Émile Duclaux et les sources
Dans les Annales de l’Institut Pasteur1, l’année précédant sa mort, Émile Duclaux fait paraître un article de 45 pages, modestement intitulé Études d’hydrographie souterraines. C’est une étude (partielle) sur le réseau des sources qui affleurent dans les vallées issues du volcan du Cantal. Émile est chimiste, pas géologue, ni géographe : aucun de ses travaux antérieurs ne porte essentiellement sur un problème d’hydrographie, sauf allusion dans les comptes rendus des Annales de l’Institut, mais plusieurs concernent le problème de l’eau et de son caractère potable 2. Pourquoi, vers la soixantaine, s’intéresse-t-il à l’hydrographie ? Sur quoi repose cet intérêt pour les sources et la qualité de l’eau en général ?
L’hypothèse sur laquelle repose cet essai est la suivante : les sujets d’intérêt, donc de recherche, d’un scientifique sont intimement liés à son histoire personnelle ; beaucoup d’historiens choisissent telle ou telle époque ou tel ou tel thème parce que une question en rapport s’est un jour posée dans leur vie : les questions de genre sont traitées surtout par des femmes, par exemple. La tradition familiale – qui vaut ce qu’elle vaut – rend le fait patent en ce qui concerne Émile Duclaux : elle dit que c’est la disparition de sa première épouse, très aimée et morte en couches de fièvre puerpérale, qui l’a conduit à diriger ses recherches vers les microbes et la prophylaxie. Les travaux menés par ses descendants dans sa maison d’Olmet montrent aussi un goût prononcé pour les eaux vives : si avoir de l’eau courante était une nécessité absolue pour faire fonctionner le laboratoire3 , cela ne nécessitait pas le décor du jardin : une fontaine de rocailles (qui a coûté horriblement cher ), un ruisseau en travers de toute la plate bande gazonnée devant la maison, un bassin bordant deux massifs de fleurs et une autre fontaine dans le genre de celles des maisons romaines (un bassin circulaire cimenté surmonté d’une demi voûte ronde, dans laquelle une tête de lion en bronze crache un jet d’eau – (ses descendants l’appelaient « le géant qui crache » – ). Le tout alimenté par un réseau de tuyaux en fonte dont le dessin est perdu et la restitution aléatoire.
Dans la bibliographie republiée par l’Institut Pasteur d’après la première édition parue dans les Annales de l’institut en 1904 avec la nécrologie écrite par le docteur Roux , les publications de Duclaux sur le sujet sont recensées dans le sous chapitre « médecine et hygiène » , qui mentionne 47 études entre 1882 et 1903 ; 14 de ces études concernent le problème de l’eau, soit moitié moins que la question du lait, beaucoup mieux connue comme ayant été un de ses sujets d’intérêt (~28) et autant que l’alcool , qui fut l’objet d’un scandale (~14).
Dans quel contexte situer ce dernier – et long – article ? Duclaux vient de publier son livre sur l’hygiène sociale ; les microbes, auxquels se consacre l’Institut qu’il dirige après Pasteur, ont besoin de l’eau pour vivre, comme tout être vivant ; ils peuvent aussi polluer l’eau dans laquelle ils vivent, et cela devient alors un problème d’hygiène publique. De ce point de vue la question qui se pose à propos de l’eau est d’abord celle de sa filtration et/ou de son altération, naturelles via les couches géologiques traversées, artificielles via les activités humaines : elle conduit à l’étude d’un – ou plusieurs – réseau(x) fluvial/aux, ce qui a été fait, en particulier pour l’Île de France. Est-ce une raison pour poser la question d’un réseau géographique constitué de très nombreux bassins sans liaison entre eux, le réseau des rivières, ruisseaux et sources issus d’un volcan, celui du Cantal, d’où les eaux partent dans toutes les directions et qui ne dessert aucune ville importante ; que pourrait bien apporter cette étude ?
Je pars de l’idée qu’il y a au début une inquiétude : peut-on encore espérer trouver des sources pures ? Et deux raisons, l’une qui tient à une expérience récente, d’ordre scientifique, l’autre, plus profonde, qui remonte aux joies de l’enfance et à l’amour de ce pays, le Cantal, qui lui a tant donné et à qui il a tant voulu donner.
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Qu’apporte l’expérience scientifique ? Dans les dernières années du siècle précédent, Duclaux a travaillé, avec d’autres, sur l’approvisionnement en eau potable de la ville de Paris, où l’urbanisation et l’accroissement de la population avaient nécessité un énorme travail d’adduction d’eau ; ce travail remarquable a été exécuté en même temps que la rénovation d’Haussmann par le polytechnicien Eugène Belgrand4 . Nous sommes dans les dernières années du règne de Napoléon III, les idées sur l’asepsie et l’antisepsie sont contemporaines de la finition du réseau et, sinon connues, en tout cas loin d’être acceptées par tous : Belgrand et ses ingénieurs n’ ont pas vraiment tenu compte de ce problème. Environ quinze ans plus tard les responsables politiques de la République réalisent que les eaux provenant d’infiltration, donc les eaux de source, peuvent présenter un risque, notamment en ce qui concerne l’extension d’une éventuelle épidémie. Ils demandent conseil, entre autres, au directeur de l’Institut Pasteur, qui s’exécute : Duclaux propose un «système de surveillance» du «très large réseau de sources», aux fins d’«empêcher les épidémies» potentielles d’«infecter les eaux potables» ; ce système , nous dit-il , fonctionne «assez bien »… Le travail lui a permis de constater, sur une grande échelle, à quel point l’eau des sources n’est plus sûre. N’existe-t-il plus d’eau pure ? Le scientifique sent sa responsabilité engagée. Et, apparemment le montagnard qu’il est toujours resté en est choqué.
Les bactéries dans l’eau ? Depuis 1887 ses publications montrent qu’il se pose la question. Dans les Annales de l’Institut, qu’il a fondées, la Revue critique et la section Revue et analyses font dans chaque numéro le point sur les publications en cours autour d’un sujet en rapport avec les recherches de l’institut Pasteur : le sujet de l’eau potable et de sa sécurité y figure avec des articles, souvent signés par Duclaux, très documentés, fondés sur une bibliographie abondante et internationale5 : en ordre de quantité décroissante : allemand, français, italien , anglais , ce qui recouvre à peu près l’ensemble des langues scientifiques de l’époque 6 . Les études mises en valeur par lui tournent autour de la question des sols, de l’eau qui les traverse et en sort, de la survie des bactéries dans ces sols et ces eaux, et des moyens de s’en préserver. ( voir les références in fine). L’article publié en 1903 sur les eaux souterraines est la résultante de tout ce travail d’information , mais aussi le résultat de ses recherches sur le terrain.
Qu’apporte l’expérience de la vie ? Si Duclaux appartient à la génération qui découvre la pollution en même temps que les microbes, il est aussi le fils d’une terre riche en sources, à côté desquelles s’élèvent les burons7 et les fermes : sans eau courante, pas de lait, pas de fromage, donc pas de richesses pour ce pays qu’il aime et pour lequel il a tant travaillé dans ses laboratoires successifs du Cantal, au Fau près de Marmanhac d’abord, puis dans sa maison d’Olmet. Ses enfants et petits enfants, comme lui, ont piégé les sources pour attraper les grenouilles, les phasmes et les libellules, recueilli leurs eaux pour élever les poissons pêchés dans la rivière, construit des barrages pour faire tourner les moulins et bu leur eau pour accompagner le pain du goûter. Le monde pour eux, comme pour lui , ne peut s’imaginer sans les ruisseaux et ruisselets qui modèlent le paysage et nourrissent la vie. Les descendants de ces petits enfants ne boivent plus aux sources : beaucoup d’entre elles sont captées8, et celles qui ne le sont pas – pas encore ? – ne sont plus potables9 . A la fin du XIX ème siècle elles l’étaient encore, mais Duclaux semble avoir pressenti – et étudié – le danger : ce danger menace ce qui fait l’essence même de ces montagnes aimées.
L’article publié en 1903 sur les eaux souterraines est la résultante de tout ce travail d’information , mais aussi le résultat de ses recherches sur le terrain, dont son épouse parle avec tendresse et de temps à autre un peu d’inquiétude, car cela le conduit parfois à des expéditions acrobatiques.
Quoi de pire que la pensée qu’il n’existe plus de source pure ?
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Que conclure de la bibliographie ?
Les microbes montent ou descendent dans les sols, suivant leur nature et leur perméabilité, entraînés par l’eau dans un sens ou dans l’autre ; il existe « des relations du sol avec l’eau qui le traverse … dont l’étude est indispensable avant de passer à celle du rôle nosocomial du sol et de l’eau » : ce que Duclaux s’efforce de faire en 1887 et 1890 (2 articles, voir bibliographie). Il est évident que, pour lui, l’un précède nécessairement l’autre. Une fois la nature des sols prise en compte, il faut étudier la vie des bactéries dans l’eau ( 1890,1892, 1894, voir ibid.), les contaminations ( 1892, 1898, id.) et surtout la filtration des eaux, naturelle (1891, 1894 , ibid.) et artificielle ( 1890, 1891, ibid.).
Ce qui vient en premier pour des raisons pratiques évidentes, est l’étude des techniques d’approvisionnement en eau potable dans les grandes villes ; leur croissance est énorme en cette deuxième moitié du dix neuvième siècle et le problème est donc crucial. En 1894 ( Annales de l’Institut Pasteur, 1894/12, revue et analyses, pp. 316 – 322) et surtout en 1900 ( Annales , 1990 , pp. 816 – 822) Duclaux examine « les enquêtes concernant les eaux de source distribuées à Paris » . Il montre qu’il est à peu près impossible d’être sûr de la qualité des sources : « Il faut se résoudre à retrouver dans les sources quelques uns des germes rencontrés à la surface ou dans les profondeurs. Il y a là un fait général et une loi inéluctable, contre laquelle l’homme , les parlements et les capitaux ne peuvent rien » Nous avons ici plaisir à retrouver l’ironie du savant face aux politiques, et les préoccupations du citoyen. « Tout filtre , nous rappelle-t-il, perd de ses qualités par l’usage » et les qualités filtrantes des sols disparaissent sous les villes , surtout lorsque « le régime d’homogénéité du sol qui a pu exister à l’origine fait de plus en plus place à l’hétérogénéité des matériaux de démolition » .
En ce qui concerne les travaux d’adduction faits à Paris, « c’est en présence de ces eaux, plus ou moins filtrées au travers d’éboulis que se sont trouvés les ingénieurs quand ils ont voulu les capter [les sources] pour les conduire dans la capitale » ; « elles présentaient toutes les qualités requises par la science officielle d’alors » – on admirera la notion de science « officielle » chez le directeur de l’Institut Pasteur, en repensant notamment aux difficultés rencontrées par le fondateur face à la médecine « officielle » – ; « elles [les eaux] étaient fraîches, limpides, de saveur agréable et très pauvres en matières organiques…Peut être le service des eaux eût-il pu … prêter une oreille plus attentive aux nouvelles exigences que la science apportait dans la question en montrant qu’une eau pouvait être sapide, fraîche et limpide , et contenir pourtant des germes dangereux pour qui la boit » Et pan sur les ingénieurs responsables ! Pourtant Duclaux concède que l’œuvre « s’est trouvée acceptable en ce qui concerne les préoccupations bactériennes » ; Acceptable ne signifie pas suffisante : « elle [l’œuvre]n’est pas à refaire , elle est à corriger et à amender ». Et la fin du rapport va décliner les conditions de ces corrections et amendements. Duclaux ne cherche pas à régler des comptes, il est bien trop généreux pour cela, il veut assurer à ses compatriotes une eau exempte de tout bacille dangereux. Il suggère qu’au lieu de s’assigner la lourde tâche de « surveiller l’arrivée du bacille … dans l’eau des sources ou au moment de son passage à l’octroi de Paris (sic) » on peut essayer de le saisir à son point de départ, c’est à dire au moment où il sort de l’intestin d’un malade10 , est rejeté dans la nature et donc pollue les terres qui le reçoivent. Il faut étudier ce qui se passe entre le moment où la bactérie tombe sur le sol (avec l’eau des déjections) et voir si ayant traversé les couches de terre successives, elle subsiste à la sortie de la source. Les sols filtrent-ils ? Et comment ?
Étudier les sols qui filtrent – bien ou mal – les eaux, conduit tout droit à l’étude « du périmètre de l’alimentation des sources », et donc à celle des réseaux hydrographiques. Duclaux connaît le réseau parisien et a constaté la quasi impossibilité d’y étudier valablement ledit périmètre ; mais quid de la campagne ? Et qu’y a-t-il de plus immédiatement à sa portée que les sources issues du volcan du Cantal ? Une telle étude pourrait-elle servir d’exemple ?
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Que conclure de l’étude des réseaux hydrographiques (article de 1903) ?
« Quand elles sortent de terre sous forme de sources les [eaux] sont devenues limpides, d’ordinaire ; mais la limpidité ne traduit pas la pureté » . La question qui se pose est donc la suivante : comment des eaux [pluviales] « qui arrivent au sol à peu près pures, s’y chargent de germes banaux ou dangereux, dont elles ne se débarrassent ensuite qu’au prix d’une filtration,[par les sols] qu’elles ne subissent pas toujours au degré qu’il faudrait » ? « Quelles sont les surfaces et les épaisseurs de terrains qu’elles ont lavées avant de redevenir visibles et saisissables ? » « Existe-t-il une délimitation de courant correspondant au moment où le trajet de l’eau est invisible , entre la surface du sol sur laquelle tombe uniformément la pluie, et la source qui, par essence, est rare ? »
Avoir une idée de la façon dont les eaux de pluie ou de ruissellement se transforment en traversant les sols ? Comme les sols des villes n’ont plus guère de rapport avec leur sol d’origine, Duclaux va faire le tour des sources à la campagne, dans un lieu qui lui est proche : les vallées cantaliennes. Il lui est facile d’en connaître le socle géologique avec l’aide des géologues et géographes locaux, il aime le pays, il y passe ses vacances 11 : bref de quoi joindre l’utile et l’agréable, ce qui n’est jamais interdit, même à un scientifique de renom.
De plus ce travail est heureusement compatible avec le tourisme. Sa femme l’accompagne dans ces expéditions, parfois périlleuses : Émile n’est plus de la première jeunesse et les sources ont la mauvaise habitude de se nicher parfois dans des endroits peu accessibles. « Parfois nous louons une voiture et allons nous promener assez loin , avec une douzaine de grands flacons sous le siège du conducteur, à la recherche des sources que mon époux analysait. ». Si Émile juge que la descente n’est pas possible pour elle, sur le plateau « de Badailhac » par exemple,« il [la] laisse dans la carriole pendant que lui descend la colline, avec ses grandes bouteilles de verre, vers les sources.12 »En l’attendant, elle tente d’entrer en contact avec les paysans qui l’entourent et s’aperçoit qu’elle, la femme qui parle et écrit trois langues vivantes, est incapable de comprendre l’occitan : ce qui la conduira à s’intéresser cette langue « des troubadours » Mais Émile remonte bientôt avec “ses grandes bouteilles” et la carriole retourne vers le laboratoire, où il va travailler pour le bien être de ces paysans que sa femme voudrait tant comprendre.
Recueil des eaux de quelques 110 sources, ruisseaux et rivières, dont prioritairement celles de la maison d’Olmet, étude de la température, des résidus et des sels, et ce à des dates diverses : pour “sa” source, pas moins de 17 relevés différents entre juillet 1894 et juillet 1903, dont certains en plein hiver, pour aboutir à la constatation que “ce sont des eaux différentes” . “On voit qu’alors même qu’on a fait ce qu’on a pu pour avoir une eau de source homogène, on n’arrive jamais qu’à avoir un mélange de plusieurs eaux et que, dans la réalité, si l’homogénéité se fait, c’est à l’aide du mélange de quantités innombrables de filets non identiques”. Et le savant de laisser la place au citoyen qui conclut : ”C’est le même mécanisme qui permet de parler de l’homogénéité d’une nation”.13 : Renan eut aimé cette comparaison!
Avec cette étude à quoi il a consacré tant de promenades, Émile a la satisfaction de constater que, s’il elles n’y sont pas “homogènes”, pourtant “dans les terrains volcaniques du Cantal .. les sources sont stables et conservent leur pouvoir filtrant.. [et qu’] on [y] sait toujours d’où vient le filet d’eau qu’on cherche à utiliser” … “Les quelques germes qu’on [y] rencontre viennent des parties superficielles et non des parties profondes des eaux qui viennent s’y réunir” et “quand l’analyse [lui] signal(e) un excès de calcaire, de sel marin, de matière organique, [il] trouv(e) toujours à petite distance, en amont, de quoi expliquer l’irrégularité” . Il existe donc, dans cette France encore très agricole, beaucoup de lieux semblables aux montagnes auvergnates où l’eau est préservée, ou relativement facile à surveiller, à la différence des grandes villes. Si les eaux n’y sont pas homogènes, au moins elles peuvent être sûres.
Voilà qui paraît rassurant pour l’avenir !
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Il aurait eu tort tort d’être rassuré, s’il l’a vraiment été. L’histoire montre que, un siècle après, il y a beau temps que les services des eaux, dans les campagnes et dans les villes, ont renoncé à déterminer quels sont les sols indemnes de pollution ; on « traite » les eaux potables à la sortie, ce qui leur donne ce délicieux goût de javel que tout un chacun peut tester en buvant l’eau de son robinet ; ce qui aussi fait la fortune des fabricants d’eau en bouteille, dont on peut espérer, soit que les industriels concernés ont vraiment étudié à fond « le périmètre de l’alimentation des sources » , soit qu’ils traitent l’eau « naturelle » en question. Duclaux, lui, espérait qu’on puisse « arrêter [les bacilles] au point de départ » et qu’on serait ainsi « débarrassé des soucis , des confusions et des lenteurs inévitables de la surveillance au point d’arrivée » . Il n’avait pas prévu qu’il serait plus facile – et plus rentable – de traiter toute eau destinée à la consommation, ce qui évite non pas la surveillance mais réduit ladite surveillance au point de recueil des eaux, au départ du réseau . Le traitement est-il adéquat ? Et suffisant ? La réponse , relativement facile, dispense de l’étude, longue et dispendieuse, surtout si elle doit être renouvelée régulièrement, du bassin d’alimentation. C’est ainsi qu’on abandonne le souci de la qualité même des eaux captées ! Et par la même occasion la qualité des sols !
Duclaux ne pouvait penser qu’on puisse renoncer un jour à boire directement l’eau des sources ; il n’aurait pu se résigner à des ruisseaux et des rivières où les écrevisses ne pourraient survivre, lui qui les avait sans doute pêchées dans les eaux de l’Authre, à coté du Fau, comme l’ont encore fait ses petits enfants. Il rêvait d’eau pure. Ce qu’il avait vu dans les villes, et d’une certaine façon aussi ce qu’il avait vu en Auvergne, pouvait sans doute garantir une certaine sécurité . Et encore ! Car que se passerait-il si le « périmètre du bassin » n’était pas surveillé ? Rien que cela nécessitait une action publique.
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L’eau pure ! La vie, au sens où nous la définissons, n’existe pas sans eau L’eau pure, elle, représente bien plus. Elle est innocence – et virginité –14 ; on s’y plonge, car on peut préférer mourir que de perdre cette pureté15 : elle est donc aussi la jeunesse16 .. et l’amour, l’amour rêvé17 . Y sont associés le printemps, la fraîcheur , l’éveil à la vie… et le renouveau : c’est le mythe de la fontaine de jouvence qu’étudie Gaston Bachelard. L’écoulement de l’eau est aussi un langage, celui de la poésie: « Il [le ruisseau] vous redira à chaque instant quelque beau mot tout rond qui roule sur les pierres»18 . L’innocence , la jeunesse , la poésie, l’amour … et, pour un homme, la femme ! Émile a soixante ans, il a une solide culture classique et il est depuis trois ans l’époux heureux d’une femme qui vit par et pour la poésie, Mary Robinson. L’eau pure pour lui, comme pour Bachelard, n’est pas seulement le H²O du chimiste, elle est aussi une image idéale de ce qui fait la poésie et la beauté de la vie.
L’amoureux de la nature, à défaut du poète qu’il admire en sa femme, ne veut pas imaginer, encore moins se résigner à un monde où l’eau pure n’est plus que le résultat d’une filtration que le chimiste n’a pas de mal à dominer, mais où le mythe n’est plus relié à aucune réalité : « La source pure n’est plus qu’un idéal dont on cherche à se rapprocher », regrette -t-il. Le scientifique en lui réagit. Comment agir pour que les sources soient pures ? Si Duclaux n’est pas loin d’abandonner dans le cas des villes, reste la campagne , le réservoir de cette ancienne culture rurale que les deux époux admirent. Peut-on espérer y être – et y demeurer – plus proche de l’idéal ?
Le problème de l’eau relève de la sécurité alimentaire. C’est aussi un problème écologique : le mot vient d’être inventé. Peut-on se contenter de dominer les moyens de rendre n’importe quelle eau potable sans se poser la question de ce qu’il y a à faire, en amont du traitement qui la rend telle : ce serait ne s’intéresser qu’à l’homme, et faire fi des paysages et de la nature dans laquelle il vit. .. Et comment « surveiller » les sources campagnardes ? Le problème, pour Duclaux comme pour sa femme, regarde la beauté du monde . Aurait-il postérieurement posé le problème dans ces termes, nous ne le saurons pas
Mary, elle, peut se contenter de rêver l’eau : « les beaux damoiseaux , les belles demoiselles [qui cueillent des fleurs] au bord des eaux » ; elle peut se rêver « une source, jaillissant de la profondeur des montagnes, … une image dans la source »19 . Mary est poète ! La science, pour Émile, crée des obligations à celui qui la possède. Un scientifique a des devoirs vis à vis de ses concitoyens, quelles qu’en soient pour lui les conséquences . Duclaux, citoyen, a agi vigoureusement pour Dreyfus, conscient pourtant que cette action allait le séparer d’une partie de sa famille et des habitants de sa ville, Aurillac . Il se reconnaît aussi des devoirs vis à vis d’une contrée et d’un paysage qu’il aime, d’où, sur le plan économique, les travaux bien connus sur le lait et le fromage. D’où d’un point de vue écologique avant la lettre, l’étude sur les sources du Cantal.
Avant d’agir il faut connaître … et comprendre. Le directeur de l’Institut Pasteur est un citoyen responsable en même temps qu’un scientifique ; dans l’affaire Dreyfus il s’appuie sur une étude des documents, et lorsqu’il s’est prouvé à lui même qu’il a affaire à des faux, il agit… et publie. Le problème de l’eau potable est du même ordre.20 Comprendre, pour pouvoir agir de façon appropriée ! Et se rapprocher de l’idéal ! Idéal de vérité pour l’affaire Dreyfus. Une nature idéalement intacte dans le cas de l’eau. Comment Émile Duclaux pourrait-il deviner que cet article serait le dernier publié de son vivant ? Et que l’action ne pourrait pas suivre.
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En notre bonne année 2014, où la pollution est industrielle, la question se pose, de savoir s’il existe encore des lieux de nature impolluée, et pas seulement d’eau pure. S’il en existe , que faire pour qu’ils le demeurent ? Les cent dix ans écoulés depuis la mort d’Émile paraissent n’avoir vu que l’aggravation de ces problèmes. Duclaux aurait-il pu agir ? Rien n’est moins sûr. Il me paraît pourtant certain qu’il aurait essayé, sans quoi les travaux sur « l’hydrographie souterraine » n’auraient guère eu de sens.
Émile Duclaux s’est voulu un acteur social ; ses travaux scientifiques et son action politique le prouvent : Dreyfus et la ligue des droits de l’homme, le lait, le fromage et d’une certaine façon l’alcool . Pour l’eau, malheureusement, il n’a pas eu le temps de l’être. Pourquoi ne pas lui rendre cette justice dans ce domaine qui est pour nous , aujourd’hui, primordial ?
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Jacqueline Bayard – Pierlot
Écrits sur l’eau
bibliographie et sources bibliographiques desdits écrits (quand elles sont citées)
1887 , Duclaux , sur la théorie des oscillations des eaux profondes, rôle de la capillarité dansle transport des bactéries, , in (Annales de l’I. P., revue critique, 1887/1, pp. 134
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journaux allemands : 2 articles : théorie des oscillations des eaux profondes ; la capillarité du sol dans les transport des bactéries ; discussion entre les deux auteurs concernés
1890 : Duclaux (Annales de l’I. P. 1890/01 p. 41 sq) Le filtrage des eaux : revue critique à partir de 10 articles :
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journaux français : les fontaines de Dijon ( (1862) ; problèmes de filtration des eaux ( 1872 [article de Duclaux in Annales de chimie -Physique ]. ] , 1881 ; l’alimentation de Zurich en eau ( annuel , 1885 -> 1888)
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journaux allemands : les germes dans les eaux de boisson … (s.d.) ; les eaux des conduites de Berlin (1887) ; principes de filtration (1887) ; hygiène dans l’alimentation en eau (1889) ; les filtres à sable de Zurich ( 1889) ; la sécurité des eaux de boisson à Berlin (1889)
1890, Duclaux , action de l’eau sur les bactéries pathogènes, ( Annales de l’I. P. sans plus de précisions , revue critique , p. 109) , revue à partir de 13 articles : 1866 → 1889
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journaux allemands : les bactéries dans l’eau : 8 articles (ou livres)
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journaux français : id : 2 articles (ou livres )
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journaux italiens : id. : 2 articles
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journaux anglais : id : 2 articles
1890 : Duclaux ( Annales de l’I. P. 1890/03 p. 172 sq) Sur les relations du sol et de l’eau qui le traverse : revue critique à partir de 18 articles
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journaux français : sujet non précisé :1853 ; id. 1854 ; Delesse , carte souterraine de Paris, 1857 ; Risler, bibliothèque universelle de Genève , 1869
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journaux allemands : sujet non précisé : 1860/61 ; cH. Von Kleber , circulation capillaire de l’eau dans le sol…, in Landw. Jahrbucher v Thiel, 1877 ; A. Lubenberg, sur l’état actuel de la physique du sol , in Forschungen auf agrikultur -Physik , 1878 ; Flege, sur un nouveau moyen d’évaluer la perméabilité des sols , ibid, 1880 ; Fodor, recherches hygiéniques sur l’air, le sel, et l’eau, 1882 ; Hoffmann, Nappe souterraine et humidité du sol , 1883 ; Welitschovsky, perméabilité du sol pour l’air .. et l’eau , 1884 ; influence de la composition du sol sur son pouvoir évaporant, 1884 ; la capacité pour l’eau des diverses espèces de terre , 1885 ; les rapports de porosité des sols , 1885 ; les oscillations de la nappe souterraine , 1885 ; le sol , 1887 ; sans titre , passim in une revue allemandes sur la biologie et l’hygiène
1890 Duclaux , sur les actions chimiques et microbiennes qui se produisent dans le sol, (Ann. Inst. Pasteur, 1890/14, p. 232 -245) : revue critique à partir de 15 articles
1. journaux français : un de Duclaux , in Annales de chimie – Physique, XXV, 4è série, , 1859 :4 articles sans titre mentionné ; l’altération des cours d’eau et les moyens d’y porter remède ; commission technique de l’assainissement des eaux de Paris, 1883 ; rapport au sénat sur l’utilisation des eaux d’égout de Paris sur les terres agricoles…, 1888 ; le bacille typhique dans le sol , 1889 .
2. journaux allemands : 1853 – 59 : 4 articles sans titre mentionné ; 1884 , l’épuration spontanée du sol : 1883 : les actions chimiques dans le sol et les les nappes souterraines.. ; l’influence du sol sur les bactéries pathogènes , 1886 ; bactéries et eaux profondes , 1886 ;
1891 Duclaux , Le filtrage des eaux de fleuve , in Ann. Inst. Pasteur, 1891/04 , pp. 257 – 267 revue critique à partir de 9 documents
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documents français : M. Belgrand , la Seine , Paris , 1872 ; températures de l’eau du fleuve à Toulouse , 1883 ; mémoire sur la filtration , 1890 ; amélioration et extension du service des eaux de Lyon , 1891 ; L’eau filtrée à Nantes, 1891
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documents allemands : nappes souterraines et humidité du sol , 1883 ; oscillations du niveau de la nappe souterraine , 1885 ; Soyka, le sol , s. d. ;
1892 Duclaux , sur la contamination des puits , in C. R. Ac. d. C. , 1892, CXXV, p. 913 : un article sur le même sujet figure dans la Revue d’hygiène et de police sanitaire, 1898, p.64
1894 Duclaux, la purification spontanée des eaux de fleuve , in Ann. Inst. Pasteur, 1894/2, p. 117 – 127 & 1894/03 , pp. 178 – 186 , revue et analyses : sources non citées en tête mais en note éventuellement/
1894, Duclaux , Moyens d’examen des eaux potables , , in Ann. Inst. Pasteur, 1894/ 07 revue critique p. 514 : pas de bibliographie en tête ; voir dans les notes
1894 , Duclaux, Rapport général sur les enquêtes concernant les eaux de source distribuéesà Paris , in Ann. Inst. Pasteur, 1894/ 12, pp. 316 – 322, revues et analyses ; sources non citées en tête mais en note éventuellement/
1898, Duclaux , contamination des puits , in Revue d’hygiène et de police sanitaire, 1898, p. 64
1900, Duclaux, Rapport général sur les enquêtes concernant les eaux de source distribuéesà Paris , in Ann. Inst. Pasteur, 1900, p. 816 – 822 ;revues et analyses ; sources non citées en tête mais en note éventuellement/
1901 , Duclaux, Eaux de sources , inRevue d’hygiène et de police sanitaire, 1901, p. 298 & 334
1903 , Duclaux, Études d’hydrographies souterraines , in Ann. Inst. Pasteur, 1903/08 , pp. 523 – 539 & 640 – 664
Notes
1 Annales de l’Institut Pasteur, 1903/08, pp. 523 – 539 ; ibid. 1903/10, pp. 640 – 664 ; ibid. 1903/12, pp. 857 – 861
2 Voir Rapport général sur les enquêtes concernant les eaux de source distribuées à Paris, in Annales de l’lnstitut Pasteur, 1900, p. 816 ; Un certain nombre d’articles de Duclaux et un livre concernent le problème des eaux potables : voir entre autres L’hygiène sociale , Paris, 1902 et de nombreux articles antérieurs entre 1890 et 1900: contamination des puits, filtrage des eaux, relations du sol et de l’eau qui le traverse, filtrage des eaux de fleuve, examen des eaux potables ; voir Biographie d’Émile Duclaux , rediffusé par l’institut Pasteur , Charaire , Sceaux, 1904, p. 28
3 Voir article sur le sujet ici même (www.le-petit-orme.fr)
4 Polytechnicien (X1829), ingénieur général des Ponts et Chaussées, élu membre libre de l’Académie des sciences en 1871, Eugène Belgrand participe à la rénovation de Paris dirigée par le Baron Haussmann, entre 1852 et 1870,
5 Jusqu’à une vingtaine de documents, articles et livres, par critique
6 Duclaux lui même fait remarquer l’importance des publications allemandes ; il est évident que , sur ce point, les allemands semblent en avance.
7 Fermes d’été dans la montagne
8 De toutes celles que Duclaux a étudiées, la moitié peut être seulement se repère encore sur le terrain.
9 L’auteur de ces lignes a fait analyser en 2012 l’eau de la source captée par Émile Duclaux pour la maison et le laboratoire d’Olmet ; cette eau est polluée, que Duclaux a analysée dans les années 1900 et qu’il déclarait « plus pure que l’eau d’Evian »
10 Pour Duclaux y on trouve la principale origine possible de pollution : les maladies transmissibles sur lesquelles l’Institut Pasteur travaille ; il n’envisage pas la pollution industrielle des sols, alors relativement localisée
11 Études d’hydrographies souterraines , voir bibliographie infra
17 A handfull of honeysuckle : dans le jardin d’Apollon ; Images and meditations : the mirror and the well
18 Il serait intéressant d’étudier aussi le problème de l’alcool sous cet angle.