skirt and a little tucked boléro opening on a fichu of black lace cramped over an underbodice of white taffetas . My works get slowly on. By this day and week I trust Paris will be done in the first rough jet, and Thackeray in the hands of the Revue de Paris. So far I am not very fond of Paris, but I daresay it will come all right. I was wondering , do you suppose the Bairds would like my flat ( saying 5th of july to 5th of august and let us have their Hotcombe cottage ? You could take Kate, for Eugénie’s travelling experiences are a consideration. And I expect she would like to go home. They could bring the baby’s nurse and have … to clear in a morning. What do you think of this wilddream ? The landlord could not allow us to let my flat but cann’t prevent me lending it ! Fondest love to both …

Mary

Aujourd’hui est un jour magnifique. Maughite vient me chercher et je vais l’emmener à l’hôpital Pasteur ; il y a une fête là bas ; je vais inaugurer une nouvelle tenue, très jolie, avec une longue jupe qui tombe mollement et un petit boléro plissé ouvert sur un fichu de dentelle noire par-dessus un corsage de taffetas blanc. Mon travail avance lentement ; d’ici à huit jours je pense que Paris sera terminé, au moins quant au premier jet, et Thackeray entre les mains de la Revue de Paris. Jusqu’à présent je ne suis pas très contente de Paris, mais j‘ose dire que je le finirai correctement. Je me demandais : pensez vous que les Baird aimeraient avoir mon appartement ( disons du 5 juillet au 5 août) et nous prêter leur maison de Hotcombe ? Vous pourriez emmener Kate, car il faut réfléchir sur l’expérience qu’a Eugénie des voyages ; et je pense qu’elle aimerait aller chez elle. Ils pourraient amener la nurse du bébé et … Que pensez vous de ce rêve fou ? Le propriétaire pourrait nous interdire de louer mon appartement mais il ne peut pas m’empêcher de le prêter.

Très affectueusement à vous deux.

Mary

Mrs G.T.ROBINSON

Ibid ( no enveloppe , no date on it )

Tuesday , Oak ball day (!)

 My dearest dears

I do hope the visit to B.C. passed off without too much fatigue. Mother was quite right to take a cab ; I am sure Maydie ought to be reckless in cabs for a little while, and above all avoid the steps, …and poisonous air of the Underground. At B.C. I should just let them do without her. Illness is always a « cas de force majeure ». If you work yourself to death like my beloved husband, much thanks you get for it ; we have seen enough of that ! And B.C. behaved so badly to the former secretary that I am sure it is not an object for such a sacrifice .

Mes chéries,

J’espère que la visite au B.C. s’est passée sans trop de fatigue. Mère a eu raison de rendre un fiacre ; je suis sûre que Maydie ne doit pas hésiter à utiliser des fiacres pour un certain temps, et surtout éviter les escaliers .. et l’air empoisonné du métro. Laissez donc le B(ritish) C(ouncil) se débrouiller sans elle : une maladie est toujours un « cas de force majeure ». Si vous vous tuez au travail comme mon époux bien aimé, vous n’en tirerez pas beaucoup de reconnaissance, je l’ai bien vu. Et B. C. s’est si mal conduit avec la secrétaire précédente que ce n’est pas un bon objet pour un tel sacrifice, j’en suis sûre.

I laughed over Mother’s charming account of the decorative panic at Forest Hill and trust she saved The Russel’s home from nodding poppies such as decorate my staircase. Dearest Mammie, the wheelchair was a « goak » to express my appreciation of the D’s service as an interpreter. But I expect I shall want a chair as my foot has swelled up again. I stood on it too much on sunday at the Pasteur Garden party. Every one was very good to me. I feel quite confused. Dr Roux ( who still looks very ill, with hair like mine ), Dr Salimbeni and the architect and the whole Pasteur familyso very kind and coming on . But I took the Salvador’s , who love a little … and fla-fla and they enjoyed it nicely ; Maughite could not be torn from the electric mangle, and the seven lovely copper candelabres ( worked by steam ). Mme Rhodes was not there ( Mr Duclaux ‘ cousin , you know ). On saturday afternoon, an automobile knocked her down. She fainted, woked up to feel it going over her ! Thanks to the electric tyres, no bones were broken but she is black and blue from head to foot, too stiff to move, and found herself ( awful moment ) in this condition, with blood streaming from a cut on her nose, in short skirts like an elderly and battered ballerina ; the horrid car having cut off her dress , … and silk petticoat to the knees ! Fancy a delicate little white haired provincial lady of sixty ! I went to see her yesterday and found her very shaken, as you might expect .

 

J’ai bien ri devant le charmant compte rendu que Mère a fait de la panique décorative à Forest Hill ; je suis sûre qu’elle a sauvé la maison des Russell des coquelicots penchés comme ceux qui ornent mon escalier. Chère maman, la « chaise roulante» était une sottise pour exprimer mon appréciation du service rendu par l’interprète. Mais je m’attends à avoir besoin d’un siège car mon pied a gonflé de nouveau. Je suis restée appuyée dessus trop longtemps dimanche pendant la réception de l’Institut Pasteur. Tout le monde a été très bon avec moi, je me sentais très gênée. Le docteur Roux, ( qui a toujoursl’air très malade, avec ses cheveux comme les miens), le docteur Salimbeni, l’architecte et toute la famille pastorienne m’entouraient si gentiment. J’ai emmené les Salvador qui aiment les flon flon et se sont beaucoup amusés. Maughite ne pouvait pas s’éloigner de l’essoreuse électrique ni des sept bougeoirs en cuivre ( qui marchent à la vapeur). Madame Rhodes n’était pas là ( vous savez, la cousine de M. Duclaux). Samedi après midi elle a été renversée par une automobile ; elle s’est évanouie, s’est réveillée pour la sentir l’écraser de nouveau ; remerciés soient les pneux électriques ( !!), il n’y a rien de cassé mais elle est bleue et noire de la tête aux pieds, trop raide pour pouvoir bouger ; elle s’est retrouvée dans cet état, – horrible moment -, du sang coulant de son nez, en jupe courte comme une vieille danseuse délabrée : l’horrible voiture avait déchiré sa robe et son jupon de soie jusqu’aux genoux ; imaginez cela, une délicate vieille dame provinciale, soixante ans, avec des cheveux blancs ! Je suis allée la voir hier et l’ai trouvée très secouée, comme bien vous pensez.

I had a cab by the hour, for I had been with the young Pontremoli’s to see the new hall he has made for the great Ruben’s series in the Louvre. Now I suppose one of the most magnificent halls in Europe from the decorative point of view. Such colour ! But I would give it all for Rembrandt’s Pilgrims to Emmaus or the tiny « Philosopher in his study » next door.

J’ai loué un fiacre à l’heure, pour aller avec le jeune Pontremoli voir la nouvelle galerie qu’il faite pour la série des grands Rubens au Louvre. C’est mainenant, je suppose, une des plus magnifiques galeries d’Europe du point de vue de la décoration. Quelles couleurs ! Mais je donnerais la totalité pour les Pélerins d’Emmaüs ou le petit philosophe dans son bureau, dans la salle d’à côté.

M. Duclaux came to tea, Ludovic and Daniel Halévy, Mr Blochet(12) and my danish old maid. So I had a day of it. Today I stay in and write. Tomorrow I must arrange for my workmen with the english Commissary. There will be plenty of women, dear, never fear ! Nelly , H. Lynch , Mathilde Beclet (!), old Me Gray – and some of the workmen are women. It is so odd that you look on me as a brilliant and dangerous siren ! Remenber, Mary robinson couldn’t be fast if she tried ! Fondest love to both . Molly

M. Duclaux est venu prendre le thé, Ludovic et Daniel Halévy, M. Blochet et ma vieille bonne danoise. J’y ai passé la journée. Aujourd’hui je reste à la maison et j’écris. Demain je dois m’organiser pour mes ouvriers avec le commissaire anglais. Il va y avoir des quantités de femmes, seigneur, c’est sûr. Nelly, H. Lynch, Mathilde Beclet, la vieille madame Gray – et certains ouvriers sont des ouvrières. C’est si étrange que vous me regardiez comme une brillante et dangereuse sirène ! Souvenez vous, Mary Robinson ne pourrait se presser, même si elle essayait .

Mon affection à vous deux.

Molly

Mrs G.T.ROBINSON

19 Sheffield terrace

Campden hill, London W.

[ on the enveloppe : »showing Manchester folk exhibition » – other writing – ]

Paris , sunday 3th june ( 1900)

My dearest dears

Today as you can imagine I feel dreadfully tired, and look a beauty. But owing to the family spirit I did not feel at all tired at the time. It all went off very well, the rain did not come on until our sightseeing tour was done. Hannah and Nelly came to lunch and, at two, in front of the italian palace, we met Gustave Seligman , Mathilde Beclet (!) and Jacques Duclaux. None of the men aides de camp turned up. Mr Duclaux, who was late as usual, followed us all over the exposition for rearly three hours and then sent me a despaired telegram. But Jacques was as good as his word and took off our party ; Mr Seligman … so Mathilde, Nelly Hannah and I … had between thirty and forty – about forty I suppose -. We visited the english pavillion, the spanish tapestries and the Museum of decorative art in the Petit Palais . That is what they like best, and, at five we all met again at the pont Alexandre.

Mes très chères,

Aujourd’hui, vous l’imaginez bien, je me sens terriblement fatiguée et j’ai vraiment l’air d’une beauté ; mais, grâce à l’esprit de famille, je ne me sentais pas du tout fatiguée sur le moment. Tout s’est très bien passé, la pluie n’est pas survenue avant que nous ayons fini la visite. Hannah et Nelly sont venues déjeuner, et à deux heures, en face du pavillon italien, nous avons retrouvé Gustave Seligman, Mathilde Beclet ( ?) et Jacques Duclaux. Aucun des aides de camp mâles ne manqua à l’appel. M. Duclaux, qui était en retard comme d’habitude, a été derrière nous dans l’exposition pendant pratiquement trois heures, et, après, m’a envoyé un télégramme désespéré. Mais Jacques a été aussi bon qu’il l’avait dit et conduisit notre groupe. Nous avons été entre trente et quarante personnes, à peu près quarante je suppose. Nous avons visité le pavillon anglais, les tapisseries espagnoles et le musée des arts décoratifs au Petit Palais. C’est ce qu’ils ont le mieux aimé, et, à cinq heures, nous nous sommes tous retrouvés au pont Alexandre .

They are an uncommonly nice well-educated gentle considerate set of people. The first who came up, a miss Lancastre, is a professed cook and teacher at a school of cookery ; many of them are salesmen in shops, others working people : they talk to you about Tolstoi’s Resurrection and Jan van Eyck adoration of the lamb, just like any one else, and indeed the bookbinder, Mr Haddon (!), who in a way is leading the party ( though he don’t speak french ) said the most sensible things about Tolstoi that I have heard for a long time. After the tapestries we took them to the belgian restaurant and Mathilde and I treated them to Faro beer, sirop and cakes. They were most friendly and nice. They had almost all read my Guardian articles, some of them knew Philippe Harlog (!), which opened Nelly’s sisterly heart – and they were so delightfully good humored and pleased with everything that they could hardly know how very tired they were. They had left Manchester on friday at two p.m. and after a bad crossing reached their Paris Hotel on saturday at noon. The men were eager to talk politics or rather theories ; the women noticed everything, the red ribbons in the gentlemen’s buttonholes, the little communicants in white ( « are they going to be nuns ? » ) the light walk of the parisiennes (‘sort of swaying, as if they had no stays above the waist, so graceful » ) . They thought Paris wonderfully pretty (  » quite eastern » ) and in the middle of the blazing Azalea garden between the two palaces of the finest arts, with the Champs Elysées in front and the Invalides behind, Mrs Haddon burst forth : » well , if it weren’t a question of L. s. d.( sic ), I should stay here and turn Parisian » !  » I meant to have met them again today but I am too tired. – Mr Haddon told I should be – ; I have told any …….creatures they can come to tea today or tomorrow , but belief is : Lancashire spirit will carry them all through, though one of them is barely convalescent from a long illness ! Mrs Haddon wanted to give me her brooch as a keepsake, and I was Lancashire enough to understand I had to take something in return for the beer : so I accepted the cyclist badge of the Ancoats Brotherhood. There, Mabel !

C’est un groupe de gens particulièrement bien élevés, gentils et attentifs. La première à apparaître, une certaine miss Lancastre, est cuisinière de profession et professeur dans une école de cuisine ; beaucoup d’entre eux sont des commerçants, ou autres travailleurs : ils vous parlent de Résurrection de Tolstoï, et de l’Adoration de l’agneau de Jan van Eyck, comme n’importe qui d’autre ; et réellement le relieur, M. Haddon, qui, d’une certaine façon, est le leader du groupe, a dit sur Tolstoï les choses les plus intelligentes que j’ai entendues depuis longtemps. Après les tapisseries nous les avons emmenés au restaurant belge, et Mathilde et moi nous leur avons offert une Faro, du sirop et des gâteaux. Ils ont été charmants et amicaux. Ils ont lu presque tous mes articles du Guardian, quelques uns d’entre eux connaissaient Philippe Harlog ( ?) ce qui a touché le coeur de Nelly – et ils ont été de si excellente humeur et si contents de tout ce qu’ils voyaient qu’ils pouvaient à peine sentir à quel point ils étaient fatigués. Ils ont quitté Manchester vendredi à deux heures du matin et après une mauvaise traversée ont atteint leur hôtel parisien samedi midi. Les hommes étaient avides de parler politique, ou plutôt de théoriser, les femmes remarquaient tout, les rubans rouges à la boutonnière des gentlemen, les jeunes femmes chargées de la communication en blanc ( sont-ce de futures bonnes sœurs ?), la démarche légère des parisiennes ( une sorte d’ondulation, si gracieuse, comme si elles n’avaient pas de corset) ; elles ont trouvé Paris extraordinairement agréable ( totalement oriental) et, au milieu du jardin resplendissant d’azalées, entre les deux palais des beaux arts, avec les champs Elysées en face et les Invalides derrière, Mrs Haddon a explosé : »Si ce n’était pas une question de !!! (sic), je resterais ici et me ferais parisienne » J’avais l’intention de les rencontrer aujourd’hui de nouveau, mais je suis trop fatiguée . – M. Haddon avait dit que je le serais – J’ai dit à quelques uns qu’ils pouvaient venir prendre le thé aujourd’hui ou demain, mais on pense généralement que la coutume du Lancashire va les pousser à venir tous, bien que l’un d’eux soit à peine convalescent d’une longue maladie ! Mrs Haddon voulait me donner sa broche en souvenir, et je suis suffisamment du Lancashire pour savoir que je devais recevoir quelque chose en échange de la bière. Si bien que j’ai accepté le badge de l’Association cycliste des Ancoats. Hé oui, Mabel !

You are kind to send me a line often. I seem to feel somehow that Maydie is not getting on as well as she ought. Kind Dr Dent has spend time to write me a letter ; he assures me there is no organic lesion and that, with rest and care, this illness wil leave no trace on heart or nervous system. But all depends on rest and care, and a bracing change. In face of this I should certainly resign B.C. ( sic ) at once . I mean discontinue your visits, which are running a risk. If you think I could take your place there, Maydie, for the next few weeks, I will make it possible to come at once. Think it well over .

Fondest love to both . Molly

Vous êtes gentilles de m’écrire si souvent une ligne ou deux : j’ai l’impression que Maydie ne va pas aussi bien qu’elle le devrait ; le gentil Dr Dent a pris sur son temps pour m’écrire une lettre ; il m’assure qu’il n’y a pas de lésion organique et que, avec des soins et du repos, cette maladie n’ aura aucune conséquence sur le cœur ou le système nerveux. Mais tout dépend des soins, du repos, et d’un important changement de vie. Si c’était moi, je démissionnerais du British Council immédiatement ; je veux dire qu’il faut interrompre vos interventions qui vous font courir des risques. Si tu penses, Maydie, que je peux prendre ta place pour les prochaines semaines, je vais me débrouiller pour venir tout de suite ; réfléchissez y.

Toute mon affection à vous deux

Molly

Mrs G.T.ROBINSON

 Ibid.

 Paris friday june 8

 My darling mammie

 How grieved I was to hear about the teeth ! What a shock to your system ! And how much you must have suffered first to think of having them … out ! Still, though they make a dreadful gap in my jaw , I have never regretted those I lost two and an half years ago, and trust, my poor dear, that at last you will now be free from tooth ache . But you will have a lot of bother with the dentist in replacing them. I suppose Dr Dent took them out ? How did you manage ? Poor darling old Mammie, you really are a « well-plucked » one  » as the schoolboys say :  » a chic type! » But I feel anxious and hope you will send me a line today. For I remember Madame Salvador being quite laid up with nausea and other miseries after having three teeth out a few years ago. It is such a shock to the nerves.

Mrs G. T. Robinson

Ibid

Paris, vendredi 8 juin

 Ma chère maman,

Comme j’étais ennuyée de ce que vous me dites de vos dents ; quel choc à votre santé ! Et comme vous avez dû souffrir en apprenant qu’on devait les arracher ! De toute façon, même si elles laissent un horrible trou dans ma mâchoire, je n’ai jamais regretté celles que j’ai perdues il y a deux ans et demi ; et pensez, ma pauvre chérie, qu’au moins vous n’aurez plus mal aux dents ; mais vous aurez beaucoup d’ennuis avec le dentiste pour les remplacer. Je suppose que le docteur Dent les a arrachées ? Comment avez-vous fait ? Ma pauvre chère vieille maman, vous êtes quelqu’un qui a de la chance, , comme les étudiants diraient un brave type . Mais je me sens un peu inquiète et j’espère recevoir un mot aujourd’hui. Car je me rappelle Mme Salvador, qui a été clouée au lit il y a quelques années, avec des nausées et d’autres ennuis, quand on lui a arraché trois dents ; c’est un tel choc nerveux !

Dear old Mémé is better. The doctors said that, albuminuria or no albuminuria, since she wouldn’t drink her milk , she must have meat, for she was dying of inanition. She does not know she has it. But she has every day a cream ice rather streng and flavoured with raspberry or vanilla in which there is a quantity of fresh meat juice : it looks just like any other ice. She is still very pale, but she is losing that parchment look as though there were no blood below the skin. And this treatment has gone for these three weeks ; so far there are no kidney troubles.

La chère vieille mémé va mieux. Les médecins ont dit que, albuminurie ou non, à partir du moment où elle ne veut pas boire de lait, elle doit manger de la viande, car elle est en train de mourir de faim. Elle ne sait pas qu’on le lui donne, mais elle a tous les jours une crème glacée plutôt riche, parfumée à la framboise ou à la vanille, dans laquelle on a ajouté une grande quantité de jus de viande frais : ça ressemble à n’importe quelle autre crème. Elle est toujours très pâle mais elle perd ce teint parcheminé qu’elle avait, comme si il n’y avait plus de sang sous la peau. Le traitement a été conduit ces trois dernières semaines ; pour le moment il n’y a pas de troubles rénaux.

I had a long letter from Daniel at Rome yesterday , anxious for news of his bicycling- comrade. I hope that in sending him better news I am still within the bonds of facts ? Poor dears, you have had a lot of trouble since Easter! What does Dr Dent say, by the way about Bickey ?

J’ai eu hier une longue lettre de Daniel, venue de Rome ; il est inquiet pour son compagnon de virées à bicyclette . J’espère qu’en lui envoyant de meilleures nouvelles je reste dans les limites du réel ? Mes pauvres chéries, vous avez eu bien des ennuis depuis Pâques ? En passant, que dit le docteur Dent à propos de Bickey ?

I am rather tired and used up but on wednesday I hope to send off Paris of which quite two thirds are now ready for press and for which Mr Elliot is clamouring. Then I shall have a few days rest before tidying up my other little choses : the M.G. , the Renan article , and one on Doudou for which an American Encyclopaedia has applied . And then au revoir !

Are you beginning to have any idea of your plans for this summer ? I daresay Norfolk, Lowestoff for instance or Cromer , would be very bracing .

Fondest love to you both from Molly

Je suis plutôt fatiguée, épuisée même ; mercredi je compte expédier Paris dont les deux tiers sont prêts à imprimer et que Mr Elliott réclame à grands cris. Alors je vais prendre quelques jours de repos avant de liquider mes autres petites choses : le M.G., l’article sur Renan et un sur Doudou que m’a demandé une encyclopédie américaine. Et puis, au revoir.

Commencez vous à avoir des plans pour cet été ? Je suppose : Norfolk, Lowestoff ou Cromer serait très vivifiant /

Affection à vous deux de Molly

Mrs G.T. ROBINSON

Ibid

Paris , 10 june 99 ( really 1900 , sur l’enveloppe )

Dearest Mammy

I hope there is a postcard from you downstairs. But Eugénie is out doing the shopping before the great heat of the day. It is not yet nine, and, pff… !! How it dazzles, and blazes, and glitters outside ! Alas, I am going out to lunch, with the Jekyll’s ( English commissary ), the Asquittes, and Mabe’l’s friend, M.Haldane. Fortunately my black crepe de chine looks very cool ; I have not worn it yet. – The people sound interesting, so I dare say I shall enjoy it, if I can get a cab ( there is a strike, and it’s the Grand Prix today, the french Derby ). And if I can’t get a cab, I shall send a polite telegram regretting and take off my smart frock and sit at home in the cool, and eat the remains of the feast prepared last night for Gabri Halphen : much I fear .

Mrs G. Robinson

Ibid

Paris 10 juin 99 ( en réalité 1900 sur l’enveloppe !)

J’espère qu’il y a en bas une carte postale de vous. Mais Eugénie est sortie pour faire les courses avant la grande chaleur du jour. Il n’est pas encore neuf heures et, pff..tout éblouit, embrase et brille dehors ! Hélas, je dois sortir pour déjeuner avec les Jekyll ( le commissaire anglais ), les Asquitt et l’ami de Mabel, Mr Haldane. Heureusement mon costume en crêpe de chine a l’air très frais ; je ne l’ai pas encore mis. Les gens ont l’air intéressant, je pense que je vais m’amuser – si je trouve un fiacre : ils sont en grève et c’est le grand prix aujourd’hui ( le Derby français) ; si je ne trouve pas de fiacre je vais envoyer un télégramme poli avec mes regrets, ôter mes beaux habits, et rester chez moi, j’en ai bien peur, assise au frais, en mangeant les restes de la fête préparée pour Gabri Halphen la nuit dernière.

I should prefer not having been very well, and with that article to finish ( It is all but done, two days more work ). I have stayed in most of the time last week. But yesterday I went out for nearly three hours. I got Maydie a travelling bag ; alas, why am I not rich, for long purses there are such beauties to be had ! But the fitted common ones looked so common and were so heavy, that I decided on giving the same price for an unfitted one, of really good morocco and very light. She has that nice trousse you gave her, as good as the fittings in the ten guineas ones ; and, at Christmas, I will give her the new invention for bottles : three dear, dutchlooking triangular ease-bottles (!) in a morocco case, standing up, double-stopped and secured from spilling with this morocco lid. I hesitated some time between these charming bottles and the bag, and thought I had better begin with the bag. It looks however a much less fascinating present.

Je préfèrerais ne pas avoir été d’attaque, avec cet article à finir : il est loin d’être terminé, encore deux jours de travail. La semaine dernière je suis restée presque tout le temps à la maison. Mais hier je suis sortie presque trois heures ; j’ai acheté un sac de voyage pour Maydie ; hélas, pourquoi ne suis-je pas riche, il y a de grands sacs qui sont des splendeurs ! Mais les sacs pratiques ont l’air si vulgaire et sont si lourds que j’ai décidé d’en acheter un moins pratique, en vrai cuir marocain et très léger. Elle a cette jolie trousse que vous lui avez donnée, aussi bonne que les accessoires à dix guinées pièce ; et, à Noël, je vais lui faire cadeau d’une nouvelle sorte de flacons : trois ravissants flacons triangulaires, de style hollandais, dans un étui de cuir marocain, se tenant debout et ne pouvant déborder grâce au couvercle de cuir. J’ai hésité un peu entre ces charmants flacons et le sac, et j’ai pensé que je faisais mieux de commencer par le sac. Mais c’est évidemment un cadeau bien moins fascinant.

I called on Mme Rhodes, still black and blue, poor soul. She complimented me on having drawn out the affections of … Jacques ! who is devoted to me, she says, and who has hitherto been too shy to care for anyone outside his home.  » What he has always awaited has been a mother « . I wonder if she has any idea that her cousin has asked me to marry him once or twice. But I think we are very confortable as we are ; and I can’t say he looks in the least brokenhearted. I fancy he thinks that he will in the end … but I am not at all so sure.

J’ai rendu visite hier à Madame Rhodes, qui est encore noire et bleue, la pauvre. Elle m’a complimentée pour avoir réussi à obtenir l’affection de … Jacques ! Il m’est dévoué, dit-elle, et a été jusqu’à présent trop timide pour éprouver une amitié en dehors de sa famille. «  Ce qu’il a toujours attendu , c’est une mère » . Je me demande si elle a la moindre idée que son cousin m’a demandée en mariage une ou deux fois. Mais je pense que nous sommes très bien comme nous sommes et je ne peux pas dire qu’il ait l’air d’avoir le cœur le moins du monde brisé. Je suppose qu’il pense qu’il finira par parvenir à ses fins, mais je n’en suis pas si sûre.

You will say I am a gosse, as usual . No one was ever less proud of a gifted daughter . ( You know I am a gifted daughter ? No , you don’t . Exactly 50 copies of your gifted daughter’s Renan were sold in England, the colonies and America, or rather to America, for the year 1899 : isn’t it sad ? ) Well what will you say of my gossipedness when you hear this little tale. On friday, a nice looking youg seamstress came to see me, sent, she said, by Nelly and Mme Dieulafoy and the english clergyman’s wife, Mrs Noyes. She is the french widow of an english fitter at Redfern’s, has been ill with pneumonia and obliged to find a locum-tenens for her place in Pasquin’s workrooms, which will not be vacant again till july 1rst. A nice well spoken young person. She asked me for any kind of sewing just to tide over her merely momentary distress. I gave her 20 f. and my very best chemise with orders to make two more like it. Yesterday calling at Nelly I said : I hope you found Mrs Davis satisfactory . Qui ça, Mrs Davis ? The seamstress sent by Mme Dieulafoy. Oh, that swindler ! Janine Dieulafoy never sent her at all, it seems . I gave her 5 francs, and dès lors, ni vu, ni connu ! » Never , never, never trust round innocent blue eyes and the woes of 5 little children ! « Say you have 14 to provide for, mam, says Eugénie, it will be just as true.  » Twenty francs and my best chemise, which she will probably show to others confiding souls as proof that she works for me !

Nelly has a young relation staying with her for a year ; a wealthy young south african who is a companion and who, of courses , liberally pay her wage ; they both seem satisfied.

Vous allez dire, comme d’habitude, que je suis une sale gosse ; personne n’a jamais été moins fière d’une fille douée (vous savez que je suis une fille douée ; non, vous ne le savez pas ! Exactement cinquante exemplaires du Renan de votre fille si douée ont été vendus en Angleterre, aux colonies et en Amérique, pendant l’année 1899 . N’est-ce pas triste ?) Bon ! Qu’allez vous dire sur ma tendance au commérage en entendant cette petite histoire. Vendredi, une charmante jeune couturière est venue me voir, envoyée, disait-elle, par Nelly, Madame Dieulafoy et la femme du clergyman anglais, Mrs Noyes. C’est la veuve française d’un apprenti tailleur de Redfern ; elle a eu une pneumonie, a été obligée de trouver une remplaçante pour sa place dans l’atelier de Pasquin, place qui ne sera pas libérée avant le 1er juillet. Une charmante jeune personne, bien élevée. Elle m’a demandé n’importe quels travaux de couture juste pour surmonter sa détresse provisoire ; je lui ai donné 20 francs et ma meilleure chemise, pour qu’elle m’en fasse deux semblables. Hier, je rendais visite à Nelly ; j‘ai dit : j’espère que vous avez été satisfaite de madame Davis Qui ça, madame Davis ? – La couturière envoyée par madame Dieulafoy.- ( Quelle escroquerie  ! – Janine Dieulafoy ne l’a jamais envoyée, apparemment ) – Je lui ai donné cinq francs et, alors, ni vue, ni connue – Il ne faut jamais, jamais faire confiance à de grands yeux bleus innocents et aux malheurs de cinq petits enfants ! Dites que vous en avez 14 à votre charge, a dit Eugénie, ça sera tout aussi vrai ! Vingt francs et ma meilleure chemise , qu’elle va probablement montrer à d’autres âmes innocentes pour prouver qu’elle travaille pour moi. 

Nelly a une jeune amie qui va demeurer chez elle pour une année : une riche sud africaine qui lui tient compagnie et , bien sûr, paie généreusement sa pension ; les deux paraissent satisfaites de l’arrangement.

Now I must get up . Fond love to both . Molly

Maintenant il faut que je me lève ; affection à vous deux

Molly

Mrs G.T.ROBINSON

Ibid

Sunday 17th june (1900)

 Madame G. T. Robinson

Ibid

Dimanche 17 juin 1900

Dearest dears

 It is very close here too and it is my turn now to be rather overcome. I had to stay in bed all yesterday. I got up to sit and went to dine with mémé but I was so tired I don’t remenber anything about it ! Today I still feel rather seedy, and am going to sport my oak and spend the day in a peignoir on the drawing room sofa with the shutters shut. I don’t feel ill, only exhausted and courbaturée, and as a fact I am all over bruises. With her frolicsome fancy Eugénie said this morning : if Madame were to die suddenly, anyone would think I had murdered her, to look at her arms ! As there is a reason for this extreme fatigue, I expect I shall be all right in a day or two and probably quite fierce at the time you get this letter. M. Duclaux thinks bruises and all were caused from the fish I had for lunch on saturday. But I think it was two days of Exhibition .

Mes très chères

Il fait très lourd ici et c’est mon tour d’être plutôt incapable de bouger. J’ai dû garder le lit hier toute la journée ; je me suis levée pour aller dîner avec mémé mais j’étais si fatiguée que je n’en ai gardé aucun souvenir. Aujourd’hui je me sens plutôt barbouillée, … je vais passer ma journée, sur le divan du salon en robe de chambre avec les volets fermés. Je ne me sens pas malade, seulement épuisée et courbaturée et, en fait, je suis couverte de bleus. Avec son imagination amusante Eugénie a dit ce matin : si madame allait mourir tout à coup, en regardant ses bras tout le monde penserait que je l’ai assassinée. Comme il y a une cause à cette fatigue extrême, je pense que j’irai bien dans un jour ou deux et probablement tout à fait d’attaque quand vous aurez cette lettre. M. Duclaux pense que les bleus et le reste ont été causés par le poisson que j’ai mangé à déjeuner samedi. Moi je pense que ce sont les deux jours d’Exposition.

The exhibition is really fascinating when you know how to look at it and where to look, and it is very nice being so close to all the best parts. I suppose there is no human beings, what ever their taste or hobby : art , science, education, sociology, gardening, engineering, blacks, colonies,frocks, geography – heaven knows what ? who could not spend a week in it. I did visit for May on saturday. We went to the transsiberian she so wished to see. At first it seems just a very luxurious train , stationed in front of the panorama, but little by little, the noise aiding, we really seem to be crossing the Oural pass and passing the little new looking Russian towns, and arriving at the huge towers and gardens of Pekin. The train was crowded and there was a man swearing at the porters because he couldn’t find a place, who ought to have been paid by the company. He so ended the illusion ! Then we went to the Armées de terre et mer, and the hygiene exhibition.

L’exposition est très remarquable, si vous savez quoi regarder et où regarder, et c’est très agréable d’être aussi proche de toutes les plus belles pièces. Je pense qu’aucun être humain, quels que soit ses goûts et ses hobbies : art, science, éducation, sociologie, jardinage, ingénierie, noirs, colonies, habits, géographie, et Dieu seul sait quoi, ne pourrait éviter d’ y passer une semaine. J’ai y fait une visite avec May samedi. Nous sommes allées au transsibérien qu’elle souhaitait vivement voir ; à première vue cela paraît juste un très luxueux train, arrêté face au panorama, mais, petit à petit, le bruit aidant, nous avions réellement l’impression de traverser les cols de l’Oural, passer le long des petites villes russes à l’air tout neuf et d’arriver aux immenses tours et jardins de Pékin. Le train était bondé et il y avait un homme qui insultait les porteurs parce que il ne pouvait pas trouver la place qui aurait dû lui être réservée par la compagnie : il mit ainsi fin à nos illusions. Ensuite nous sommes allées aux « armées de terre et de mer et à l’exposition sur l’hygiène.

And there we came up to a little … shabby woman of fifty, with a crumpled black crape bonnet, a bitter heart- … face , and, in her cheap frosty black, the look of a servant’s visitor. As soon as she saw us, she left the room as if ashamed to be recognized. I was thinking : that ‘s a woman with a Past ! When M. Duclaux :  » c’est une de nos bienfaitrices ; c’est Madame Lebaudy  » . I thought of Maydie’s novel . She was much shabbier than the baroness Adolphe . I suppose it is a sign of the times, that millionnaires should be ashamed of looking rich.

Et alors nous sommes tombées sur une petite femme, la cinquantaine minable, avec un bonnet en crêpe noir chiffonné, une figure peu amène et, avec son costume noir bon marché, l’air d’une bonniche. Dès qu’elle nous vit elle abandonna la place comme si elle avait honte d’être reconnue. Je pensais : ça, c’est une femme avec un Passé, quand M. Duclaux : c’est une de nos bienfaitrices, c’est madame Lebaudy. Je me suis rappelé le roman de Maydie. Elle était bien plus minable que la baronne Adolphe(13). Je suppose que c’est un signe des temps : les millionnaires doivent avoir honte d’avoir l’air riches.

I should not care to let my flat for a fortnight ; but I should be delighted for you to have it for september, with or without Eugénie, just as you prefer. I think it would be delightful to go together for a while to the schoolmaster’s cottage. Just the sort of complete quiet I should like. I am bond to be at the Crie [ Commanderie ] the first of september but I could spend there with you in Norfolk, then come home for a week and then when your time in Norfolk is up, we (you ?)could come here and if you get tired of Paris go to the convent at Etampes ( 5 f a day ), only one hour in the train, where I could meet you at the end of the month. I should be quite able to pay my share of the housekeeping in Norfolk, and in this way we might have a nice, pretty long and inexpensive holiday .

Cela ne m’intéresse pas de louer mon appartement pour une quinzaine ; mais je serais ravie que vous l’ayez en septembre, avec ou sans Eugénie, comme vous préférez. Je pense que ce serait charmant d’aller ensemble passer un moment au cottage(14)  du maître d’école: juste la sorte de repos complet auquel j’aspire. Je me suis engagée à être à la commanderiele premier septembre (15) , mais je pourrais passer un peu de temps avec vous dans le Norfolk, puis rentrer chez moi pour une semaine, et quand vous aurez fini votre séjour au Norfolk, nous pourrions venir ici et, si vous en avez assez de Paris, vous pourriez aller au couvent à Etampes (5 francs par jour), à une heure de train seulement, où je pourrais vous retrouver à la fin du mois. Je serais tout à fait capable de payer ma part de la location dans le Norfolk, et , ainsi, nous pourrions avoir des vacances assez longues, agréables et peu couteuses.

Violet Paget is coming to the Salvador’s on the 28th for a few days. I shall be very glad to see her. But I still hope to start on the first tuesday in july.

Fond love. Molly

Violet Paget(16)vient chez les Salvador pour quelques jours à compter du 28 (juin ?) ; je serai très heureuse de la rencontrer ; mais je continue à espérer partir le premier jeudi de juillet.

Très affectueusement

Molly

Mrs G.T. ROBINSON

Ibid

Friday june 22 (1900)

Mrs G.T. Robinson

Ibid.

Le 22 juin 1900

My darling mammie

I suppose this day fortnight I shall be getting up in a fearful hurry, pishing and plawning, looking at the green heads of the trees and saying : dear, dear, what a gale ! I dreamed Maydie was ill last night and this morning, to my great relief, a bright little card from Madeleine Kahn brought me good news of you both. Have you further news of the cottage at Heacham ? Suzanne Pontremoli writes me an enchanting letter from a cheap and cosy little country inn they have discovered in french Switzerland at Saint Gingolph. It seems very pretty ; but there is the getting there ! If we went to Heacham you would have the minimum of fatigue ; and the Norfolk air is very bracing. I only mention Saint gingolph for august in case Heacham should face people. Of course , though I can perfectly go to London, and Heacham, I could not go to London and Switzerland. But I have invitations from the Gaston Parises, Anatole Leroy … and Halévy for all the time between this and september. Of course I have told the all I would rather stay with you, Mummy …

Ma chère maman

Je suppose que dans une quinzaine de jours je vais me lever à toute allure, … en regardant les sommets verts des arbres et en disant : oh là là, quelle bourrasque ! J’ai révé la nuit dernière que Maydie était malade et ce matin, à mon grand soulagement, une charmante petite carte de Madeleine Kahn m’a apporté de bonnes nouvelles de vous deux. Avez-vous eu d’autres nouvelles à propos du cottage à Heacham ? Suzanne Pontremoli m’a écrit une charmante lettre depuis une confortable petite auberge qu’ils ont découverte dans la Suisse française, à Saint Gingolph. Elle paraît très jolie, mais il faut y aller. Si nous allions à Heacham, ce serait pour vous le moins fatigant possible et l’air du Norfolk est très revigorant ; j’ai mentionné Saint Gingolph pour le mois d’août, au cas où il y aurait trop de monde à Heacham. Bien sûr, je peux parfaitement aller à Londres et à Heacham, mais pas à Londres et en Suisse. J’ai des invitations des Gaston Paris, Anatole Lerroy et des Halévy pour toute la période entre maintenant et le mois de septembre. Bien sûr, j’ai dit à tout le monde que je préfèrerais être avec vous.

They all came to tea yesterday, with M. Duclaux, to meet Mrs Jekyll and Mrs Homer (!). The former wanted to carry me off to dine with Sir Alfred Lyall and Mme Taine, when Gaston Paris cried out in a heartwrung voice : »Ah , madame, ne tuez pas notre Mary, ne la tuez pas, je vous en prie ! » I thinks she thought he had suddenly gone mad, for I non longer look a so fragile object as I still appear to my french friends. Of course I didn’t go : I have too often refused to dine with the Taines. But the Parises and Robert Savary are coming to dine with me tonight and then we are going to look at the illuminations in the exhibition. Vendredi is the soir de gala .

Tout le monde est venu ici prendre le thé, avec M. Duclaux, pour rencontrer M. Jekyll et Mrs Homer. Cette dernière voulait m’emmener dîner avec Sir Alfred Lyall et Mme Taine, mais Gaston Paris s’est écrié d’une voix désespérée : Ah, madame, ne tuez pas notre Mary, ne la tuez pas, je vous prie ! Je pense qu’elle a cru qu’il était devenu subitement fou, car je n’ai plus l’air d’un objet aussi fragile que le croient encore mes amis français. Bien sûr  je n’y suis pas allée ; j’ai beaucoup trop souvent refusé de dîner avec les Taine. Mais les Paris et Robert Savary viennent dîner chez moi ce soir, et après nous allons aller voir les illuminations de l’exposition. Vendredi est la soirée de gala.

I shall perhaps have a squire for the journey, in the person of young Jacques Duclaux, a charming lad of three and twenty. It all depends on whether his exam : for the travelling scholarship he fixed for the middle of the end of july. He is longing to go to London for a fortnight .

Je vais peut être avoir un charmant écuyer pour m’accompagner en la personne du jeune Jacques Duclaux, un charmant jeune homme de 23 ans. Cela dépend du résultat de son examen pour la bourse de voyage qu’il a prévue à la mi juillet. Il rêve d’aller à Londres pour une quinzaine de jours.

I have been keeping quiet this week and have not been out except for an hour to the Javels. She, poor doctor, sees nothing but with great force of will is preparing a communication for the congress of Physicians. Fancy one thousend doctors all gathering on the cours La Reine, just in front of your old hotel !

 Je suis restée très tranquille cette semaine et ne suis pas sortie sauf une heure chez les Javel. Elle, la pauvre, ne voit rien mais elle prépare avec beaucoup d’énergie une communication pour le congrès de médecine. Imaginez un milliers de docteurs se réunissant sur le cours La Reine, juste en face de votre vieil hôtel !

Fondest love to both . Molly

The work is getting on slowly but safely. I am glad Mr Elled likes Paris. I am so grieved about Maydie’s bag the other day at the Trois Quartiers. For less than the same price, I was fitted one that looks just as good – through the windows – I fear it was not a bargain and that I might have got something nicer. But I have no genius for shopping .

Toute mon affection à vous deux, Molly

Mon travail avance lentement mais sûrement. Je suis heureuse que mrs Elled ( !) ait aimé Paris. Je suis si ennuyée à propos du sac de Maydie, l’autre jour aux Trois Quartiers. Pour moins que ce même prix, j’en ai repéré un qui a l’air aussi bien, juste dans la vitrine, – j’ai peur que ce ne soit pas une bonne affaire et j’aurais pu avoir quelque chose de mieux. Mais je n’ai aucun génie pour acheter.

Mrs G.T.ROBINSON

Ibid

Sunday 1er (juillet 1900 , sur l’enveloppe )

My darling Mammie…

I had hoped for a card last night and can only trust that no news is good news. I am much better ; but Landowski will not let me do any work as yet, though I no longer feel giddy, only a little tired. I have nearly finished the article on my dear Doudou. It is difficult work, on account of the extreme condensation and accuracy required, and I want every feature of his rare moral and mental activity to be represented. Of course it is more trying to me than any other work could be ; Renan will be quite a holiday. I have still this two to finish before I can get off, and wether that will be next saturday or the following monday I cannot as yet say : I will write again on thursday. Landowski comes every day and gives us a piqure of phosphate of soda, and twice a day I have a dose of Somatose ( powder meat ) whipped up with an egg beaten : that is all the treatment. It is really when I am a little unwell that I realize how much stronger I am ! Two years ago I used to go sliding down endless declivities, whereas now, with a little rest and a tonic, I am my own woman again in a fortnight : I do feel grateful to Landowski, kind soul !

Mrs G.T. Robinson

Ibid.

Dimanche 1er juillet ( sur l’enveloppe)

Ma chère maman,

J’espérais une carte la nuit dernière et ne peux qu’espérer que pas de nouvelles signifie bonnes nouvelles. Je vais beaucoup mieux mais Landowski ne veut pas me laisser faire le moindre travail, bien que je n’aie plus de vertiges, je suis seulement un peu fatiguée ; j’ai presque fini l’article sur mon cher doudou,. C’est un travail difficile, à cause de l’extrême concentration et de la précision nécessaires, et je veux que chaque trait rare de son caractère et de son intelligence soit présenté. C’est bien sûr plus fatigant pour moi que n’importe quoi d’autre ; et Renan à côté signifiera des vacances ; il faut que je finisse ces deux articles avant de partir, et je ne peux pas dire si ce sera samedi prochain ou le lundi suivant : je vous écris mardi. Landowski vient tous les jours, il me fait une piqûre de phosphate de soude, et deux fois par jour je prends une dose de somatose ( viande en poudre) battue avec un œuf : c’est là tout le traitement. C’est quand je me sens un peu mal que je réalise combien je vais mieux : il y a deux ans, je me laissais couler le long de pentes sans fin ; maintenant, avec un peu de repos et un tonique, en quinze jours je suis de nouveau la femme que j’étais. Je suis très reconnaissante à Landowski, le cher homme.

 Vernon came to dinner on friday with the Salvadors. Characteristingly they were just 3/4 of an hour late ! M. Duclaux and I were going to sit down to table when, at a quarter after eight, they sailed in ! Vernon looks very thin and much gentler, oddly like her mother. I am going today to take her to lunch with Mrs Taine. She and Gabri come to lunch with me tomorrow and on thursday they will meet the Daniel Halevy’s. And I dine at the Parises with Vernon on wednesday. That makes quite a lot of gaieties, don’t it ? But I must be hospitable ( to a great extent, vicariously, you will observe ) to my poor old Vernon, and you know she allways likes to meet original, pleasant or remarkable persons .

Well darling, in a week or nine days we shall be together till the end of august.

your loving Molly .

Vernon est venue diner vendredi avec les Salvador. De façon caractéristique ils avaient juste trois quart d’heure de retard ; M. Duclaux et moi allions nous mettre à table, à huit heures moins le quart, quand ils ont apparu. Vernon a maigri, elle paraît beaucoup plus calme, assez curieusement elle ressemble à sa mère. Aujourd’hui je vais l’emmener déjeuner avec Madame Taine. Elle et Gabri[el] viennent déjeuner ici demain, mardi ils rencontrent les Daniel Halévy. Et je dîne avec Vernon chez les Paris mercredi. Cela fait beaucoup de divertissements, non ? Mais il me faut montrer mon hospitalité, ( essentiellement par délégation, vous remarquerez) à ma pauvre vieille Vernon, et vous savez qu’elle aime rencontrer des gens originaux, agréables ou remarquables.

 Chère, dans une semaine ou dix jours nous serons ensemble jusqu’à la fin août.

 Molly, qui vous aime.

Mrs G.T.ROBINSON

Ibid

Paris , 4th july (1900)

Mrs G. T. Robinson

Ibid

Paris, le 4 juillet [1900]

My darling mother

I have seen the doctor this morning. He says I may certainly start on monday unless a certain Event, not expected until the end of next week, should put in an appearance. In that case, he says, you and I must both make up our minds to wait a day or two, as a journey in hot weather at such a moment is a great risk at my age, or indeed at any age. But I think we may count on meeting on monday morning .

Ma chère maman,

J’ai vu le médecin ce matin. Il dit que je peux certainement partir lundi, à moins qu’un certain évènement, que je n’attends pas avant la fin de la semaine prochaine, ne fasse son apparition. Dans ce cas, dit-il, vous et moi devons nous préparer à attendre un jour ou deux car un voyage, par une telle chaleur, à un tel moment, est un grand risque à mon âge, ou de toute façon à n’importe quel âge. Mais je pense que nous pouvons être sûres de nous revoir lundi matin.

I have just been talking about my age. I am an old person of forty three who has gone through the best and worse of human experiences. But life is not over for me yet, and I have just  come to a great decision which I feel I ought to tell you, Darling you and Mabel… I shall tell no one else until october or november. You will be unhappy, I fear, on first hearing of my engagement to marry Mr Duclaux. You will feel we are both to old to begin a new life. And very naturally you did not like his cautious and vacillating conduct last november. But on reflexion you will feel that it was more respectable not to let a sudden passion carry him off his feet, to weigh and reflect and pause wether really this great determination would be for his best happiness and mine. You have never seen him ; if you did, I am sure you would like his simplicity, his straightforwardness and gaiety, his kindness of heart, his noble desire to make the world a little better and happier for the thousands of men and women  whose existence is one long drudgery. He is very fond of me and very anxious I should be happy. And life with him will be not only pleasant but useful, I hope. I ought to be able to help him with his hospital and his colleges for working people … I hope he is telling Jacques today, just as I am telling you. So far Jacques is very fond of me and thinks all sorts of good and kind things ; but will he like me as a stepmother ? I rather tremble ! As for me, I own that Jacques is a great attraction. I look forward to being granmamma to his babies ! If only he is as pleased with me as I with him, we may be a great brightness in each other. We have the same sort of facts and ideas and get on beautifully together. As he is going on a tour round the world next year, he may be glad to have someone to look after his father : who knows ?

Je viens de parler de mon âge ? Je suis une vieille dame de quarante trois ans qui est passée à travers les meilleures et les pires expériences. Mais ma vie n’est pas encore finie, et je viens justement de prendre une grande décision que je me sens obligée de vous communiquer, chère vous et chère Mabel… Je ne le dirai à personne d’autre avant octobre ou novembre. Vous allez être malheureuses, j’en ai peur, à la nouvelle de mon engagement d’épouser M. Duclaux. Vous allez penser que nous sommes tous deux trop vieux pour commencer une nouvelle vie. Et tout naturellement vous n’avez pas aimé sa conduite précautionneuse et hésitante en novembre dernier. Mais en y réfléchissant vous penserez qu’il était plus respectable de ne pas se laisser entraîner par une passion soudaine, mais de peser le pour et le contre, de réfléchir, attendre pour savoir si cette grande décision conduirait à son bonheur et au mien. Vous ne l’avez jamais vu ; si vous l’aviez rencontré je suis sûre que vous auriez aimé sa simplicité, sa droiture et sa gaieté, la bonté de son cœur et son noble désir de rendre le monde meilleur pour les milliers d’hommes et de femmes dont l’existence est une longue corvée. Il m’aime beaucoup et s’inquiète beaucoup de mon bonheur. Et la vie avec lui sera non seulement agréable mais utile, je l’espère. Je devrais pouvoir l’aider dans son hôpital et ses fondations pour les travailleurs. J’espère qu’il informe Jacques aujourd’hui, juste comme je le fais avec vous. Pour le moment Jacques m’aime bien et il pense de moi toutes sortes de choses bonnes et agréables. Mais va-t-il m’aimer comme une belle mère ? J’ai peur. En ce qui me concerne j’ai beaucoup d’attirance pour lui. Je serai heureuse d’être la grand mère de ses enfants. S’il m’apprécie autant que je l’apprécie, nous nous éclairerons l’un l’autre. Nous pensons et faisons les mêmes choses et nous nous entendons admirablement. Et comme il va faire le tour du monde l’an prochain, peut être sera-t-il heureux que quelqu’un veille sur son père, qui sait !

You will be thinking also , no doubt , that a delicate person like me ought not to marry . I had doubts on that … myself , and made a confident of Landowski : he said he thought it would be the very best thing that could happen to both of us and that he felt sure we should neither of us regret it. I wish you could see Emile for five minutes ; that would be better than any amount of letter writing. But he must wait : our engagement begins with three months separation ! I suppose I must make up my mind to be married early next year, and you will come and stay with us in Auvergne in the summer, if all goes well . I still feel as if I was talking in a dream .

Sûrement vous allez penser aussi qu’une personne aussi fragile que moi ne devrait pas se marier. J’avais moi-même des doutes sur ce point et j’ai fais des confidences à Landowski : il a dit que c’était la meilleure chose qui puisse advenir à chacun de nous deux, et qu’il était sûr qu’aucun des deux ne le regretterait. Je voudrais que vous puissiez voir Emile cinq minutes ; ce serait mieux qu’un amas d’écriture. Mais il doit attendre ; notre engagement va commencer par trois mois de séparation. Je suppose que je dois m’habituer à penser me marier au début de l’année prochaine, et vous viendrez passer l’été avec nous en Auvergne, si tout va bien. Je continue à avoir l’impression que je parle dans un rêve.

Emile laughs and says : I can not ask your mother to look on me as a son, since I am, I believe, eight years younger then she is (he was 60 last week ),  but I hope she will feel gradually a great friendship and affection for a man so devoted to her child. His other mother in law, Mme Briot, is fonder of him than any of her sons ? I wonder how she will take it ? Oh , dear ! The path towards happiness is lived with thorns. Still I hope and believe we shall be happy, not forgetting the Past, which was our …. and our romance, not forgetting any of the claims of the Present, but making our happiness out of our acceptance of them all, for ourselves and for each other. Let Maydie read this letter and believe me your loving daughter .Mary

Emile rit et dit : je ne peux pas demander à votre mère de me regarder comme son fils, je crois que j’ai huit ans de moins qu’elle – il a eu soixante ans la semaine dernière – mais j’espère que progressivement elle finira par ressentir une grande amitié pour un homme qui est si dévoué à sa fille. Son autre belle mère, Madame Briot, l’aime beaucoup ; je me demande comment elle va prendre cela. Oh là là, le chemin du bonheur est bordé de buissons d’épines ; j’espère pourtant et je crois que nous serons heureux, sans oublier le Passé, où nous avons vécu un roman d’amour, sans oublier non plus les nécessités du Présent, mais en créant notre bonheur, pour nous mêmes et pour les autres, à partir de notre acceptation de ces faits.

Faites lire cette lettre à Maydie et soyez sûre que je suis

Votre fille aimante.

Mary

Mrs G T ROBINSON

The schoolhouse

Heacham , Norfolk

Paris , 5 sept (1900)

Madame G.T.Robinson

The school house

Heacham, Norfolk

Paris le 5 septembre (1900)

 My darling dears ,

Thanks to kind Harry Newmarch (!) and the weather, I had a very good journey. We reached London in good time having dined deliciously off Maydie’s sandwiches in the train. Harry will tell you, I could not get taken in at Charing cross or at Morley’s. Fortunately at the Victoria they had a spare room. Very confortable. London seems very full but both, H.N. and I, thought it a stuffy depressing hideous place and I was quite pleased to think that you and Maydie will not spend the long winter in that peasoup atmosphere .

 Mes chéries,

Qu’en soient remerciés Harry Newmarch et le temps, j’ai fait un très bon voyage. Nous avons atteint Londres en temps utile après avoir dîné dans le train des délicieux sandwiches de Maydie. Harry vous racontera : je n’ai pas trouvé de place à Charing cross ou au Morley ; heureusement au Victoria ils avaient encore une chambre : très confortable. Londres semblait tout à fait plein, mais nous deux , Harry et moi, avons considéré que c’était un horrible endroit bondé et déprimant et j’étais assez contente de savoir que Maydie et vous n’alliez pas passer un long hiver dans cette atmosphère de purée de pois.

It wasn’t till after Christlehurst that we got … the fresh air, but Folkestone looked lovely, as sparkling and blue as Heacham, and the run between Folkestone and Dover at that time is really charming. The train was not at all crowded and on both sides of the channel I had only one man in the carriage with me. The crossing was ideal and I went fast asleep. Still when I got home I was very tired and had to go straight to bed .

Nous n’avons pas trouvé d’air frais avant Christlehurst, mais Folkestone était ravissant, aussi étincelant et bleu qu’Heacham, et le trajet entre Folkestone et Douvres à cette époque ci est tout à fait charmant. Le train n’était pas trop bondé et des deux côtés du channel je n’avais qu’un seul homme dans le compartiment avec moi. La traversée fut idéale et je me suis presque endormie. Pourtant quand je suis arrivée à la maison j‘étais très fatiguée et j’ai dû aller tout droit me coucher.

Home looks clean and net but small and very noisy. I found a letter from M. Duclaux and, as in his last, received at Heacham, he is very anxious we should be married right away. But I do not see this at all and would infinitely rather put il off till the spring and give ourselves and everyone close time to get used to the great change. And of course we will listen to reason, especially when Reason is me .

La maison m’est apparue très propre mais plutôt petite et très bruyante. J’ai trouvé une lettre de M. Duclaux, et, comme dans la précédente, recue à Heacham, il a l’air très anxieux que nous nous mariions tout de suite. Mais je ne vois pas du tout la question ainsi et je voudrais plutôt repousser au printemps, pour nous donner, à nous et aux autres, le temps de nous habituer à ce grand changement. Et bien sûr, nous écouterons la raison, surtout quand c’est moi qui suis la Raison.

Paris on tuesday night certainly looked very different to London. It was an airy heegy ruglet with a white moon riding char in a deep blue sky. The Eiffeltower (!) was illuminated and all up the Seine the reflexions of the many colored lights, and the tall masts with hanging lamps amid the bright green trees, had a wonderfully gay and japanese effect. We drove home in a little open victoria for it is quite warm here. Eugénie met me at the station looking wonderfully well. Poor Marguerite looks washed out and seed , however, for she has had no change.

Mardi Paris n’avait pas l’air très différent de Londres. L’air était épais, le char blanc de la lune courait dans le ciel bleu profond. La tour Eiffel était illuminée, le cours de la Seine brillait d’ innombrables reflets de lumière, et les hauts mats où les lampes pendent au milieu des arbres verts donnaient un air japonais ; c’était merveilleusement gai. Nous avons trotté jusqu’à la maison dans une petite victoria ouverte, car il fait assez chaud ici. Eugénie m’a attendu à la gare, elle a l’air d’aller très bien. La pauvre Marguerite, par contre , avait l’air miteuse et complètement épuisée, elle n’avait pas eu le temps de se changer..

 I hope, darlings dears, that kind Mr Newmarch remenbered to send off the telegram. I sent one hence this morning so that you may be reassured. I fear you will be having rather a serimmagy last few days. I can’t tell you both how much I … or how often I shall look back to my very long stay with you, and how I felt all your kindness. Dear Heacham, I shall often see the red arch and the laured hedges, and the grey churchtower above the elms. I feel less melancholy in leaning here since I have the firm hope of seing you again in october. I think of spending three days here to see the dentist and on sunday I shall go to Ballan . The station is now on the esplanade des Invalides .

J’espère, mes chéries, que l’aimable Mr Newmarch s’est souvenu d’envoyer le télégramme. J’en ai envoyé un d’ici ce matin afin que vous soyez rassurées. J’ai peur que vous ne soyez un peu nostalgiques de ces derniers jours ; je ne peux vous dire combien souvent et avec quelle force je revis ces long moment passés avec vous, et à quel point j‘ai ressenti votre gentillesse.. Cher Heacham, je repenserai souvent à l‘arche rouge, aux haies de laurier et au clocher au dessus des ormes. Je me sens moins mélancolique ici car j’ai la ferme espérance que je vous reverrai en octobre.. Je pense passer trois jours ici pour voir le dentiste et, dimanche, j’irai à Ballan. La gare est maintenant sur l’esplanade des Invalides.

I have just had a telegram from Viau to say he won’t be back till friday and the tooth is very loose !

Goodbye darlings . On friday I shal send a … to London . Ever yours . Mary

Kindest remenbrance to all the Heachamites .

Je viens d’avoir un télégramme de Viau : il dit qu’il ne va pas rentrer avant vendredi … et ma dent bouge énormément.

Au revoir , mes chéries. Vendredi j’enverrai un message à Londres.

A vous.

Mary

Mon bon souvenir à tous les habitants d Heacham

Mrs G.T.ROBINSON

The school house

Heacham , Norfolk

La commanderie vendredi (sept?)

My darling mammie

I wonder if you have as beautiful weather as we – cotton-frock weather, warm and dazzling! I have been out of doors all day in the woods , or sitting in the garden. This mild climate suits one better then Heacham. I already look quite a different creature. I sometimes wonder how I shall stand the mountain air of Olmet which must be quite as bracing as the sea – it is about two thousand feet above sea level, and Mr Duclaux tells me it is quite cool there and that they have fires in the evening already !

 Mrs G.T. Robinson

 The sclool house

 Heacham, Norfolk

 La commanderie, vendredi (7 !)

Ma chère maman,

Je me demande si vous avez un aussi beau temps que nous : temps à robes de coton, chaud et lumineux. J’ai été dehors toute la journée, dans les bois ou assise dans le jardin. Ce climat doux convient mieux à tous que celui de Heacham. J’ai déjà l’air d’être une créature différente. Quelquefois je me demande comment je vais supporter, à Olmet, le climat des montagnes qui doit être aussi vivifiant que celui de la mer : Olmet est à environ deux mille pieds au dessus du niveau de la mer et M. Duclaux me dit que c’est déjà assez frais et qu’ils font du feu le soir.

He is coming here on monday night for a few days and then we shall have to decide a great many things together. He will not be back in Paris until quite the end of october, but he would come on purpose from Auvergne in order to see you. He is very anxious you should like him a little, you and Maydie, and I don’t think you will find it difficult. ¨Poor dear, he is dreadfully shy at coming to see me in such a crowd of strangers. The house is full, he will have to lodge at the farm with colonel Valabrègue and the president of the Caen Atsizes, who are also expected on monday. I can see that for half a word he would put off coming and, though I shall not say the half word, I sympathize in thinking it a formidable situation for an elderly suitor.

Il vient ici lundi soir pour quelques jours et nous aurons beaucoup de décisions à prendre ensemble. Il ne rentrera pas à Paris avant la mi octobre mais il viendra d’Auvergne exprès pour vous voir. Il est très anxieux que vous l’aimiez un peu, vous et Maydie, et je ne pense pas que vous y aurez des difficultés. Le pauvre cher homme, il est horriblement intimidé de venir me voir parmi une telle foule d’étrangers. La maison est pleine, il va devoir loger à la ferme avec le colonel Valabrègue et le président de la cour de Caen que l’on attend aussi lundi. Je vois bien que si je dis un mot il ne viendra pas ; je ne dirai sûrement pas ce mot mais j’éprouve de la sympathie pour lui, en pensant que c’est une épouvantable situation pour un soupirant âgé.

Gabri came back last night, looking very well and already talks of going away again. She really is a wandering jewess – never happy for more then a week in the same place – with such a lovely home you would wonder what she could find abroad as charming as what she quits. But travelling suits her. She can stand any amount of fatigue but a very little monastery takes all the starch out of her. And of course just now the commanderie is not very lively : mémé is such an invalid, Mme Peigné barely convalescent from a serious illness, the Girettes have both got the grippe and spend their time in conscientious (!) and desinfecting themselves whith glycophenol to such an extent that instinctively one gives them a wide bottle. The karppes are wrapt up in their baby, and Didier and François Girette are seven and eight years of age. But they are all nice pleasant people, and then, there is Maughite !

Gabri est revenue l’autre soir, l’air très bien portant, et parlant déjà de repartir. C’est vraiment une juive errante, – jamais contente si elle reste plus d’une semaine au même endroit, – et elle a une si jolie maison qu’on se demande ce qu’elle peut trouver outremer d’aussi joli que ce qu’elle laisse. Mais voyager lui convient ; elle peut supporter n’importe quelle fatigue même si un petit monastère lui retire toute énergie. Actuellement la commanderie n’est pas très vivace : mémé est invalide, Madame Peigné relève tout juste d’une sérieuse maladie, les Girette ont attrapé tous les deux la grippe et passent leur temps à se désinfecter consciencieusement avec du glycophénol, tellement que chacun leur en attribue une large bouteille. Les pauvres se concentrent sur leurs bébés et Didier et François Girette ont sept et huit ans. Mais ce sont tous des gens charmants , et puis il y a Maughite.

 I should think it would be a very good plan to spend november at Alassio. I have always heard the climate is lovely and especially good for the asthsma. You could rest and economize there and store your strength for your long push south. I suppose you would stay a week or two at Rome, both going and returning .

Je pense que ce serait une bonne idée de passer novembre à Alassio   j’ai entendu dire que le climat y est spécialement bon pour l’asthme (17) ; vous pourriez vous reposer, faire des économies et conserver vos forces pour votre longue expédition dans le sud. Je suppose que vous resteriez une semaine ou deux à Rome, y compris l’aller et le retour.

You must not think, mammy dear, that I was offended by you wanting to write to my fiancé about settlements. I think it is most natural that you should feel anxious. But a plan has come into my stupid old head which seems to me so brilliant that I suggest it to … You know I have two thousand pounds of my very … – not family money but my own earnings a Doudou’s prize. I should settle this to Pierre and Jacques ; if I died before their father, they would inherit it directly ; if he died before me, they would make me a little pension equivalent to those insign. In this way, no one could either lose or gain while speaking of their father’s second marriage. Of course Pierre- Émile- may see some dreadful holes in this plans, but I can’t help thinking it very just .

Fondest love . Molly

Il ne faut pas penser, chère maman, que j’ai été offensée par votre souhait d’écrire à mon fiancé à propos d’accords financiers. Il est tout naturel, je crois, que vous soyez inquiète. Un projet est né dans ma stupide vieille tête ; il me paraît si brillant que je le suggère … Vous savez que je possède deux mille livres sterling qui me viennent non pas de famille mais de Doudou. Je pourrais le placer sur les têtes de Pierre et de Jacques ; si je meurs avant leur père, ils en hériteraient directement ; s’il meurt avant moi, ils me feraient une petite pension équivalente à sa valeur. De cette façon aucun des deux ne pourrait parler de gain ou de perte à propos du deuxième mariage de leur père. Il est sûr qu’Emile verrait d’horribles trous dans ce projet (18), mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il est très juste.

Avec tout mon amour

Molly

MRS G.T. ROBINSON

19 Sheffield terrace

Campden hill, London

Sunday september 15

My darling Mummy

This is such a hot sunday. It is still quite summer in Touraine and the flowers in the garden a perfect blaze. Maydie’s nice bright letter tells me that you are well and quite confortable camping in Campden hill, and that Mrs Goodley makes you very independant of the servants. I am so glad she is a nice steady reliable person . I daresay you are really much more confortable in your own house with her than you would have been in lodgings at Southgate. And for Mabel’s letter you seem as busy as bees. I am so glad you like the flaconniers

Mrs G.T. Robinson

19 Sheffield terrace

Camden hill

Londres

Dimanche 15 septembre.

Ma chère maman,

Ce dimanche est terriblement chaud. C’est toujours l’été en Touraine et les fleurs du jardin ont un éclat parfait. La gentille petite lettre de Maydie m’apprend que vous allez bien, que vous êtes bien installées à Camden hill, et que Mrs Godley ne vous laisse pas dépendre des serviteurs. Je suis contente de savoir que c’est une personne solide et de confiance. J’ose dire que vous vivez plus confortablement avec elle dans votre propre maison que vous ne l’auriez été dans une installation à Southgate. Et, si on en croit la lettre de Mabel, vous paraissez aussi occupées que des abeilles. Et je suis si heureuse que vous aimiez le flacon.

The change of air has nearly taken away my cold and I feel pretty well again. I tried your … and, though it certainly did not prevent my cold coming to its full strength, it prevented me getting as exhausted and run down as one does sometimes. I should take some away with you in case …

Le changement d’air m’a pratiquement débarassée de mon rhume et je me sens assez bien à nouveau. Bien qu’il n’ait pas suffi à empêcher mon rhume d’aller jusqu’au bout, [votre médicament] m’a empêchée d’être aussi fatiguée et déprimée que d’habitude. J’en emporterai un peu pour vous, au cas où…

Did I tell you what a nice new Terminus Hotel, there is at the new Gare d’Orléans on the Quai d’Orsay. Close by the chamber of deputies ? Just opposite the Place de la Concorde, the rue de Rivoli and shopping center. In a lovely airy situation and very little further from me than the hotel du palais. I should think you would stay there, when you come …Paris. I am very anxious for you to see my fiancé. I don’t suppose the marriage will take place until quite the end of the year because of choosing a new flat. We cannot have three rents on our hands, and we should not like Jacques to feel that, from the first day, there was not always his place waiting for him at home, especially as he is going to begin his journey by a long visit to England, so near at hand. But if you have seen and can like my fiancé before you go, I should not mind so much about the actual wedding day. And when you come back in the spring I hope you will stay with us. He has always said we must have room for you ! He has just sent me the photograph of Olmet : such a lovely place ! It is built against a hill. On the one side it looks a rustic cottage, not much larger than the Daniel’s Halevy’s , with a terrace like theirs, dominating the most beautiful circle of mountains . On the other side, it is a story higher and appears a charming homelike old manor, looking over fields planted with pears and apples trees, sloping abruptly downwards. I don’t wonder he thinks much of it !

Ever your loving Mary .

Please don’t write to him, Dear, about settlements

Vous ai-je dit qu’il y a un très joli hôtel Terminus à la gare d’Orléans (19), sur le quai d’Orsay : à côté de la chambre des députés. Juste en face de la place de la Concorde, de la rue de Rivoli et des quartiers commerçants ; dans une situation aérée et un tout petit peu plus loin de chez moi que l’hôtel du Palais. Je pense que vous devriez vous y installer quand vous viendrez à Paris. J’attends avec impatience que vous voyiez mon fiancé. Je ne pense pas que le mariage aura lieu avant la fin de l’année parce qu’il faut choisir un nouvel appartement. Nous ne pouvons pas avoir la charge de trois loyers et nous ne voulons pas que Jacques puisse avoir le sentiment que, depuis le début, il n’a pas sa place qui l‘attend à la maison, surtout s’il commence son voyage par un long séjour en Angleterre, qui est si proche. Mais si, avant de partir, vous avez pu voir et aimé mon fiancé, je me poserai moins de question à propos du jour du mariage. Et quand vous reviendrez au printemps j’espère que vous pourrez demeurer avec nous. Il a toujours dit que nous devons avoir de la place pour vous ! Il vient de m’envoyer une photo d’Olmet : un si joli endroit ! C’est construit contre une colline. D’un côté cela ressemble à un cottage rustique, pas beaucoup plus grand que la maison des Halévy, avec une terrasse comme chez eux, qui domine un très beau cercle de montagnes. De l’autre côté le bâtiment a un étage de plus et il ressemble à un charmant petit manoir, ; il domine des champs plantés de poiriers et de pommiers qui plongent vers le bas de façon abrupte. Cela ne m’étonne pas qu’il en pense tant de bien.

 Votre Mary qui vous aime

 S’il vous plaît, ne lui écrivez pas à propos de considérations financières.

 Mrs G.T.ROBINSON

19 Sheffield Terrace

Campden Hill

London

 La Commanderie1 , Sunday sept 22 ( 1900)

 My darling Mammie

There is no news today , but it is sunday . So it seems second nature to sit down and write to the mammykin , though the letter will be a dull one . But I write you a newsier one in the middle of the week . M. Duclaux arrives tomorrow night for 48 hours and of course we shall have a great deal to

Mrs G.T. Robinson

19 Sheffield terrace

Camden hill

Londres

La commanderie (20), dimanche 22 septembre (1900)

 

My darling Mammie

 

There is no news today , but it is sunday. So it seems second nature to sit down and write to the mammykin, though the letter will be a dull one. But I write you a newsier one in the middle of the week. M. Duclaux arrives tomorrow night for 48 hours and of course we shall have a great deal tosay each other. I think, entre nous, he might have come a little sooner, but he is so frightfully shy that it is really very good of him to come at all. I hope he will have the really magnificent weather we have been having but I am writing to you in thunder hail and rain and I fear the storm heralds the coming of autumn weather. May it at last drouse some of the …… ! My poor arms and hands are swelled out of all recognition. I might as well have the gout . … every one in the house has tried some ineffectual nostrum. It seems they are very bad in France this year. Gabri has just come back from the Cevennes and in the Camargue the peasants have had to abandon the vintage in some places on accounts of the gnats ! And the hospitals in Nimes are full of victims, which we can hardly imagine. I got my worst bites in the woods yesterday. We went a lovely lovely long walk in the woods, Maughite, M. Girette and I, and then home [through] the vineyards, eating the ripes grapes from the vine . They belong to Maughite, fortunately, the vines. There they stand at the edge of the dusty road, without as much as a … to protect them, the beautiful purple clusters hanging ready to the hand ; and no one seems to touch them ! The vines at the edge are as fruitful as those in the centre. I was quite abashed, and electrified of the honesty of tramps in Touraine.

Ma chère maman

Pas de nouvelles aujourd’hui mais nous sommes dimanche. Cela ressemble à une seconde nature que de s’asseoir et d’écrire à mammykin, bien que la lettre ait des chances d’être ennuyeuse. Mais vous en aurez une pleine de nouvelles vers le milieu de la semaine. M. Duclaux arrive demain soir pour 48 heures et nous aurons bien sûr beaucoup de choses à nous dire. Entre nous je pense qu’il aurait pu venir un peu plus tôt, mais il est si horriblement timide que c’est réellement bon de sa part de venir tout de même. J’espère qu’il va avoir le temps magnifique que nous avons eu, mais je suis en train de vous écrire au milieu du tonnerre et de la pluie, et j’ai bien peur que la tempête n’annonce le temps automnal. … Mes pauvres mains et mes bras ont gonflé au-delà de toute expression, je pourrais aussi bien avoir la goutte… chacun dans la maison a essayé des remèdes de bonne femme, inefficaces ; il paraît qu’il fait très mauvais en France cette année. Gabri rentre juste des Cévennes et en Camargue les paysans ont dû dans certains endroits laissé tomber les vendanges à cause des moucherons ! Et l’hôpital de Nîmes est rempli de victimes, c’est difficile à croire ; j’ai moi-même été piquée affreusement dans le bois hier. Nous avons fait une charmante promenade dans les bois, Maughite, M. Girette et moi, et nous sommes revenus à travers les vignes, en grappillant les raisins mûrs. Par chance les vignobles appartiennent à Maughite ; ils s’étendent à la lisière d’un chemin sablonneux, sans rien pour les protéger, les grappes magnifiques pendant à portée de main, et personne n’a l’air d’y toucher ! Les ceps sur les bords sont aussi fournis que ceux du centre. J’étais fort étonnée, et admirative de l’honnêteté des vagabonds en Touraine.

I have no news. Louis Braudin wrote to ask for your address but I told him you were just off to Italy, for I thought you would not want him on your hands, you must be busy enough ! So shall I be when I return to Paris. I have succeded in wresting from Delagrave fifteen pounds which He has owed me for ages for bosles of Doudou’s. So I am going to spend it on a warm fur jacket which I really want and shall like to think he gave me. Oh, here ‘s the dressing bell. Fondest love to both. Molly

Je n’ai pas de nouvelles. Louis Braudin ( !) a écrit pour demander votre adresse mais je lui ai répondu que vous veniez de partir pour l’Italie ; j’ai pensé que vous ne voudriez pas l’avoir sur le dos, vous êtes suffisamment occupées ; je vais l’être aussi en retournant à Paris ; j’ai réussi à extorquer de Delagrave quinze livres sterling qu’il me doit depuis des lustres pour les droits d’auteur de Doudou. Je vais les dépenser pour un manteau de fourrure dont j’ai vraiment besoin, et je serai heureuse de penser que c’est lui qui me l’a donné. Oh ! Voilà la cloche du diner ! Tendresse sà vous deux

Molly

Mrs G.T. Robinson

pas d’enveloppe

May ..th 1901

My dearest dears,

I think of you more then ever just these days which bring back those cruel days of 99 when our beloved dad was so suddenly taken from us. Were he alive today, he would not be really old, and he could have enjoyed so much a few years of wellfilled holiday at the end of his life. He was so young in mind and temper. I often think we have all three grown much older and lost something of our sense of humour and fancy since he left us. Often in my work I miss him and I shall think of him tomorrow in Calmann publishing office ( my book comes out tomorrow ) as naturally as in the cemetery. In the last few months so much happiness has come into my life, which seemed just a sort of dead leaf, and it is sad to think he cann’t know it. Still, so long as we three hold close together he does not seem far off, dear old Dad .

Mrs G.T. Robinson

(pas d’enveloppe)

Mai 1901 (!!!)

Mes très chères,

Je pense à vous plus que jamais en ces jours qui nous ramènent à ces jours cruels de 99 où notre papa bien aimé nous a été soudainement arraché. S’il était vivant aujourd’hui, il ne serait pas vraiment vieux (21). Et il aurait pu jouir de ce peu d’années de vacances bien remplies sur la fin de sa vie. Il était si jeune de caractère et de tempérament. Je pense souvent que nous avons toutes trois vieilli et perdu un peu de notre fantaisie et du sens de l’humour depuis qu’il nous a laissées. Souvent il me manque quand je travaille et je penserai à lui demain dans les bureaux de Calmann ( mon livre sort demain ) aussi naturellement que dans le cimetière. Ces derniers mois ma vie a connu tellement de bonheur, alors qu’elle me paraissait comme une sorte de feuille morte, et c’est triste de penser qu’il ne peut pas le savoir. De toute façon, aussi longtemps que nous demeurons proches les unes des autres, il ne paraîtra pas loin, le cher vieux papa.

I hope you have not quite knocked your …. over the furnitures, I am sure it will look lovely, the soft … walls, the browny yellow curtains, the shimmering pale blue … of the silk and the satinwood furniture. Prettier than may salon, I expect. But it is seldom one has the chance of recovering all our chairs at once and making a real scheme of colours.

J’espère que vous ne vous êtes pas trop cassé la tête à propos de l’ameublement. Je suis sûre que ce sera très joli, les murs … pâle, les rideaux jaune brun, la brillante soie bleue pâle et le mobilier de citronnier. Plus joli que le salon de … ( !) je suppose. Mais c’est rare qu’on ait la chance de recouvrir toutes les chaises d’un seul coup et qu’on puisse avoir une bonne harmonie de couleurs.

 

The weather here is still glorious. On friday it was grey and I enjoyed it more for I sat out on my balcony most of the afternoon. These fine days I have to keep the blends down and and so don’t really see so much of them. The trees are now quite green and they are laying out the garden underneath the windows. On friday night we went to a peoples college at the other end of Paris, faubourg saint Antoine and drove down the Bd St Germain and the eastern boulevards through miles and miles of flowering chestnuts ; coming back in the lamp light and the moonlignt it was really lovely, especially along the quays behind Notre Dame. Last night we dined with the baroness James de Rotschild – quite another world : no end of swells (!) . The Duc de Guiches took me down, a pleasant lad about the age of Jacques, and I talked a gread deal with the Prince Borghese, who is coming to call : a nice man who has a sheme for restauring the fortunes in Italy by substituting liquid air for coal ( she hasn’t of the past ) We are both commonly well . How are you both ? …

Loves . Mary

 

 Le temps ici est toujours superbe ; vendredi il faisait gris et je l’ai apprécié d’autant plus que je suis restée assise sur mon balcon une grande partie de l’après midi. ….. Les arbres sont encore très verts et on les aperçoit dans le jardin juste sous les fenêtres. Vendredi soir nous sommes allés à une réunion à l’autre bout de Paris, au Faubourg Saint Antoine, et nous sommes revenus par le boulevard Saint Germain et les boulevards de l’est parisien, à travers des milliers et des milliers de marronniers en fleurs ; avec les réverbères et le clair de lune c’était vraiment joli, surtout le long du quai Notre Dame. Hier soir nous avons dîné chez la baronne James de Rotschild – vraiment un autre monde ! chacun se fait valoir ! – C’est le duc de Guiches qui m’a menée à table, un délicieux garçon, à peu près l’âge de Jacques, et j’ai beaucoup parlé avec le prince Borghèse qui va nous rendre visite ; un homme charmant qui a un projet pour restaurer les fortunes en Italie en remplaçant le charbon par l’air liquide … Nous allons bien tous deux . Et vous ?

Affection , Mary

Page isolée, sans son début ni sa suite : Document  sans références : sans doute partie ou suite du prcédent

… any coal ) in the working of machines. The minister of Switzerland and the princess of Wagram were also ther. The party was given by Lady Lindsay, who is staying with the Baroness – a nice blousy person like an old baby and rather a …. even for a baby ; but she is a poetess and particulary wanted to meet me. Paremilis took her down and had the surprise of being – for an hour – Mary Robinson’s husband. It amused him immensely ; he was bubbling over with good humour and declaredI looked nicer then any of the ladies there (!). The Princes of Wagram is pretty and had on a wonderful gown of pink velvet, and cloth of silver. The other ladies , fortunately , were of a very certain age , and inclined to the dumpy …

… L’ambassadeur de Suisse et la princesse de Wagram étaient là aussi. La réception était donnée par Lady Lindsay, qui réside chez la baronne -une charmante personne mal peignée comme un vieux bébé … mais elle est poétesse et souhaitait particulièrement me rencontrer. Emile l’a conduite vers moi et a eu la surprise d’être – pour une heure – l’époux de Mary Robinson. Ca l’a beaucoup amusé ; il explosait de bonne humeur et a déclaré que j’avais l’air plus jolie que n’importe laquelle des dames. La princesse de Wagram est ravissante, elle portait une merveilleuse robe de velours rose et une veste argentée. Les autres dames, heureusement, avaient un certain âge…

… One of the ladies was Madame Dieulafoy in a man’s dress of course. Heavens knows how, a certain coolness has sprung up between me and the Dieulafoys ; therefore there was a …. moment when I saw M. Dieulafoy seated on the other side of me. However we rose to the situation, feeling our hostess had meant to give us pleasure and laid ourselves out to be so agreable to each other that we never enjoyed a conversation half so well, and resumed it after dinner. The dinner was magnificent of course, but unfortunately it was not at all the sort of repast at which I could hope to pick up hints for Marguerite – which is the chief thing which interested me these days in dinners. That is all my news I think. I had to have that old r… , or rather half of it , taken out on thursday , and now the « again has abated » and is ….

… Une des dames était madame Dieulafoy, habillée en homme, bien sûr. Dieu sait pourquoi, une certaine froideur a surgi entre moi et les Dieulafoy ; pourtant il y eut un moment où je vis M. Dieulafoy assis à côté de moi. De toute façon nous avons fait face à la situation, pressentant que notre hôtesse avait fait cela pour nous faire plaisir et nous avons réussi à être si agréables l’un pour ‘l’autre que nous n’avons jamais eu à moitié autant de plaisir à une conversation, et nous avons continué après le dîner. Le dîner était superbe, bien sûr, mais malheureusement ce n’était pas la sorte de repas dont je pouvais tirer des idées pour Marguerite – ce qui est la chose qui m’intéresse le plus dans ces dîners. Voilà toutes les nouvelles, je pense….

FIN DES LETTRES ENTRE MARY ROBINSON-DARMESTETER ET SA MERE

Notes

(1) Sans  doute 1901 ! La lettre se situe après la déclaration des fiançailles

(2 Il s’agit sans doute de Louise et  Daniel Halév

(3) Mabel Robinson

(4) Les Ward sont de vieux amis des Robinson ; Mrs Ward est une romancière connue à l’époque.

(5) Elle prépare un article sur l’histoire de Paris

(6) Grand-mère Briot, mère de Mathilde Briot, la première femme d’Emile et la  mère des deux garçons, Pierre et Jacques ; c’est Madame Charles Briot qui a élevé Jacques qui avait deux ans à la mort de sa mère.

(7) Sa femme de chambre

(8) Maurice Baring , ami de longue date , ou plutôt son fils

(9) Mafeking : libération de la ville de Mafeking après un siège de sept mois pendant la guerre des boers

(10) British Council ?

(11) Village de séjour dans l’Oxfordshire, tout près d’Oxford.

(12) E. Blochet : orientaliste, élève et disciple de James Darmesteter

(13) Adolphe de Rothschild sans doute.

(14) La maison d’Heacham

(15) La propriété  des Rothschild en Touraine

(16) Vernon Lee

(17) Plage de Ligurie

(18) Mary a écrit d’abord Pierre à la place d’Émile  : le lapsus est intéressant

(19) L’actuel musée d’Orsay

(20) daté du 23 sept , de Ballan , Indre et Loire

(21) 1897 : mort de Georges Robinson ( né le 13/07/1828 )

 

Lettre de Mrs Robinson

Une lettre de Mrs Robinson, en séjour à Biarritz, a été retrouvée ; elle donne une idée du style des échanges entre elle et sa fille aînée. Il s’agit de remercier pour un cadeau, mais  la lecture  est assez difficile.

Dans une enveloppe à en tête de l’hôtel , datée par la poste du 19/02, adressée à Madame Duclaux, 39 avenue de Breteuil, Paris.

Hôtel Victoria , Biarritz

J. Fourneau propriétaire

Lumière électrique, ascenseur

Thursday Feb. 19th – 1903

Oh you, extravagant, extravagant mouse ! I feel quite overwhelmed! But Mabel looks as bright as a beetle … . How she wishes she had a husband who put ℓ 400 to her banking account, what presents she would make !!! I say the ℓ 400 is much to be invested against a rainy day. Oh ! says Mabel, I think people can be too saving ; it is just what you want !! – I wish I could have given you one, there is a deal of pleasure the job out of giving ! She gave me another pretty little black lace cap, which was also exactly what I wanted. And you may like to know that my old head is the envy of all the old ladies here who have not black lace cap. Now darling Mary, I have jot all this far,(! 1) without thanking you for your lovely present. Which I shall find most useful as after this sore throat I have to wear something round my neck indoors, and Mabel looks as pleased as if it were her, and says “You look very nice in it, you must go down to lunch in it — So going in it I am, and when can I wear it, I shall think of you, and thank you, and think what an extravagant generous mouse you are. I am sure [with .. ] you if you were rich I should be dressed as a Duchess : but I like the love your presents show most, for the older one grows the more one feels that the world would wag on (!2)very well without one. And if the young carry along an atmosphere of love about them, the old are not able to do that.

I am much better, but I have not ventured out yet – for my voice is only like the cat’s grin, and perhaps it is even … of disappearing than appearing – but it no longer hurts me when I speak as it did : I am sure last winter this cold would have … on my chest and I would have been ever so bad —

I have had two business letters to write and now it is lunch time, but I will write again soon. I was going to send you a card when it came this imposing hope. I hope your heart is quite well by this time. How thankful you must feel when Emile [is] able to go about alone as he used to do. Mabel is just gone out for a few moments or she would join me in …. Love, I am sure. She enjoys the boa as much as I do, I really believe.

Ever my dear your very affectionate Mother

(1) griffonné !

(2) divaguer !

 

Autres correspondants

Laure Briot, grand mère d’Emile Duclaux.

I

Cinq lettres

Laure Briot, née Martin (Grand-mère Briot) (1)

A Mary Duclaux

s. d.

Dans une enveloppe adressée à Mademoiselle Robinson ( !), 39 avenue de Breteuil Paris VII ; datée sur la lettre du mardi ; la lettre n’a pas été postée. ; ou elle n’est pas dans son enveloppe d’origine !

 Chère Madame et amie,

Je viens de recevoir votre bien aimable billet renfermant la lettre de Jacques. Je l’envoie de suite à son père à qui elle fera certainement plaisir .

J’espère que vous avez comme nous un très beau temps, mais un peu frais, ce que vous sentirez moins, quittant un pays un peu rude sous ce rapport.

Emile parait bien content de voir que vous vous plaisez dans les belles montagnes et que leur air vif parait bien vous convenir. Vous rentrez tout à fait remontée, me dit-il. Je lui ai trouvé très bonne mine et l’air heureux.

Il se réjouit d’avoir encore à passer quatre ou cinq jours dans ce gracieux pays de la Touraine, si complètement opposé à celui que vous quittez et qui a un grand charme pour une longue habitation.

Il y a longtemps, il me semble, que vous n’avez reçu des nouvelles de Pierre. Le cher enfant nous a gâtés jusqu’ici et l’absence de ses lettres laisse trop de champ à l’imagination.

Espérons que ce n’est qu’un retard de courrier.

Cette fois on peut dire à bientôt, chère Madame.

Souvenir affectueux

L. Briot

14 janvier 1903

Dans une enveloppe datée par la poste du 14/1/1903, adressée à Madame Duclaux, 39 avenue de Breteuil, Paris ; datée sur la lettre du 14 janvier

Chère Mary,

Le voici donc passé l’anniversaire de ce triste jour où vous croyiez voir sombrer tous vos rêves d’avenir.

Je ne veux pas le laisser passer sans vous dire combien je suis heureuse avec vous de votre joie actuelle.

Après ces douze mois d’épreuve vous devez être bien heureuse de retrouver notre ami tel qu’il était autrefois avec sa belle intelligence, sa fine délicatesse et son grand cœur.

Sa constitution est bonne , il est vrai, mais c’est à vos tendres soins de tous les instants que nous devons de le voir très promptement et très complètement remis.

Ses fils ne sauront jamais tout ce qu’ils vous doivent ; mais moi qui vous ai vue à l’œuvre, moi qui sais de quel dévouement vous l’avez entouré, laissez moi vous dire toute ma reconnaissance. J’ai l’intime conviction que c’est à vous que nous devons d’avoir conservé cet excellent ami.

Les mauvais jours sont passés, cette crise ne laissera aucune trace, elle lui fera sentir néanmoins la nécessité de penser un peu à lui et de prendre quelques soins. Mais vous saurez y veiller.

Emile m’a dit dimanche que vous ressentiez en ce moment quelques douleurs de rhumatisme. Soignez vous bien, évitez le froid. Suivez les conseils de votre ami et croyez à la bien vive affection de votre vieille amie

Laure Briot

20 juillet 1907

Dans une enveloppe, adressée à Madame Duclaux, Brown’s farm, Braknell, Berks[hire] , Angleterre et datée par la poste du 20/07/07 ; datée par l’auteur du samedi 20 juillet

Est-ce dans cette si charmante petite ferme que vous habitez, chère Mary ? Qu’il doit faire bon sous ce petit toit de tuiles et comme je vous envie le calme et l’air pur qui y doivent régner.

J’ai bien pensé à vous par les journées humides et froides que nous venons de traverser ; maintenant nous avons du soleil qui atténue le vent aigre qui règne en permanence mais les nuits sont toujours froides ; on n’ose s’en plaindre, à Paris les nuits sont si pénibles. Moi en particulier , confinée dans mon salon, je peux assez facilement me garantir de l’un et de l’autre. Mais ma pensée se reporte avec regret aux temps plus heureux où je supportais facilement les jours difficiles. Ma jeunesse envie beaucoup la votre, je vous assure.

Madame Robinson va renouveler ses forces pour passer un bon hiver, je crois qu’elle se trouvera mieux de la vie calme de la campagne que de l’air trop vif de la mer. Laissons cela à miss Mabel qui a encore besoin de ce mouvement mondain.

J’ai reçu hier une lettre de Germainequi me dit qu’il fait un peu frais à Olmet mais qui est enchantée de l’effet du grand air sur sa fillette qui mange deux petites soupes par jour, boit du bon lait, remue, gazouille comme une petite fauvette (2). Elle habite ma chambre, de sorte que le moindre bruit serait entendu des parents. Jacques forme le projet de venir en aout passer huit jours pour tirer certaines expériences au clair.

Tout va bien chez madame Rhodes et à la rue Cassini. Rien de Pierre. Il a bienfait de retarder son voyage car il souffrirait beaucoup de cette température.

Merci, chère Mary, de votre bien gracieux souvenir. Je vous envoie, ainsi qu’à Madame Robinson, tous mes souhaits de bonnes vacances.

L. Briot

18 septembre 1907

Dans une enveloppe datée par la poste du 18/09/07 et adressée à Madame Duclaux, Brown’s farm, Bracknell, Angleterre ; datée par l’auteur de Paris, 18 septembre.

Chère Mary,

Bonne comme toujours, vous m’envoyez la lettre que vous venez de recevoir de Pierre. Elle me fait grand plaisir puisqu’il dit que sa santé est bonne et qu’il a toujours le projet de venir au printemps.

Mais chère Mary, dussè-je vous paraitre une grand-mère toujours grognon, je ne peux m’habituer à la manière presque brutale qu’il emploie dans ses lettres en vous écrivant. Hélas il ne s’est pas beaucoup façonné dans son pays de sauvages ! Il a vraiment besoin de toute votre indulgence.

J’ai comme vous reçu d’Olmet la nouvelle d’un futur compagnon à Mimi. Je vois avec plaisir que la petite maman prend son rôle fort au sérieux et qu’elle ne redoute pas de recommencer l’année prochaine les petits ennuis inhérents à sa situation de mère de famille. Elle est d’une belle santé et supporte facilement les petits malaises de son état. Tout ira bien.

J’espère que ce petit mot vous trouvera encore dans votre ferme de Blackwell où vous avez fait provision de bonne santé pour l’hiver ainsi que Madame Robinson et je fais des vœux pour que Miss Mabel y laisse ses migraines pénibles.

Profitez des derniers beaux jours pour votre petit séjour en Touraine. Le pays est encore si joli à cette époque.

A bientôt chère amie

Votre bien affectueuse

L. Briot

29 février 1908

Dans une enveloppe datée par la poste du 29/02/08 , adressée à Madame Duclaux, 10 place Saint François Xavier, Paris VII è et datée par l’auteur du 29 février.

Toujours bonne et délicate amie, vous avez pensé avec raison que j’aurais grand plaisir à lire la lettre de mon grand Pierre. Elle est en effet bien intéressante et bien vivante. .. Que d’activité dans cette nature .. Je suis presque un peu effrayée de le voir entreprendre tant de choses ! Pourvu que nul choc ne vienne briser tous les châteaux qu’il construit dans sa tête. Puisse le ciment être assez solide pour que rien ne craque en route.

Je suis moins content du reste de votre lettre. Encore souffrante au point de rester au lit ? Vous devez être très imprudente et, pour la satisfaction de montrer votre jolie taille, ne pas vous couvrir assez quand vous sortez. Fi, que c’est vilain de sacrifier sa santé à sa coquetterie, surtout quand on a une taille que vous pouvez grossir sans crainte. Elle sera encore presque trop fine.

Soignez vous donc sérieusement, chère Mary, faites le pour ceux qui vous aiment et qui vous veulent vaillante et forte de santé autant que de cœur.

J’ai vu l’aimable Miss Mabel qui m’a donné de bonnes nouvelles de madame Robinson. Grâce à la provision d’air pur qu’elle a rapporté d’Angleterre , elle a passé son hiver sans encombres. C’est une bonne chose .

Je pense que vous voyez quelques fois ma gentille Mimi ; elle n’est pas jolie mais elle a un petit minois intelligent, de la vivacité, un caractère facile et doux jusqu’ici. Pourvu qu’on ne la gâte pas trop, ce serait dommage.

Bien chère Mary, croyez à mes sentiments bien affectueux.

L. Briot

 

 

II

Mary Duclaux

A

Pierre Duclaux

Quatre  lettres

1 12 décembre 1927

Enveloppe : Monsieur Pierre Duclaux, à Pradines, par Marmanhac, Cantal

Mon cher Pierrot,

J’ai profité de suite des indications que vous me donnez et (comme il fait beau aujourd’hui) j’ai consacré cette après midi à mes petites emplettes de Noël. Ce ne sont que des à peu près, hélas ! Mais j’ai choisi chez Tunmer deux raquettes adaptées à des jeunes personnes ayant de 160 à 167 de taille environ , et de 16 à 18 ans d’âge. Espérons que les chéries (2) les trouveront du poids qu’il faut. Le même paquet contiendra une auto Citroën (un joujou naturellement) pour André et une bonne écharpe de cachemire pour Emile qui doit être dehors par tous les temps. J’ai honte de tes pantouffles (sic) fourrés (sic) – pas du tout ce que je voulais – mais je suis allée chez quatre bottiers avant de trouver ceux là au Printemps. Ils me paraissent bien grands pour toi qui as un petit pied – mais lorsque j’ai dit que le Monsieur avait près de 1 m 80 de haut, on m’ a assuré qu’il ne pouvait se chausser plus étroitement ? Madeleine aura, des Trois Quartiers, une écharpe qui mettra en valeur, au coin du feu, ses yeux de cerise-noire et ses sombres cheveux. Vous voyez que j’ai bien couru et, pourtant, ma récolte est bien loin de ce que j’aurais voulu trouver ; mais quand on ne trouve pas ce qu’on aime, il faut aimer ce que l’on trouve !

Acre : un hectare est à peu près deux acres et demi, 4,840 square yards, et un yard deux square feet .

 Il doit manquer une page !!! Le début de la page suivante , intitulée 3 commence avec un mot sans majuscule , et ne continue pas le raisonnement sur la valeur de l’Ha ; de plus il y a un espace non explicable entre la fin du recto de la page 1 … « square feet » et le début de la p. 3 « exactement » . Pourtant le recto de la page 3 semble s’appeler 4 ! Bizarre !!

exactement deux acres , 1 rood et 35 perches . (3)Tu as bien raison pour le système métrique).

Un buschel ( ah, tu as bien raison pour le système métrique ) i

1 pint ……. : 0. 5679 litres , à peu près un généreux demi litre

1 quart (2 pintes) … : 1.1359 litres

1 gallon (4 quarts) … : 4. 5435 litres

1 peck (2 gallons) … : 9.0869 litres4

1 buschel (8 gallons) … : 36.3476 litres

1 Quarter (8 buschel) … : 2. 9078 hectolitres

 Comment est-ce qu’un peuple commerçant peut continuer à compter de cette façon là !

Mabel est rentrée de Londres mercredi soir, un peu maigre mais en bonne santé. Elle n’avait pas vu le soleil depuis son départ. Ici Lundi et Mardi il faisait si beau que je suis allée revoir les Delacroix à Saint Sulpice et au Louvre et maintenant mon article est mis à la poste. Mercredi était une journée très chargée : le Prix, mon « jour », la rentrée de Mabel. Le déjeuner du Prix était amusant. Nous étions au dessert et en train de voter ; je mangeais pensivement mes raisins en méditant mon bulletin quand la porte s’est ouverte avec fracas. Et, dans un tournoiement de voiles, d’ailes, de cris, une sorte de colombe effarée s’est précipitée dans mes bras, s’effondrant sur mon cœur, m‘embrassant sur les deux joues, s’écriant, très haut : « Ah que j’embrasse ce visage ravissant ( !) » C’était Madame de Noailles, que je n’avais pas vue depuis six ans ! Puis, pour expliquer ce mouvement, elle s’écrie à qui veut bien l’entendre : « Barrès m’a souvent dit : « Si je n’étais pas si amoureux de vous, je le serais d’elle ! » !!! » Je crois que vraiment elle doit être un peu folle . Je n’ai jamais vu Barrès plus d’une fois dans le courant de l’hiver, quoique nous nous écrivions assez souvent sur des sujets purement littéraires. Vous pouvez juger de ma confusion… Enfin c’est tout de même ma candidate qui a eu le prix .

Mille et mille tendres et affectueux vœux d’heureux Noël

 Mary Duclaux

2 9 janvier 1930 (datée sur l’enveloppe par Pierre D. ) ; 9 janvier (datée par Mary du 88 rue de Varennes, Paris)

 Mon bien cher Pierre,

J’ai pensé t’écrire tous ces jours ci, mais le temps file, et ces jours d’hiver où il fait nuit avant quatre heures ne ménagent pas mes mauvais yeux. N’importe quel jour j’aurais pu te dire : « Je viens de voir Fanny et Marie, elles se portent à merveille, travaillent comme des nègres, sont gaies comme des pinsons », ou quelque chose d’approchant. Elles ont diné ici dimanche et puis mardi soir ; lundi je les ai amenées chez leur vieille et bonne voisine, Madame Ludovic Halévy. Il n’y a pas de meilleure personne ni une seule dont la connaissance peut être plus profitable à la jeunesse. Malgré ses 80 ans, elle s’est tout de suite mise à leur portée et les a retenues pour dîner chez elle le mercredi, hier, et tous les mercredis qu’il leur plairait de le faire. Je les rencontrerai ce soir de l’autre coté du palier chez Mabel (par exception , car le jeudi c’est le soir de tante Germaine. A 7 heures 30 leur journée de travail est termine ; si elles ont de la préparation à faire elles peuvent prendre congé dès 9heures ; et je suis enchantée de penser que trois ou quatre fois par semaine elles se nourriront le soir d’une bonne cuisine bourgeoise plus saine que les repas au restaurant. Elles vont vraiment très bien en ce moment. Du reste tu le verras toi-même d’ici quinze jours et je suis enchantée de penser que moi aussi, alors, je vais te revoir. Pour les petites c’est bien précieux d’avoir de temps en temps la visite d’un parent . Nous les voyons dans leurs moments de détente, mais je sais que souvent elles pensent à la maison, à toi, à leur Maman, au petit André, et s’en sentent bien loin. Ce qui serait parfait c’est si Madeleine pouvait venir pour une semaine à la fin de février. « Car celui-ci c’est un trimestre bien long, » disait Marie avec un soupir vite étouffé. Mais je sais que c’est bien difficile pour une maîtresse de maison de s’absenter. Cependant quand nous étions en pension à Bruxelles, maman l’a fait pour nous. Penses-y ! On les élève avec tant de soin et tant de dépenses, ses filles, et puis, lorsqu’elles sont devenues parfaites et des camarades délicieuses, quelque jeune monsieur passe par là, qui ne nous paraît pas bien passionnant, peut être, et nous en enlève une, et bientôt l’histoire se répète pour une autre ! Après tout, c’est ce qui peut leur arriver de plus beau ; mais le rôle des parents est un rôle d’abnégation, c’est bien sur , c’est une loi de la Nature !

Je suis bien ennuyée de te savoir si souvent en proie au mal de tête. C’est peut-être le froid humide de la campagne qui en est cause, car à Fresnay, notre ami André Noufflard s’en plaint de même, et bien moins à Paris. En anglais on appelle « brow-ague » un mal frontal, très fatigant et énervant, causé par le froid, surtout par le vent. Quand nous étions jeunes, mon père et Mabel en souffraient beaucoup ; heureusement pour eux, le pharmacien du village était une autre victime, et, s’étant guéri lui-même, leur vendait une préparation d’ammoniaque et de quinquina qui faisait merveille, faisant ordinairement avorter ce fâcheux mal de tête si on en prenait une dose dès les premiers symptômes.

Ma prochaine lettre sera pour Madeleine, qui m’a si gentiment écrit à Noël. Elle sait combien cette saison est encombrée et ne me tiendra pas rigueur, je suis sûre, si je remets un peu la réponse. Comme cela elle aura , échelonnées, des nouvelles de ses filles. Donne lui de mes nouvelles et embrassez (sic) la pour moi ainsi que je t’embrasse, mon bien cher Pierre,

 Mary Duclaux

 

3 Datée par Pierre sur l’enveloppe du 18 décembre 33 ; datée par Mary du 18 décembre 33, 88 rue de Varennes, Paris.

 Mon bien cher Pierre,

 Ceci n’est pas un Christmas –carol . Hélas non. C’est un vilain petit document qui m’est arrivé aussitôt après que j’ai eu mise à la poste la dernière lettre que j’ai envoyée à Pradines, (Quelle phrase, mon Dieu !) et il demande ta signature ! Veux-tu l’envoyer tout droit à l’agence G., 28 boulevard Saint Michel , VI . ? Car j’ai mis un peu de retard à te le faire parvenir. Ces bons à lots sont bien ennuyeux ; il n’y a jamais de prime, et il faut des tas de signatures, des remplacements par d’autres obligations pareilles. Je me demande pourquoi on a songé à une chose qui ne possède ni le repos et la sécurité d’un « placement de père de famille » ni l’espoir et l’esprit d’aventure d’une véritable loterie.

J’ai reçu et lu avec intérêt ta notice sur le Dr Roux ; tu liras dans la Revue des 2 mondes un article par Pasteur Vallery-Radot qui montre combien le vieil homme de 80 ans manque à ses disciples. On ne trouve absolument personne dans la force de l’âge pour accomplir ce qu’il faisait si simplement, malgré son âge, la faiblesse de sa santé, etc. C’est qu’il ne faisait qu’une unique besogne et il la faisait tout le temps, ne songeant guère à autre chose. Et on ne peut pas demander cela à un autre. On ne sait toujours pas qui sera nommé Directeur de l’Institut Pasteur.« There are …. (2 mots illisibles) wheels » et l’on sent un sourd tiraillement .

Je sais que vous aurez la visite d’Emile à la veille du jour de l’an. Il m‘a écrit une très gentille lettre, un peu triste de passer Noël à la caserne. J’ai vu Fanny avant-hier, j’espère voir Marie vendredi. Je voudrais te revoir, toi ! Mille tendres vœux .

Mary Duclaux

 4  Datée par Pierre sur l’enveloppe du 4 janvier 35 ; datée par Mary du 3 janvier 34 ( !) , 88 rue de Varennes, Paris.

 Mon cher bon Pierre,

 Je t’écris toujours aux premiers jours de l’année ; cette fois ci un peu plus tard, car je suis un peu fatiguée par tant de visites. Et puis ta dernière lettre m’a hantée, a presque obsédé ma pensée, tant j’y voyais un état de choses grave et triste ; tant je m’efforçais vainement de trouver une issue, mais que faire ! La lecture de la lettre que ma sœur a reçue de toi ce matin m’a beaucoup soulagée, car je vois que, quelles que soient les complications de ta vie actuelle, il y a bien des heures par jour où , entre tes champs et tes livres, tes paysans et tes conférences, (il y a bien des heures par jour) où tu y échappes. En somme tu projettes ta véritable vie en dehors de ton existence individuelle. Quand même je te voudrais un intérieur plus calme et plus gai, et j’espère que cette nouvelle année adoucira les choses en quelque manière, et tu es assez philosophe pour te contenter d’un bonheur approximatif. Ce ne sont pas des personnes comme toi qui sont le plus à plaindre, mais celles, comme la pauvre chère Madeleine, étroitement soudée aux évènements de la vie journalière, qui n’y peuvent jamais échapper, et qui s’irritent et souffrent de s’y sentir prisonnières, quoi qu’elles désirent elles aussi une vie impersonnelle sans savoir y atteindre.

Je voudrais savoir lesquels sont ces journaux que tu diriges.. Tu me diras cela lorsque tu viendras à Paris – vers la fin de ce mois, je suppose, comme toujours ? Tu verras alors ta gentille petite fille et un jeune ménage qui a l’air heureux . Les jeunes Patey sont venus me voir le jour de l’an avec André qui a grandi, qui a pris de bien bonnes façons, tout à fait un garçon agréable et parti pour devenir un grand garçon svelte et beau. Les Heyman sont à Saint Germain pour quelques jours. Je verrai tout ce petit monde et les Bayard samedi prochain ; ils dinent chez moi.

Mes yeux vont très mal ; je n’ose relire ce que je t’écris – je vois à peine. Le temps sombre et humide éprouve une vue bien fatiguée. J’ai vu aussi les Jacques Duclaux, tous les quatre1 ; ils ont rencontré les Daniel Halévy et nous sommes restés longtemps à bavarder en cercle autour du feu, pas du tout comme une visite du jour de l’an.

Au revoir Pierre ! Sta bene ! Mary Duclaux

Notes

(1)Fabricant et marchand de raquettes de tennis , à Paris

(2) Les raquettes devaient être destinées aux deux filles de Pierre, Fanny et Mary

(3)Rood is an Old English unit of area, equal to one quarter of an acre (i.e., 0.25 acres (0.10 ha)), or 10 890 square feet or 1011.7141056 m² (for the international inch) or about 10.1 are. A rectangular area with edges of one furlong and one rod respectively is one rood, as is an area consisting of 40 perches (square rods).[citation needed] The rood was an important measure in surveying on account of its easy conversion to acres. When referring to areas, rod is often found in old documents and has exactly the same meaning as rood.[1] It is confusingly called an acre in some ancient contexts. < Wikipedia.

 4bushel is an imperial and U.S. customary unit of dry volume, equivalent in each of these systems to 4 pecks or 8 gallons. It is used for volumes of dry commodities (not liquids), most often in agriculture. It is abbreviated as bsh. or bu. The name derives from the 14th century buschel or busschel, a box.[1] (wikipedia) A peck is an imperial and U.S. customary unit of dry volume, equivalent in each of these systems to 2 gallons, 8 dry quarts, or 16 dry pints. Two pecks make a kenning (obsolete), and four pecks make a bushel. In Scotland, the peck was used as a dry measure until the introduction of imperial units as a result of the Weights and Measures Act of 1824. The peck was equal to about 9 litres (in the case of certain crops, such as wheat, peas, beans and meal) and about 13 litres (in the case of barley, oats and malt). A firlot was equal to 4 pecks and the peck was equal to 4 lippies or forpets. (wikipedia)

(5) Probablement Germaine Appell-Duclaux, la femme de Jacques .

(6) Il en manque un ! Lequel ?

III

Destinataire non  précisé

 sans doute Louise Halèvy  ?

Sans date : entre la mort d’Emile Duclaux et le mariage de Pierre Duclaux

Olmet, par Vic sur Cère, Cantal

 Ma bonne chère amie,

Je ne sais pas pourquoi, j’imagine que vous êtes à Paris occupée à faire toute sorte de douloureux rangements par ce temps splendide – mais j’espère que vous etes à Sucy où le calme magnifique de l’automne s’associe si bien à la paix de cette vieille maison, où je vous ai vu tous si heureux ensemble. Je sais que vos petits enfants n’y sont plus. Quelle joie ça a du être pour vous de voir renaître l’activité du petit Antoine. Il ne dira plus »: Je suis content de ne pouvoir marcher car marcher fait si mal ». Marianne m’en a donné d’excellentes nouvelles. Et vous avez du trouver du plaisir à vous occuper de Françoise, si vive, si intelligente et déjà d’un age raisonnable (1) – Une petite Mimi n’est qu’un enfant de deux ans – ne me tient pas d’aussi près et ne rappelle en rien son grand-père. Mais je trouve une grande douceur à suivre la trace de ses sentiments sur son petit visage mignon et câlin. Et je ris quand je trébuche dans l’escalier sur un savant mélange de petits bâtons moussus, marrons d’Inde et fragments de pots cassés, rangés dans un ordre occulte qui représente quelque chose à son esprit, mais pas au mien. Mimi est très sage. On ne peut guère en dire autant de Françoise qui a cinq mois, mais en revanche elle est très belle.

Je me fais un peu l’effet d’un revenant qui visite la scène de ses joies et ses labeurs terminés, et qui se réjouit de voir que tout va bien. Nos petits enfants occupent la chambre d’Emile ; il y a toujours des instruments de physique sur la terrasse, avec des cerfs volants, des poupées, dans une belle confusion. Le jeune ménage a l’air fort heureux : le pays me parait le plus charmant du monde. Mon cher Pierre va épouser après demain une jeune fille que mon mari chérissait beaucoup ; et tout ce jeune monde heureux m’entoure d’affection et de mille prévenances. Emile serait content.

Je reviens à Paris vers la fin de la semaine, après quelques jours à Aurillac, avant d’aller en Touraine. J’ai laissé ma mère et Mabel en assez bonne santé. Maman va certainement mieux, si non tout à fait bien. Serez vous à Paris par hasard la semaine prochaine. J’ai bien envie de vous revoir. Mille tendres souvenirs, ma chère bonne Louise. Mary Duclaux.

(1) Il s’agit sans doute de Marianne et Françoise Halévy .

 

Fin de la correspondance

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 (1) Laure Martin , épouse de Charles Briot, mère de Mathilde Briot, première épouse d’Emile Duclaux

(2) Germaine Appell – Duclaux , la femme de Jacques Duclaux.

(3) Pierre Duclaux est au Tonkin.

(4) Mimi = Mathilde Duclaux – Charles, et le compagnon sera Françoise Bayard –Duclaux, toutes deux filles de Jacques et de Germaine.